Loin des débats sur son endettement public, du déclin de la 5ème République et du questionnement sur son identité multiculturelle, il est une France qui continue de rayonner sans heurt à l’international. C’est la France nation chérie des écrivains et vaisseau amiral d’une culture de l’écrit et de la fiction alternative à l’omnipotent modèle anglo-saxon.
Il est vrai que la diplomatie française sait chouchouter ses auteurs. Investir dans les résidences d’artiste. S’impliquer dans les foires du livre à l’international. Ouvrir des portes aux éditeurs par une politique d’aide à la traduction. Et veiller au renouvellement des collections des médiathèques d’institut ou d’alliance pour la diffusion du livre en français. À l’heure de la remise des prix littéraires, c’est à la rayonnante diplomatie du livre française et ses vecteurs de propagation que nous nous intéressons.
La diplomatie du livre, vecteur de transmission de valeurs
La mauricienne Nathacha Appanah, récente récipiendaire du Prix Fémina, est une habituée de l’institut français de Maurice. Ce lieu autrefois baptisé du nom prestigieux de centre « Charles Baudelaire », s’est toujours voulu un écrin pour les écrivains locaux, des plus modestes aux plus prestigieux. Dans une société mauricienne très éloignée de la carte postale ensoleillée des prospectus touristiques, l’autrice montre l’envers du décor et traite de la violence faite aux femmes.
« Si écrire est une activité solitaire,diffuser l’écrit en français
est assurément un travail où l’aide du collectif compte »
Elle qui a quitté l’île depuis 1998 n’a cessé depuis de s’atteler à ce thème sensible, de revenir sur ses origines indo-mauricienne et de dénoncer avec finesse le carcan de la condition féminine face au poids des religions ou des préjugés raciaux. De « Blue Bay Palace » (2004, Gallimard) jusqu’à « la Nuit au coeur » (2025, Gallimard) récompensé par le Fémina, c’est donc une écriture forte et égalitaire qui est célébrée, des valeurs portées par le réseau des instituts français qui n’hésite pas à favoriser l’accouchement des jeunes talents à travers conférences et ateliers d’écritures. Un réseau au service d’une évidente diversité culturelle, d’une promotion de la langue française comme appartenant à tous, un réseau qui n’a pas abdiqué son ambition universelle malgré ces temps de sur-endettement public et de repli sur soi accentué.
Si les écrivains n’ont pas besoin du réseau institutionnel français pour se mettre à la tâche, écrire en faisant preuve de créativité, nul doute que le réseau et sa puissance de diffusion planétaire offre des ponts et des passerelles pour des rencontres qui fertiliseront de nouveaux projets. Si écrire est une activité solitaire, diffuser l’écrit en français est assurément un travail où l’aide du collectif compte.
Les résidences d’auteurs, donner du temps et de la liberté
Les résidences d’auteurs ont toujours eu cette vocation de creuset pour l’imagination, en offrant du temps et du confort de travail à des auteurs souvent soumis à la pression de la précarité des lettres. Tout le monde n’est pas Marc Lévy et ses ventes faramineuses. Le salaire moyen d’un auteur en France serait ainsi de moins d’un millier d’euros par mois. Et cela explique une sociologie de l’auteur tournée vers la double activité de journaliste ou d’enseignant le plus souvent.
Le modèle emblématique de la résidence d’artiste est celui de la Villa Médicis à Rome. L’académie de France est la propriété du ministère de la Culture qui accueille des pensionnaires dans 10 disciplines artistiques, de la littérature à la photographie en passant par la Chorégraphie.
Pour faire évoluer ce modèle un peu vieillissant créé à l’origine en 1666, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères s’est associé au ministère de la culture pour créer en 2021 la Villa Albertine. Villa « nomade et multiple » elle s’appuie sur un réseau de résidences dans une quinzaine de villes des États-Unis pour des séjours créatifs de 1 à 3 mois. Le projet pour être retenu se doit avoir une dimension immersive dans la société américaine. C’est ainsi que Maylis de Kerangal a pu écrire sur les paysages et la mobilité, Marie Ndiaye ou Leïla Slimani ont pu participer à des projets interdisciplinaires en liaison avec la photographie.
