« L’avenir est prometteur » aime à répéter José Manuel Entrecanales, PDG d’Acciona, une entreprise de construction espagnole, devenu un des acteurs majeurs des infrastructures d’énergies renouvelables. A Madrid, l’optimisme est de rigueur quand à Berlin ou à Paris, l’inquiétude prédomine. L’économie espagnole a enregistré en 2024 une croissance de 3,2 %, soit près de quatre fois la moyenne de la zone euro. À titre de comparaison, le PIB de la France n’a augmenté que de 0,8 %, tandis que celui de l’Allemagne a reculé pour la deuxième année consécutive.
Les recettes touristiques de l’Espagne sont près de deux fois supérieures à celles de la France.
L’indice boursier IBEX 35, qui suit les 35 plus grandes entreprises cotées à la Bourse de Madrid, a progressé de 14,8 %, soit l’une des plus fortes hausses parmi les grands indices européens. Le secteur du tourisme, durement frappé par la pandémie, a accueilli un nombre record de 94 millions de visiteurs dans un pays de 48 millions d’habitants. Il en attend 100 millions cette année, soit un niveau comparable à celui de la France. Le tourisme contribue directement à hauteur de 13 % du PIB espagnol, et indirectement à hauteur de 20 %, via les dépenses en restauration, transports et commerce de détail. « C’est notre pétrole », plaisante José García Cantera, directeur financier de la banque Santander. Les recettes touristiques de l’Espagne sont près de deux fois supérieures à celles de la France.
De nombreuses grandes entreprises espagnoles prospèrent et deviennent des références mondiales. Inditex s’est imposé comme l’un des plus grands groupes mondiaux de distribution de vêtements. Fondé en 1985 par Amancio Ortega, l’un des hommes les plus riches d’Europe, le groupe détient des marques telles que Zara, Pull & Bear, Massimo Dutti, Bershka, Stradivarius ou Oysho. Présent dans plus de 90 pays, avec plus de 5 700 magasins à fin 2023, Inditex affiche un chiffre d’affaires de 35,9 milliards d’euros pour un bénéfice net supérieur à 5 milliards d’euros.
L’Espagne abrite également deux des dix premières banques européennes en termes de capitalisation boursière (BBVA et Santander), ainsi que plusieurs géants de la construction et des infrastructures (Grupo ACS, Acciona, Ferrovial, FCC). Repsol reste une des grandes majors pétrolières européennes, et Iberdrola s’est imposé comme un des plus grands producteurs d’électricité du continent. Sener, société d’ingénierie basée à Bilbao, emploie environ 4 000 personnes et participe à de nombreux projets d’infrastructure à travers l’Europe.
Le faible coût de l’électricité grâce à un recours massif aux énergies renouvelables.
Deux facteurs majeurs expliquent en partie le dynamisme actuel de l’Espagne. Le premier est le coût relativement faible de l’électricité, quasiment aussi bas qu’aux États-Unis. Il y a vingt ans, l’Espagne importait la moitié de son électricité. Aujourd’hui, elle est quasiment autosuffisante, grâce à un recours massif aux énergies solaire, éolienne et hydroélectrique.
Selon BBVA, la part des énergies renouvelables dans la production d’électricité est passée de 45 % en 2021 à 65 % en 2024, entraînant une baisse de 20 % des prix de l’électricité. Ce ratio devrait atteindre 80 % d’ici 2030, permettant une baisse supplémentaire des coûts.
La deuxième explication est l’immigration, facteur de dynamisme démographique et économique. En douze ans, la population est passée de 46 à 49 millions. Sur les six dernières années, la main-d’œuvre née à l’étranger a augmenté de 1,2 million de personnes. Grâce à une intégration globalement réussie, l’immigration ne suscite pas les tensions observées ailleurs en Europe. Vox, parti d’extrême droite, concentre ses attaques sur des thèmes sociétaux (avortement, famille), mais aborde peu la question migratoire.
Les loyers ont doublé, les salaires n’ont progressé que de 20 %.
Toutefois, cette croissance démographique accentue les tensions sur le marché immobilier. En avril, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté à Madrid et dans une quarantaine d’autres villes pour réclamer davantage de logements abordables. Selon la Banque centrale espagnole, près de 40 % des ménages locataires consacrent plus de 40 % de leurs revenus à leur logement. Sur les dix dernières années, les loyers ont doublé, tandis que les salaires n’ont progressé que de 20 %.
D’autres défis menacent l’économie espagnole. L’insuffisance de l’investissement privé, toujours inférieur à son niveau de 2019, pèse sur la productivité. Depuis dix ans, la croissance de la productivité du travail n’a été que de 0,2 % par an en moyenne, contre 0,9 % dans l’OCDE. La complexité administrative, tant au niveau central que régional, freine l’activité économique.
La mise en œuvre des réformes est entravée par l’absence de majorité politique stable. Ainsi, de nombreux projets d’infrastructures prennent du retard : l’extension de l’aéroport de Barcelone est bloquée depuis plus de 15 ans.
L’Espagne affiche un dynamisme économique remarquable, porté par un tourisme florissant, une politique énergétique ambitieuse et une intégration migratoire relativement apaisée. Des groupes industriels et bancaires puissants y contribuent, renforçant son image de nouveau moteur de croissance en Europe. Toutefois, des fragilités demeurent : tensions immobilières, productivité stagnante, et difficultés politiques à mener des réformes structurelles. L’avenir espagnol est peut-être prometteur, mais son plein accomplissement dépendra de sa capacité à relever ces défis dans la durée.
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