Le Pape, cet immigré ; Le droit, cet inconnu. 

Le Pape, cet immigré ; Le droit, cet inconnu. 

Voici le Pape. Il rappelle au stade Vélodrome à Marseille que les migrants sont des frères. « Nous ne pouvons plus assister aux tragédies des naufrages provoqués par des trafics odieux et le fanatisme de l’indifférence ».

Facile ! Répondent les gouvernements ! Les accueillir au Vatican ? En Italie, à Lampedusa, 10 000 débarquent. Meloni, qui voulait quitter l’Europe, comme tant d’autres populistes, appelle au secours Von der Leyen. L’Allemagne, qui ouvrait ses portes aux Syriens, refuse d’accueillir les migrants d’Italie. La Commission intervient, prône la solidarité avec l’Italie. Ceux-là (Pologne, Hongrie) qui accusaient « l’Europe passoire », et bloquent le « pacte migratoire » gardent un silence gêné.

Le phénomène n’est pas particulier à l’Europe. Partout le rejet des migrants croît.

Il y a la question migratoire et le jeu politique. Partout le rejet des migrants croît. En Europe, 71% des Français estimeraient l’immigration trop élevée, 74% des Allemands. C’est le cas dans la majorité des pays. Ce qui est rejeté, c’est l’immigration « extra européenne » (51% opposés en France), en raison des « différences culturelles » pour 29% des personnes consultées. Mais le rejet va plus loin : 23% des Français contestent la libre circulation des citoyens européens (heureusement, 71% y sont favorables), contre seulement 16% en Allemagne, 6% en Espagne et en Italie… et 4% en Roumanie. Le phénomène n’est pas particulier à l’Europe. 

Les Équatoriens, Colombiens, Chiliens, Péruviens, ne respectent plus les droits des 7 millions de Vénézuéliens qui fuient le chavisme. L’armée péruvienne est déployée sur les frontières. Les Costariciens ne veulent plus des Nicaraguayens. Les Honduriens se plaignent des Cubains, mais tentent leur chance vers les États-Unis en passant par le Mexique où ils se font racketter, tuer, violer, comme tous les migrants du monde. Comme ailleurs, ce sont les cartels et le crime organisé qui creusent les tunnels, achètent les complicités, rançonnent les malheureux. 

En Asie, les Japonais refusent, malgré leur démographie atone, l’immigration. L’Australie craint la cinquième colonne chinoise, déjà en place dans d’autres pays d’Asie, où elle subit de temps en temps quelques violences. En Afrique, les migrations alimentent les bandes armées, soit en soldats, soit en traite. Les Libyens rançonnent, les Tunisiens chassent les migrants dans le désert, les Algériens les repoussent avec l’armée, les Marocains les bastonnent. Les murs se dressent dans le monde. Pas seulement aux États-Unis et en Europe, en Inde, face au Bangladesh : 4096km ; en Chine, face à la Birmanie : 5000km, en Algérie : 6700km. 

Quels sont les pays où la proportion d’immigrés est la plus importante par rapport à la population ? Émirats Arabes Unis 88%, Koweït 72%, Oman (46%), Arabie saoudite (38%), Jordanie, 33%, Australie (30%), Canada (21%), Suisse 28%, Suède 19%, Kazakhstan, 19%. Allemagne, 18%. Gabon 18%.  Espagne, 14%. La France est à 13%.

Des migrants arrivent sur l’île de Lampedusa. REUTERS/Alessandro Bianchi/Files

Plus les réponses sont simplistes, plus elles sont inefficaces.

La quasi-totalité des immigrés sont des immigrés « économiques ». Ce ne sont pas les plus pauvres qui partent, ce sont ceux qui ont les « moyens » de partir. Les autres causes sont plus dramatiques : guerres et guerres civiles. 