Chaque institut français dans le monde possède aussi sa propre politique de résidence d’écriture. Signe que la littérature continue à être la figure de proue de nombre de ces établissements dédiés à l’influence culturelle française. Et pour ne citer que quelques exemples dans des zones éloignées, l’institut français du Japon ou l’institut de Prague accueillent régulièrement autrices et auteurs venus se ressourcer et découvrir de nouveaux territoires imaginaires pour irriguer leurs œuvres.
La traduction pour faire rayonner le français partout dans le monde
La France possède également d’autres outils pour aider les éditeurs étrangers à traduire en français ou les encourager à publier nos auteurs français et francophones. Ainsi le programme d’aide à la publication (PAP) de l’institut français de Paris vient s’ajouter aux bureaux des livres gérés localement par les Ambassades de France et leurs services culturels. Il y aurait 26000 titres publiés grâce à ces crédits dans plus de 80 pays et ce depuis 1990.
« L’influence d’un pays se mesure aussi au nombre de ses auteurs traduits. »
Jules Verne reste l’auteur français le plus traduit dans le monde et Guillaume Musso serait traduit dans plus de 34 langues différentes. Si ces auteurs n’ont pas réellement besoin de soutien institutionnel, de par leur notoriété patrimoniale ou commerciale, on peut mettre en avant l’œuvre de Leila Slimani aujourd’hui diffusée dans une vingtaine de langues comme un exemple de réussite de notre politique d’appui à la traduction. L’influence d’un pays se mesure aussi au nombre de ses auteurs traduits.
La petite armée des attachés pour le livre et des médiathécaires d’instituts
Ce sont les attachés pour le livre, des coopérants recrutés par le ministère des affaires étrangères, qui sont les valeureux hussards de la république des lettres à l’étranger et qui mettent leur connaissance des marchés du livre local ou des ficelles de l’édition pour promouvoir le livre français hors de nos frontières.
Si le recrutement est exigeant il offre des opportunités de carrière passionnante pour des diplômés en Lettres qui veulent sortir de l’enseignement scolaire et se retrouver au service des auteurs dans les coulisses des ambassades. Les médiathèques des instituts et des alliances, sont aussi le lieu d’épanouissement naturel de ces passionnés de l’écrit que sont les médiathécaires d’instituts ou d’alliances françaises.
Leur mission est de concilier les valeurs universelles de la France avec la sensibilité locale et d’avoir une politique d’acquisition de livres qui soit inclusive, pour tous publics. Les médiathèques œuvrent pour une gestion vivante de leurs fonds qui sont renouvelés en moyenne autour de 10 pour cent chaque année. L’activité de « désherbage » (retraits des livres tombés en désuétude) faisant partie intégrante du métier. Si les fonds d’acquisition sont de quelques milliers d’euros pour la médiathèque d’une petite alliance de province ils peuvent monter jusqu’à plus de 10 000 euros pour un grand institut comme celui de Madrid ou de Rabat. Ces bibliothèques multimédias ne sont pas seulement des bases documentaires pour celles et ceux qui apprennent le français en Institut. Ce sont aussi souvent les seuls points d’accès à la littérature francophone pour les communautés d’expatriés amatrices de lecture.
Les foires et salons du livre, des fenêtres d’opportunité prioritaires
Ce panorama autour de la diplomatie du livre ne serait pas complet sans l’évocation des foires du livre, qui relèvent du trésor précieux pour les passionnés qui viendront échanger avec leurs auteurs favoris en leur sollicitant une précieuse dédicace au passage. Pour la diplomatie du livre ce sont des fenêtres d’attention et d’opportunité à exploiter en priorité. Pour mettre en avant des auteurs emblématiques, pousser de nouvelles figures des lettres sous le feu des projecteurs, réaliser des projets croisés entre maisons d’édition ou tout simplement prendre « le pouls du monde » à l’occasion des conférences et débats d’idées qui jalonnent ces trois jours de liesse livresque.
