Le « deutsche Michel », une personnification nationale comme l’Oncle Sam américain, John Bull britannique ou Monsieur Dupont en France, est un homme prudent, buvant une chope de bière. Il est peu enclin aux bouleversements. Mais il était, jusqu’à présent, fier de la réussite industrielle de son pays. Michel est aujourd’hui désappointé : l’économie allemande a enregistré un recul de son PIB pour la deuxième année consécutive. Ce dernier n’ayant progressé que de 0,1 % au cours des cinq dernières années. Cette situation économique peu reluisante risque de peser lourd dans les résultats des élections législatives prévues le 23 février prochain.
L’Allemagne a déjà connu une situation similaire au début des années 2000, après la réunification. À l’époque, tout comme aujourd’hui, la Chine avait gagné d’importantes parts de marché à l’exportation, déstabilisant l’industrie européenne. En 2025, l’Allemagne semble plus fragile qu’en 2000. Les États-Unis, autrefois gardiens et protecteurs de l’économie mondiale fondée sur des règles multilatérales, se sont engagés dans une série de rapports de force. La Chine, autrefois adepte des équipements allemands, s’en passe désormais au profit de ceux qu’elle fabrique elle-même.
Le rapprochement de Mercedes avec Renault pourrait redevenir d’actualité.
La remise en cause est sévère pour l’industrie automobile, symbole de la puissance industrielle allemande qui traverse des difficultés sans précédent depuis 1945. Le secteur a perdu quelque 10 000 emplois en 2024. L’idée d’une fusion avec des groupes étrangers n’est plus exclue, ce qui était impensable il y a encore quelques années. Le rapprochement de Mercedes avec Renault pourrait redevenir d’actualité. Tesla, le constructeur de véhicules électriques d’Elon Musk, a ouvert une usine à 50 km de Berlin, avec des projets d’expansion. De plus, des concurrents chinois envisageraient d’acheter certaines usines de Volkswagen.
Dans les années 1970, lorsque les fabricants allemands d’appareils photo, leaders mondiaux, ont été concurrencés par des entreprises rivales japonaises, ils se sont recentrés sur d’autres types d’équipements optiques. Cette réorientation a été gagnante, car ce secteur a créé 2 000 emplois de juin 2023 à juin 2024. Ces entreprises fournissent aujourd’hui l’industrie des semi-conducteurs et celle de l’aérospatiale.
Des sources de croissances ?
Certaines entreprises de l’industrie automobile pourraient se réorienter vers l’aérospatiale. Mais aussi vers la défense ou le secteur médical, des domaines en forte croissance, qui requiert un haut niveau de recherche.
La transition écologique pourrait être une autre source de croissance. Infrastructures de recharge, électrolyseurs d’hydrogène, électrification industrielle, réseaux électriques intelligents : l’Allemagne dispose d’avantages comparatifs certains dans tous ces domaines. Même dans le secteur de l’intelligence artificielle, elle pourrait jouer un rôle plus important, compte tenu de son intégration progressive dans les processus industriels. Le Mittelstand allemand, composé d’entreprises de taille moyenne spécialisées dans des niches industrielles, est réputé pour ses relations avec les clients et sa connaissance fine de leurs besoins et de leurs données. Chose qui a été un atout pendant la révolution Internet. Les entreprises de fabrication et de construction de machines sont susceptibles d’ajouter davantage de services à leurs portefeuilles pour aider leurs clients à adopter les nouvelles technologies. Ces services liés à l’industrie ont créé 35 000 emplois entre 2023 et 2024.
En 2024, plus de 2 700 start-ups ont été créées en Allemagne, soit environ 11 % de plus qu’en 2023.
De nouvelles entreprises émergent pour répondre aux besoins changeants de l’économie mondiale. En 2024, plus de 2 700 start-ups ont été créées en Allemagne, soit environ 11 % de plus qu’en 2023. Entre 2015 et 2019, les investisseurs en capital-risque ont investi moins de 5 milliards de dollars (soit environ 0,14 % du PIB) par an en Allemagne. Depuis, ce chiffre est passé à 11 milliards de dollars (soit 0,2 % du PIB) en moyenne par an.
La transformation de l’économie allemande pourrait cependant pénaliser certaines régions. Les zones industrielles risquent d’être perdantes, en particulier celles qui abritent des entreprises ayant du mal à réduire leurs émissions. Tirschenreuth, en Bavière, où se trouvent des producteurs de papier, et le Haut-Sauerland, près de Dortmund, où est implantée l’industrie du bois, seront confrontés à des difficultés. À l’inverse, les zones urbaines, où talents et idées ont tendance à se concentrer, devraient en profiter. Tesla a ainsi décidé d’implanter son usine en périphérie de Berlin.
La Saxe est devenue le premier pôle de fabrication de microprocesseurs en Europe
À l’est de l’Allemagne, la Saxe est également susceptible de prospérer. En partie grâce à la politique industrielle du gouvernement est-allemand dans les années 1980, qui cherchait à développer une expertise dans les semi-conducteurs afin de réduire la dépendance à l’égard de l’Ouest capitaliste, la région est aujourd’hui devenue le premier pôle de fabrication de microprocesseurs en Europe, avec plus de 80 000 emplois. En août 2024, la construction d’une nouvelle usine de semi-conducteurs a commencé à Dresde. Dans le cadre d’un projet mené par TSMC, un fabricant taïwanais, constituant l’investissement le plus important en Saxe depuis 1990.
Dans le même temps, le nord-est de l’Allemagne, région venteuse, bénéficie d’une demande croissante en énergie renouvelable. Une étude de l’institut de recherche IWH révèle que l’est de l’Allemagne perd actuellement moins d’emplois que le sud plus riche. La destruction créatrice est rarement agréable, surtout pour une population peu encline aux changements brutaux. Elle est néanmoins nécessaire pour garantir, à terme, la pérennité du modèle allemand. La densité du tissu industriel, le haut niveau de compétences des salariés et la renommée de qualité sont des atouts pour réussir la réorientation de l’économie germanique.
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