Le projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » arrive devant le Sénat lundi (6 novembre). Le texte est particulièrement explosif, notamment en ce qui concerne la création d’une « carte de séjour » pour certains travailleurs irréguliers.
Alors que les demandes d’asile étaient en hausse de 31 % en 2022 par rapport à l’année précédente et que le nombre de mesures de non-admissions prononcées a augmenté de 58,9 % dans le même laps de temps, le gouvernement juge nécessaire le renforcement de son arsenal juridique et pénal face à l’immigration irrégulière.
Maintes fois repoussé depuis sa présentation initiale en Conseil des ministres le 1er février 2023, le projet de loi « immigration » vise notamment à rendre l’asile et l’accès à une carte de séjour française plus complexe.
Il devrait rehausser les prérequis nécessaires pour s’installer sur le territoire en imposant un niveau minimal en français. Tous les étrangers qui demandent une carte de séjour devront aussi s’engager à respecter les principes de la République — un refus pourrait marquer le non-octroi, ou le non-renouvellement d’une carte.
Enfin, le projet de loi « facilitera l’éloignement des étrangers qui représentent une menace grave pour l’ordre public », souligne le texte, et renforcera l’arsenal policier pour combattre les filières de passeurs, notamment en mer Méditerranée.
« Nous devons être humains, accueillir en particulier ceux qui fuient les conflits, mais on doit aussi être rigoureux […] on ne peut pas accueillir toute la misère du monde », précisait le président Emmanuel Macron lors d’une interview fin septembre.
Au niveau européen — où les Etats membres tentent de se mettre d’accord sur un nouveau pacte migratoire — il est estimé que 1,08 million de personnes étaient sur le territoire de manière illégale en 2022, soit une augmentation de 59 % par rapport à 2021, selon les données de la Commission européenne.
Risque « d’appel d’air »
Mais c’est bien l’article 3 du projet de loi qui est au cœur de toutes les controverses, faisant des débats à venir un casse-tête politique pour l’exécutif.
En effet, cet article crée une carte de séjour d’un an dédiée au « travail dans des métiers en tension ». Tout travailleur irrégulier embauché officieusement dans des secteurs économiques en tension, ou vivant dans une « zone géographique en tension », pourra bénéficier de cette carte de manière automatique.
« Ce titre de séjour spécifique sera là pour régulariser une situation parce qu’on démontre qu’on travaille dans un métier en tension [mais] l’objectif, c’est bien que l’immigration économique reste une façon subsidiaire de répondre aux besoins », expliquait il y a déjà un an Olivier Dussopt, ministre du Travail, dans un entretien dans Le Monde.
Et le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, en charge du dossier, d’ajouter : « Je dirais qu’on doit désormais être méchants avec les méchants et gentils avec les gentils ».
Chez Les Républicains (LR — droite) cependant, une telle mesure équivaut à un « appel d’air », analyse Bruno Retailleau, chef de file LR au Sénat, qui veut la supprimer sans attendre. Selon lui, il faut aller beaucoup plus loin dans la répression, en arrêtant notamment l’Aide médicale d’État destinée aux sans-papiers.
En mai dernier, le trio de tête des LR Bruno Retailleau, Eric Ciotti, président du parti, et Olivier Marleix, président de groupe à l’Assemblée nationale, présentait un « contre-projet immigration », avec notamment « la tenue d’un référendum sur la politique migratoire » et « la possibilité de déroger à la primauté des traités et du droit européen […] quand les intérêts fondamentaux de la nation sont en jeu ».
Ils menaçaient aussi de déposer une motion de censure si le projet de loi n’allait pas dans leur sens — une menace réitérée par M. Ciotti fin octobre, si l’article 3 est adopté par les parlementaires.
Quant à Marine Le Pen, présidente du groupe Rassemblement national (RN — extrême droite) à l’Assemblée nationale, elle a déjà confirmé qu’elle ne votera pas le texte en l’état, car il « ne va pas apporter des outils supplémentaires pour expulser tous ceux qui, dans notre pays, représentent un danger ».
Enfin, les groupes parlementaires membres de l’alliance des gauches Nupes ont affirmé vouloir déposer des amendements communs pour étendre le champ d’application de l’article 3, à rebours des oppositions de droite. « Je suis pour une régularisation de tous [les travailleurs irréguliers] qui ont un contrat à durée indéterminée », a notamment affirmé Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, sur France 2 mardi (31 octobre).
Les sénateurs ont jusqu’au 14 novembre pour amender le projet de loi. Il arrivera ensuite en commission des Lois le 27 novembre, avant une séance publique prévue pour le 11 décembre.