« Il faut que nos livres aillent partout où l’on parle la langue des hommes »
Voltaire, Lettre à d’Alembert
À tout seigneur, tout honneur, la foire internationale du livre de Francfort organisée traditionnellement en octobre est la plus rayonnante en terme professionnel puisque sur ses 230 000 visiteurs, plus de la moitié serait des professionnels du livre. Les ficelles pour mettre en avant les auteurs francophones dans ce grand Barnum de la littérature sont multiples. La France invitée d’honneur en 2017 eut ainsi les honneurs naturels des gazettes et une exposition multipliée pour ses auteurs. Ce fut le fruit d’une discrète diplomatie de coulisse d’inscrire cette édition hexagonale dans un agenda sur chargé. À Londres, c’est la taille du pavillon français qui est remarquée parmi les 1000 exposants de ce moment culturel de printemps. Une question de budget avant tout pour une location d’espace de plusieurs dizaines de milliers d’euros.
Une politique de têtes d’affiche
Mais l’ambition se retrouve aussi dans la programmation d’auteurs et la composition de « plateaux » d’invités alléchants, « bons clients » médiatiques ou même faiseurs de polémiques.
Le plus gros vendeur français, l’écrivain Michel Houellebecq, apparaissait justement à l’édition française de la foire du livre de Francfort en 2017. Un auteur qui fait traditionnellement recette outre-Rhin où tous ses ouvrages sont traduits et où ses ventes dépassent généralement les 100 000 exemplaires vendus. Il s’est illustré récemment en Mai 2025 au Musée d’art de Tel-Aviv pour une soirée littéraire organisée par l’institut français d’Israel. L’écrivain polémiste a cependant réduit ses apparitions publiques dans un réseau culturel qui désormais le boude un peu, l’odeur du soufre étant parfois trop forte à supporter par certains programmateurs.
Il n’en est rien d’un autre esprit polémiste, « l’écrivain voyageur » Sylvain Tesson qui de Boston à Columbia a écumé le réseau français aux USA ces deux dernières années et qui est programmé par l’institut français du Danemark au Bogforum de Copenhague du 7 au 9 novembre 2025 au côté d’un auteur qui ne lui ressemble pas au plan politique, le sociologue Didier Eribon. Choc des contraires ou hasard des choix de maisons d’édition qui cherchent de nouveaux publics à l’étranger.
Les prix littéraires inspirent habituellement la diplomatie du livre
La saison des prix qui bat son plein devrait consacrer de nouvelles têtes d’affiche ou récompenser des auteurs déjà confirmés. Le Goncourt attribué à Laurent Mauvignier pour « la maison vide » (édition de Minuit) assurera des ventes dopées à son récipiendaire. Mais lui vaudra aussi les bonnes grâces d’un réseau culturel qui ne mégote pas devant la programmation du « Goncourt » le prix le plus populaire à l’étranger. Laurent Mauvignier est d’ailleurs une valeur sûre qui a déjà « voyagé » dans le réseau depuis plusieurs années.
Kamel Daoud, vainqueur 2024, avait pu se produire à l’institut français des Pays-bas en décembre 2024 pour une conférence autour de la figure de Voltaire. Un symbole fort pour cet auteur dont le dernier opus, « Houris », est toujours interdit en Algérie car traitant de la « décennie noire », un thème jugé tabou par le régime et les médias.
Notre diplomatie du livre n’est donc pas seulement inspirée par la promotion de beaux écrits dans une belle langue. Loin de sa seule dimension esthétique elle résonne bel et bien de l’ambition universelle de Voltaire : « Il faut que nos livres aillent partout où l’on parle la langue des hommes » Lettre à d’Alembert (1760). Une ambition démocratique au service de la liberté.
Auteur/Autrice
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Boris Faure est l'ex 1er Secrétaire de la fédération des expatriés du Parti socialiste, mais c'est surtout un expert de la culture française à l'étranger. Il travaille depuis 20 ans dans le réseau des Instituts Français, et a été secrétaire général de celui de l'île Maurice, avant de travailler auprès des Instituts de Pologne et d'Ukraine. Il a été la plume d'une ministre de la Francophonie. Aujourd'hui, il collabore avec Sud Radio et Lesfrancais.press, tout en étant auteur et représentant syndical dans le réseau des Lycées français à l'étranger.
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