Le monde s’éclate, dans tous les sens du terme. la France s’enlise-t-elle ? L’épidémie, les réactions de déni autant que de panique qu’elle a provoquées, l’écartèlent : frénésie ici, déchirement là-bas.
D’un coté, le nombre d’utilisateurs de cryptomonnaies a été multiplié par deux en six mois : 221 millions en juin. De l’autre, selon l’ONU, la pandémie de Covid-19 a poussé 124 millions de personnes supplémentaires dans l’extrême pauvreté.
Le grand écart est comparable à celui de la révolution industrielle
Crises de la faim et misère provoquent des manifestations -en Afrique du sud, Tunisie, Cuba, Nicaragua- et des répressions. Les régimes autoritaires verrouillent les oppositions. Tout ne vient pas de la crise, elle accentue les failles.
A l’inverse, les Etats-Unis ont dépassé leur niveau d’avant crise : +6% de croissance au dernier trimestre. L’Europe suit, mais de plus loin : +2%. La France, elle, s’approche du niveau d’avant crise, mais reste à -3% de son niveau de PIB d’avant la coronacrise. Simple retard ?
Comme prévu, les riches s’en sortent mieux que les pauvres, surtout dans une révolution économique : le grand écart est comparable à celui de la révolution industrielle.
Certaines entreprises atteignent des sommets. Au dernier trimestre, Amazon a réalisé 7.8 milliards de $ de bénéfices. Facebook 10.4 M$ ; Microsoft, 16.5 M$ ; Google 18.5 M$ ; Apple 21.7 M$. Ces cinq sociétés américaines ont donc gagné 75M$ ces trois derniers mois.
« Serons-nous une nation leader sur les technologies de rupture ou une nation cliente ? »
« Cette crise va accélérer les révolutions technologiques de manière stupéfiante. Serons-nous une nation leader sur les technologies de rupture ou une nation cliente ?» s’interroge Bruno Le Maire, en annonçant un futur plan d’investissement, « la France en 2030 » : 20 à 30 milliards pour les cinq ans à venir.
Après avoir dépensé entre 70 et 100 milliards pour maintenir l’économie sous perfusion pendant un an, on envisage d’en investir 4 et 6 milliards par an dans des filières d’avenir. D’un coté l’Etat à 4 Milliards par an, de l’autre cinq Gafas avec 300 milliards de bénéfice par an. Qui tient les clés de l’avenir ?
Le syndrome des ronds points est dans la tête
Depuis le temps que l’Etat investit dans l’avenir on devrait être arrivé. De fait, on y est : bloqué dans une vision qui tourne en rond. Le syndrome des ronds points est dans la tête. Pendant que les Américains laissaient fleurir la Silicon Valley, la France construisait soixante mille ronds points. En coûts d’entretien annuel, cela représente 5 milliards d’euros par an. Plus que les investissements d’avenir.
Cette semaine, Ariane Espace a lancé Eutelsat Quantum, premier satellite commercial dit « flexible », fruit d’un partenariat public privé lancé il y a plusieurs années, qui ouvre la voie à une production de satellites en série. Très bien. Pendant ce temps, Jeff Bezos, revenant de sa tournée dans l’espace, propose à la Nasa de lui donner 2 milliards de dollars à condition que sa société, Blue Origin construise le prochain vaisseau lunaire à la place de SpaceX, la société d’Elon Musk, bénéficiaire d’un contrat de 2.9 milliards de dollars pour amener des astronautes sur la lune en 2024. Le chiffre d’affaires d’Ariane Espace pour 2020 est de 1 milliard. Space X n’existait pas il y a quinze ans.
Réponses conventionnelles dans un univers qui ne l’est pas. C’est l’écosystème France qu’il faut changer.
« Le problème, c’est que nos idées sont rachetées par d’autres car nous n’avons pas les écosystèmes pour les produire » analyse Bruno le Maire. La question est en effet celle de l’écosystème. Face au Gafas, les réponses classiques sont taxation et « dépenses d’avenir ». Réponses conventionnelles dans un univers qui ne l’est pas. C’est l’écosystème France qu’il faut changer.
Un écosystème fit grandir hier des artisans ingénieux qui avaient nom Renault, Citroën, Coty, Chanel, Cardin, Dassault ; un autre fit germer d’autres artisans : Bezos, Zuckerberg, Musk, Jobs.
La France reste-elle un pays d’inventions, d’artisans entreprenants? A-t-elle le système éducatif du nouveau monde ? Une fiscalité enviée? Une santé d’excellence? Une justice fiable, une administration amie et non adverse du citoyen ? La France peut-elle changer son écosystème ? En a-t-elle les moyens? Quelle est sa position dans le monde ?
La position extérieure de la France est devenue négative
Cette année, le déficit extérieur a encore battu un record : -1,9 % du PIB en 2020. La position extérieure de la France, reflet de l’accumulation des déficits de la balance des transactions courantes, qui comptabilise les échanges avec le reste du monde, années 2000, est devenue négative depuis les années 2000: Elle atteint désormais un solde de -30 % du PIB, fin de 2020.
Le Royaume-Uni est à -24%, l’Espagne à -84, mais se redresse. Comme l’Italie, à +2. Suède +18, Belgique +45, Allemagne +70, Pays-Bas +114%. Ces comparaisons montrent que cette situation n’est due ni à la mondialisation, à l’euro, ou à telle crise. C’est une dégradation lente due à nos faiblesses, à nos choix. La France peut donc retrouver une position extérieure positive comme ses voisins.
Quelques pistes : Une augmentation des dépenses publiques accroît mécaniquement le déficit commercial. 1 point de PIB de déficit public en plus, c’est un +0,7 point de PIB[1] de déficit commercial. Autre enseignement : Une hausse des prélèvements obligatoires dégrade la compétitivité, diminue les exportations, accroit les importations réduit les marges et la capacité d’investissement des entreprises.
Pourquoi 450.000 Français vont travailler chaque jour en Suisse, Luxembourg, Belgique, Allemagne et non l’inverse ?
L’écosystème à créer en France, pour qu’émergent les industries de demain, suppose un bouleversement de l’environnement fiscal, mais aussi social, économique, universitaire, juridique, etc…
Pourquoi 450.000 Français[2] vont travailler chaque jour en Suisse, Luxembourg, Belgique, Allemagne et non l’inverse ? Pourquoi les grands groupes français investissent à l’extérieur plus qu’en France ? Pourquoi les jeunes vont-ils aux Etats-Unis et au Royaume-Uni ? Pourquoi les retraités s’installent-ils au Portugal ?
De quel coté va se trouver la France ?
Les Français de l’étranger le voient mieux que quiconque : les uns sont face à l’aggravation de la misère, les autres dans le courant ascendant de la révolution mondiale. De quel coté va se trouver la France ?
L’archaïsme de l’Etat saute aux yeux, soit parce qu’il n’arrive plus à répondre aux plus pauvres, soit parce qu’il est dépassé par des acteurs qui le regardent de haut. L’enjeu n’est pas qu’un enjeu de richesse et de pauvreté, mais aussi de civilisation. Recouvertes par d’autres, elles disparaissent en s’enlisant.
Laurent Dominati
A. Ambassadeur de France
A. Député de Paris
[1] Selon le modèle macroéconomique de l’INSEE et de la direction du Trésor.
[2] 438.000 selon un rapport du Commissariat général à l’égalité des Territoires en 2017.
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