Le nucléaire est-il la solution ?

Le nucléaire est-il la solution ?

Rick Perry, ancien gouverneur du Texas et secrétaire à l’Énergie durant le premier mandat de Donald Trump, entend relancer l’énergie nucléaire aux Etats-Unis. Le 4 juillet, jour de la fête nationale américaine, il a lancé Fermi America, une entreprise ayant pour ambition de construire le plus vaste complexe énergétique et de centres de données au monde. Près d’Amarillo au Texas, les bulldozers déplacent la terre rouge pour un site qui produira d’abord de l’électricité à partir de gaz naturel et de solaire, avant l’édification de réacteurs nucléaires classiques et de plusieurs petits réacteurs modulaires (SMR), pour une puissance totale de 11 gigawatts (GW).

L’accident de Fukushima en 2011 a profondément terni l’image du nucléaire. Il a provoqué la sortie de cette énergie en Allemagne, sortie devenue effective en 2023. Bien que cette énergie conserve une place significative dans le mix de certains pays comme la France, aucun projet n’a été mené à bien dans le respect des délais et des budgets impartis en Europe ou en Amérique du Nord. Tandis que le coût des renouvelables chutait, les projets nucléaires aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou en Finlande s’enlisaient dans les retards et les dépassements financiers. En France, le coût de l’EPR de Flamanville est passé de 3,3 milliards d’euros à 19,1 milliards d’euros (en euros constants de 2015), soit environ 5,8 fois le budget initial. Mais le 25 août dernier, Fermi et Westinghouse ont annoncé un partenariat pour soumettre à autorisation la construction de quatre réacteurs nucléaires à Amarillo.

L’énergie nucléaire a de l’avenir

Plusieurs facteurs jouent en faveur d’un renouveau du nucléaire. D’abord, la volonté croissante des gouvernements occidentaux de sécuriser leur production électrique. Deuxièmement, les besoins énergétiques croissants des entreprises du secteur des technologies de l’information et de la communication. Enfin, l’émergence de modèles opérationnels et financiers susceptibles d’améliorer une économie du nucléaire jugée jusque-là trop risquée.  Par ailleurs, Donald Trump a appelé à quadrupler la capacité nucléaire domestique pour atteindre 400 GW d’ici 2050. Un objectif irréaliste, mais qui mobilise le système économique. Adoptée en juillet, la loi One Big Beautiful Bill comporte des crédits d’impôt et des subventions en faveur du secteur énergétique. Les États républicains, comme le Texas, se montrent favorables à cette initiative. Des États démocrates, comme New York, autrefois hostiles, revoient leur position. Après avoir fermé une grande centrale en 2021, ils souhaitent aujourd’hui en construire de nouvelles pour éviter toute pénurie.

Coût complet de production d'un Mégagawatt d'électricité
Le coût prend en compte la construction, le démantèlement des installation et celui le cas échéant des déchets. ©Philippe Crevel

Sur le vieux continent, la Commission européenne a publié en juin une feuille de route prévoyant une hausse de la capacité nucléaire de 100 à 145 GW d’ici 2050. L’Allemagne a renoncé à s’opposer au classement du nucléaire comme énergie « verte » dans la réglementation européenne, facilitant les projets français de six nouvelles centrales EPR. En juillet, Londres a donné son autorisation à Sizewell C, à la construction de deux réacteurs dont le coût pourrait dépasser 38 milliards de livres (48 milliards d’euros). La Suède a confirmé la construction de plusieurs petits réacteurs modulaires produits en usine et déployés (SMR) ensuite sur site. Si la technologie n’est pas encore mature, la promesse de coûts initiaux plus réduits et de déploiements plus rapides séduit. Plus de 120 entreprises travaillent sur ce type de réacteurs. D’ici 2050, la capacité nucléaire nette hors Chine et Russie pourrait croître de plus de 50 %, à plus de 450 GW, dont 40 à 60 % via des SMR, ouvrant un marché d’un millier de milliards de dollars. Parallèlement, des dizaines de start-up se lancent dans la fusion nucléaire, pari bien plus risqué mais porteur d’une énergie quasi illimitée et décarbonée. Depuis 2024, les start-up de SMR ont levé plus de 2 milliards de dollars de capitaux aux Etats-Unis. En juin, Oklo, soutenue par Sam Altman (OpenAI), a levé 460 millions de dollars, tandis que TerraPower, fondée par Bill Gates, a collecté 650 millions. Google s’est associé à Kairos Power pour développer une flotte de SMR d’ici 2035. La fusion attire aussi des capitaux : Commonwealth Fusion Systems (également soutenue par Gates) a levé 863 millions en août. Les GAFAM s’engagent de plus en plus sur le secteur de l’énergie en investissant à la fois dans les renouvelables et dans le nucléaire. La centrale nucléaire de Clinton (Illinois), exploitée par Constellation Energy, menacée de fermeture en 2027, faute de rentabilité face au gaz de schiste, a été sauvée par Meta (Facebook) qui a signé un contrat de 20 ans finançant sa prolongation contre des crédits carbone. Microsoft avait conclu un accord similaire en Pennsylvanie. Depuis les décrets pro-nucléaires de Trump, les cours boursiers du secteur sont en forte hausse.

Une première mondiale Google va alimenter ses serveurs ia avec un réacteur nucléaire
Une première mondiale Google va alimenter ses serveurs ia avec un réacteur nucléaire - Illustration ©Adobestock

Le prix, dernier frein ?

Pour le moment, les coûts du nucléaire et des SMR dépassent le prix de marché de l’électricité. Les contraintes réglementaires ont rendu ce secteur peu compétitif par rapport aux énergies renouvelables.

La Chine et la Corée du Sud ont prouvé récemment qu’il est possible de construire des réacteurs nucléaires en cinq ans grâce à des processus standardisés. Un article récent signé Daniel Kammen dans la revue scientifique Nature souligne le rôle clé du vaste marché électrique chinois qui offre des gains de productivité importants aux acteurs du secteur. Les marchés européens et américains restent segmentés ce qui génère des surcoûts. Les pays de l’OCDE devraient mutualiser les financements mutualisés avec un apport plus important des entreprises de la haute technologie à travers la signature de contrats longs.

L’énergie nucléaire offre l’avantage d’être relativement peu sensible aux aléas climatiques même si la question du refroidissement des centrales peut se poser avec une acuité plus forte en raison du réchauffement climatique. Elle a comme atout de pouvoir fournir des quantités importantes d’énergie pouvant répondre aux besoins des acteurs économiques. Son coût s’est fortement accrue en raison des contraintes qui ont été imposées après l’accident de Fukushima. L’arrêt des constructions de centrales nucléaires a par ailleurs provoqué une perte de compétences et de savoir-faire qui provoquent des surcoûts au moment de la relance des programmes. La désindustrialisation des pays occidentaux constitue pour ces derniers un handicap pour recréer une industrie nucléaire. Les pays comme la France ou les Etats-Unis qui disposent d’un parc de centrales nucléaires important sont confrontés à un réel dilemme. Ils sont appelés en effet dans les prochaines années à les remplacer, leur prolongement étant une source de dangers à terme. Or, faut-il opter pour des réacteurs de forte puissance style EPR, développer les SMR ou recourir de manière plus massivement aux énergies renouvelables ?

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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