Vieille maison désargentée qui fait le bonheur des bandes dessinées et des esprits amers, le Quai d’Orsay, depuis vingt ans, vendait ses meubles et sacrifiait ses postes en pénitence : Les diplomates ne serviraient à rien, et se tromperaient souvent. Pure jalousie des comptables de Bercy susurrait-on sous les ors fanés, sans vraiment oser se défendre.
Selon le principe de Paretto, 80% des effets sont le produit de 20% des causes. Une évaluation bien menée permettrait d’observer que 80% des solutions sont le produit de 20% des agents; d’où la tentation de supprimer 80% d’entre eux. C’était le chemin suivi, son dernier carrosse portant le doux nom d’ « Action publique 2022 » : économiser 90M€ et supprimer 416 postes au ministère en quatre ans. 250 d’entre eux sont déjà passés à la trappe.
Mais, qu’une crise éclate, on rappelle pompiers, médecins, et agents consulaires. On croyait le diplomate suranné, il revient par le virus.
Qu’une crise éclate
250.000[1] Français auraient été rapatriés pendant la crise : un exploit. D’autant que seulement 10% des effectifs du Ministère était en poste (attention : cela pourrait inciter Bercy à diminuer encore les effectifs), les autres restant en télétravail. Alors consulats et ambassades servent à quelque chose, même en dehors des crises.
Sur deux millions et demi de Français résidant à l’étranger, plus de 1 800 000 sont inscrits au registre mondial. 230 000 passeports et de 80 000 cartes nationales d’identité, 2 millions de documents d’état civil sont établis ou délivrés par 3237 employés des services consulaires. Reste ensuite à s’occuper de diplomatie, économie, sécurité, culture, enseignement, etc …
La baisse des effectifs est suspendue
Miracle : l’argent coulant à flot par temps de crise, la baisse programmée des effectifs est suspendue. Chacun se félicite de cette bonne nouvelle : pour la première fois depuis vingt ans, les effectifs du ministère ne seront pas rabotés, le budget du Ministère augmente. Embrassades dans les Commissions et les bureaux par zoom.
Ces cris de joie sont un peu trop forts pour n’être pas suspects.
Comme pour la fiscalité, ceux qui se réjouissent de ce recul oublient qu’ils avaient poussé bien fort en avant. Et que les emplois supprimés hier ne sont pas rétablis. « On est passé pas loin de la catastrophe », ose le directeur général des affaires politiques et de sécurité du Quai.
Le budget du Ministère augmente de 8% pour atteindre 5.411M€. Sur les 411 millions supplémentaires, 344 M€ sont affectés à « l’aide au développement ». Reste, pour le Ministère des Affaires Etrangères, 67 M€.
Il manque encore 30M par rapport à 2018.
Serait-ce un pactole ? L’équivalent du bonus pour la pandémie allouée à l’OMS : 50M€. Quand on a promis 510 millions promis au paquet ACTA (recherche du vaccin), et encore 500 au Gavi (distribution du vaccin).
La mission « Action de la France en Europe et dans le monde » (programme 105) recueille ces 65 Millions, qui servent, pour l’essentiel, à augmenter les contributions volontaires (+37%) et la coopération en matière de sécurité. Autant dire qu’il ne reste quasiment rien au Ministère.
Le programme 151, « Français de l’étranger et affaires consulaires » reste à 373 M€, comme en 2019. Quant à la « Diplomatie culturelle et d’influence » (programme 185), elle stagne à 718M€.
En 2018, le budget de « l’action extérieure de l’Etat » était encore, malgré des années de baisse, de 2.962 millions d’euros. Il sera en 2021 à 2.935M€. Le compte n’y est pas.
Le Quai n’est pas sauvé
Comme des symboles, certains budgets viennent de fermetures, par réintégration des crédits de personnels issus d’instituts culturels désormais fermés : Costa Rica, Canada, Brésil, Norvège. Même en ce qui concerne le maintien des emplois, si les suppressions de poste sont suspendues au ministère, 71 ETP sont supprimés à l’AEFE, l’agence des lycées français, qui aura perdu 500 ETP en quelques années.
La crise n’a donc pas « sauvé » le Quai. Elle a suspendu les coupes. Certains restent dans l’idée qu’un tel réseau d’ambassades et de consulats est exagéré et qu’il faut faire des efforts. Ce n’est pas ce que pensent les Chinois, les Indiens ou les Turcs, qui renforcent leurs réseaux. Ni les Gafas. Dans un monde de plus en plus interdépendant, l’ancrage international est un atout, pas un poids.
Et quel poids : Le budget du quai d’Orsay est de moins de 3 milliards, les dépenses de l’Etat de 450 Milliards en 2021, alimentés par 250 milliards de dette. Tout le budget du Quai serait compris dans la diminution, cette année, de la charge de la dette due à la baisse des taux d’intérêts. C’est dire.
Le Quai pourrait mieux se défendre, en changeant.
Justice, diplomatie, police, défense sont des missions que personne d’autres que l’Etat ne peut assumer. D’autres peuvent construire des avions et même des aéroports. L’incohérence des priorités est transparente.
Même en ce qui concerne les dépenses internationales, une remise en cause, manque. Faut-il vraiment dépenser autant en interventions militaires, en aide au développement, et si peu, par exemple, dans nos propres relais ? 5 millions pour les Alliances françaises locales, ne manque-t-il pas un zéro? Combien donnerait l’Arabie pour un tel réseau ?
Investir dans l’international est utile, même sans crise, il faudrait le crier sur les toits au sommet de l’Etat. Et oser, aussi : changer. Le Quai, à attendre les coups de rabot, à se concentrer sur la comptabilité, s’est rétréci. Changer de braquet, changer de Quai, serait sa meilleure défense.
Laurent Dominati
Editeur de lesfrancais.press.
Ancien Ambassadeur de France au Conseil de l’Europe, ancien député de Paris.
[1] Amusant de constater que les chiffres transmis varient : de 150.000 pour les uns à 350.000 pour les autres.
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