Le monde est multilatéral ou ne sera plus

Le monde est multilatéral ou ne sera plus

L’Organisation des Nations unies est décriée : certains la jugent inutile, d’autres impuissante. Pour autant, l’Assemblée générale annuelle demeure un moment incontournable. Cette année, elle a notamment été marquée par la reconnaissance de la Palestine par Emmanuel Macron ainsi que par le discours de Donald Trump qui, tout en s’en prenant à l’Organisation, a tenu à s’en servir comme tribune. Donald Trump prône le retour à l’isolationnisme ; il a décidé la sortie de son pays des accords de Paris de 2015 sur la transition écologique et de l’Organisation mondiale de la santé.

Pour autant, jamais la densité des relations internationales n’a été aussi forte. Les dirigeants passent leur temps à se parler, que ce soit à l’occasion de commémorations, de rencontres bilatérales ou multilatérales. Malgré la montée des tensions protectionnistes, l’interdépendance est omniprésente. Nul ne peut prétendre aujourd’hui vivre en autarcie. La Chine a besoin du pétrole du Moyen-Orient, tout comme l’Europe. Celle-ci, de même que les États-Unis, importent une grande partie de leurs microprocesseurs et de leurs batteries d’Asie. Les solutions informatiques américaines se sont imposées dans un très grand nombre de pays.

La mondialisation et multilatéralisme

Tous les secteurs échappent difficilement à la mondialisation : santé, alimentation, industrie, finances, tourisme, transports, biens d’équipement… Les zélateurs de la démondialisation risquent d’en être pour leurs frais. Certes, aujourd’hui, les échanges mondiaux progressent moins vite que dans les années 1990-2000, mais il n’y a pas de décrue. On observe des adaptations, des réallocations, mais pas de retour à la situation qui prévalait dans les années 1980. Les importateurs modifient leurs pays d’approvisionnement en fonction du montant des droits de douane, des coûts de production et des contraintes réglementaires.

Le multilatéralisme apparaît moins flamboyant aujourd’hui qu’hier, mais cela n’empêche pas la conclusion de grands accords, comme celui qui concerne le trafic maritime. Par ailleurs, les États mènent des coopérations de plus en plus poussées au niveau régional : l’Union européenne en est l’une des manifestations les plus connues. En Asie comme en Afrique, le multilatéralisme se développe également. Les accords commerciaux entre communautés d’États se multiplient. L’Union européenne a ainsi signé des dizaines d’accords, comme celui avec les pays d’Amérique latine (Mercosur). Ces traités visent à faciliter les échanges en réduisant les contraintes tarifaires et non tarifaires.

La force efface la diplomatie ?

Avec Donald Trump, avec Xi Jinping, avec Vladimir Poutine, le droit semble s’effacer devant les rapports de force, les puissants l’emportant sur les faibles. A l’ère des réseaux sociaux, les chefs d’État ont abandonné le langage diplomatique pour les punchlines. Pourtant, les échanges économiques, financiers et culturels demeurent soumis aux règles et aux accords acceptés par les parties. La Russie et l’Iran ne souhaitent qu’une seule chose : la levée des sanctions. Donald Trump pratique en permanence le troc mais s’enorgueillit des accords dont il est à l’origine.

Vladimir Poutine, Donald Trump et Xi Jinping
Vladimir Poutine, Donald Trump et Xi Jinping, montage. ©YANA LAPIKOVA/RIA NOVOSTI/AFP-SAUL LOEB/AFP-FRED DUFOUR/AFP

L’Union européenne est accusée de faiblesse par certains dirigeants des États membres. Elle sert avant tout de bouc émissaire, coupable idéale des impuissances nationales. Sur le plan économique, qui peut imaginer que la France pourrait négocier en meilleure position que la Commission de Bruxelles, représentante d’un marché de 450 millions d’habitants ?

Certains soulignent qu’elle n’est pas légitime car elle n’est pas élue. Or, ses membres sont désignés par les gouvernements démocratiques des États membres et sa composition est approuvée par le Parlement européen, élu tous les cinq ans.

La Commission n’a pas le pouvoir de décision ultime, celui-ci relevant du Conseil européen qui rassemble les chefs d’État et de gouvernement. Les institutions européennes sont complexes et parfois incomprises car elles sont l’expression de multiples compromis.

Aujourd’hui, l’incapacité à construire du consensus au niveau international comme au niveau national est une source de défiance et d’affaiblissement économique. Au moment où l’Occident est en proie à une tentation au repli, il n’est pas surprenant que le flambeau du libre-échange et de l’ouverture sur l’extérieur soit repris par la Chine et les pays du Sud.

Loin de disparaître, le multilatéralisme se transforme. Ses formes anciennes, centrées sur de grandes organisations universelles, s’essoufflent, mais d’autres émergent, portées par des alliances régionales, des partenariats stratégiques ou des coalitions d’intérêts. La gouvernance mondiale ne s’efface pas, elle se recompose. Si les États européens ou les États-Unis venaient à tourner le dos à plus de quatre-vingts ans d’échanges à haut niveau, ils signeraient l’acte de leur déclin et de leur effacement.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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