A ce phénomène mondial, personne n’a trouvé de réponse. Plus les réponses sont simplistes, plus elles sont inefficaces. Le Brexit était censé protéger le Royaume-Uni des règles européennes : il y a plus d’immigrés. Le mur à la frontière mexicaine devait bloquer le flux migratoire : Il enrichit les cartels et mobilise une police des frontières avec tout ce que cela comporte d’excès. Au Mexique, Ferromex a suspendu 60 trains de marchandises utilisés par des milliers de migrants pour rejoindre les États-Unis. Des milliers d’Haïtiens, ont assailli un bureau d’immigration pour exiger la délivrance de titres de transit. La République dominicaine a fermé sa frontière avec Haïti. 

Pourquoi des femmes, des enfants, des pères, sont-ils capables de traverser le désert, payer une fortune, s’embarquer dans des bateaux pourris, risquer de mourir en mer, rester dans des camps d’esclavage, pour rejoindre l’Europe ? 

L’Europe (les États-Unis ou la Colombie) leur semble un paradis, ce qui est vrai par rapport au pays dans lequel ils vivent.

Est-ce pour autant qu’il faut ouvrir les portes ? S’il y a un droit à émigrer, il n’y a pas de droit à immigrer dans un pays tiers. Sauf à être considéré comme réfugié. La Convention de Genève de 1954 définit le réfugié comme celui « qui, craignant avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de
sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Mais la convention précise : « le simple fait d’appartenir à un certain groupe racial ne suffira pas à établir le bien-fondé d’une demande de reconnaissance du statut de réfugié ». Pas plus que « la simple appartenance à telle ou telle communauté religieuse ne suffira pas à établir le bien-fondé d’une demande de reconnaissance du statut de réfugié. » De même, « La persécution du fait de ses opinions politiques suppose que l’intéressé a des opinions qu’il a exprimées ou qui sont parvenues à la connaissance des autorités ».  

En outre, « Lorsqu’un demandeur prétend craindre des persécutions dans le pays dont il a la nationalité, il convient d’établir qu’il possède effectivement la nationalité de ce pays. » Ce qui signifie que les « sans papiers » ne peuvent être reconnus comme « réfugiés », mais comme migrants.

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« S’il est mû exclusivement par des considérations économiques, c’est un migrant économique et non pas un réfugié ». 

« Un migrant est une personne qui (…) quitte volontairement son pays pour aller s’installer ailleurs. Il peut être mû par le désir de changement ou d’aventure, ou par des raisons familiales ou autres raisons de caractère personnel. S’il est mû exclusivement par des considérations économiques, c’est un migrant économique et non pas un réfugié ».

Ces textes, relativement précis, adoptés par 145 États du monde, imposent un principe universel de protection. Il distingue le migrant du réfugié, confusion volontairement entretenue.

Dans la mesure où le droit d’asile est garanti, aussi bien dans le droit interne (la Constitution) que les traités internationaux (le droit européen, comme la Cour européenne des Droits de l’Homme, reprennent les traités validés dans les années 50 et 60), les migrants économiques usent de ces garanties. Toute la difficulté, au-delà du devoir de sauver des vies, est dans l’obsession folle et encouragée qui fait qu’un étranger qui met le pied sur le sol européen, à Lampedusa ou à Lemnos, est presque assuré de rester en Europe. Si sa demande est rejetée, il entrera dans une clandestinité généralement tenue par des réseaux plus ou moins criminels.

« Si nous ne modifions pas la politique actuelle en matière d’asile et de réfugiés, les accidents mortels se poursuivront ».

« Le droit d’asile est réservé aux personnes victimes de persécutions. Les individus souhaitant vivre en Europe pour d’autres raisons doivent déposer leur dossier par les canaux réglementés, tels que les permis de travail ou les séjours d’études », écrit le ministre danois social-démocrate Kaare Dybvad Bek : « Si nous ne modifions pas la politique actuelle en matière d’asile et de réfugiés, les accidents mortels se poursuivront, tandis que nous courons le risque de voir les citoyens ordinaires perdre confiance dans les dirigeants et les institutions. À long terme, cela pourrait conduire les électeurs à se tourner vers l’extrême droite européenne, qui ne tentera de résoudre le problème qu’avec des murs plus hauts et des barbelés, sans aucun égard pour l’aspect humanitaire (…) Pour ce faire, il convient de modifier le principe actuel selon lequel les personnes mettant le pied sur le sol européen ont le droit d’y faire traiter leur demande d’asile. »

Offrir protection à un persécuté est une évidence ; ouvrir les frontières aux migrants économiques est un choix politique. 

L’apport économique ou démographique peut être salutaire – ou non. Le patronat allemand plaide pour l’immigration. Le BTP et les vignerons français aussi. L’intégration marche mieux que ce que l’on décrit : à la deuxième génération les enfants issus de l’immigration marocaine ou algérienne ont quasiment le même niveau de diplômes, notamment les filles, que les « natifs ». La question n’est pas une question religieuse, démographique, économique, moins encore, policière. Elle est culturelle, éducative. Il y a ce paradoxe de vider les pays « pauvres » de leurs meilleurs cadres ; médecins, ingénieurs, infirmiers, etc. Mais ces considérations, sont d’un autre ordre que la question du droit international. Et des principes qui le fondent.

Or il faut commencer par les principes, des tentatives apparaissent pour les contester : cette demande aberrante d’un referendum sur l’immigration qui placerait la loi nationale au-dessus des traités, y compris européens. Ce qui reviendrait à quitter l’Europe, à renier la Constitution française (art 55), à renier le droit international, comme une vulgaire junte militaire. L’extrême droite européenne propose, elle, « Une Charte du droit des Peuples et des Nations ». Cela revient à imposer le droit des États au-dessus des Droits de l’Homme et du Citoyen. À nier l’« état de Droit », l’État soumis au droit. Lequel ? Celui, universel, des « hommes qui naissent libres et égaux en droit ». Ceux qui prétendent ériger un droit des peuples, c’est-à-dire un pouvoir coercitif au nom des peuples mentent : le peuple, c’est la communauté des citoyens. C’est le droit des citoyens qui fonde le peuple. Ils disent « notre peuple » alors qu’ils n’en sont que les serviteurs (ou profiteurs) éphémères. Ils veulent s’octroyer des droits au-dessus des droits de l’Homme et du Citoyen. 

« Le droit des Nations » revient à imposer le droit des États au-dessus des Droits de l’Homme et du Citoyen.  

Le pape rappelle quelques évidences : la fraternité n’est pas un mot creux. Le droit n’empêche en rien les États à dire s’ils veulent des immigrés ou non. Respecter le droit actuel ne signifie pas accueillir toutes les femmes afghanes ou tous les homosexuels du Moyen-Orient. Cela oblige à accueillir les persécutés : ceux qui se battent pour le droit. Ce qui suppose aussi de faire comprendre que passer la Méditerranée, dans des conditions mortelles, ne donne aucun droit. Sauver, mais renvoyer. Cette certitude doit empêcher ce massacre. Donner l’asile aux persécutés, mais renvoyer les illégaux. Le refus de l’immigration vient de l’échec de l’intégration. Le Pape, toujours : l’intégration « prépare l’avenir qui, qu’on le veuille ou non, se fera ensemble ou ne sera pas » ; «l’assimilation, qui ne tient pas compte des différences et reste rigide dans ses paradigmes, compromet l’avenir en augmentant les distances et en provoquant la ghettoïsation, provoquant hostilité et intolérance ». 

Enfin, définir l’immigration légale, dont l’Europe, et bien d’autres, ont besoin : « la solution n’est pas de rejeter, mais d’assurer, un grand nombre d’entrées légales et régulières, durables grâce à un accueil équitable de la part du continent européen, dans le cadre d’une collaboration avec les pays d’origine ». Passer du règne de l’illégalité, y compris celle des États, au règne du droit. 

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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