BERLIN – Pour le ministre luxembourgeois de l’intérieur, Léon Gloden, les contrôles aux frontières sont loin d’améliorer la sécurité, contrairement à ce qu’affirme le gouvernement allemand, et ils causent des embouteillages pénalisant les échanges.
« Les contrôles frontaliers sont surtout symboliques », explique pour Euractiv Léon Gloden, le ministre de l’Intérieur du Luxembourg, membre du Parti populaire chrétien-social (CSV) de centre-droit. « Ils nuisent au Luxembourg et à l’Allemagne et n’apportent pas grand-chose – c’est ma conclusion ».
L’Allemagne avait déclenché un tollé parmi ses voisins, après avoir rétabli des contrôles à ses frontières à l’automne dernier, suite à des attaques commises par des personnes en situation irrégulière.
Ces contrôles sont venus s’ajouter à ceux qui existaient déjà aux frontières avec l’Autriche, la Pologne, la République tchèque et la Suisse, introduits en octobre 2023 pour réduire le nombre de demandes d’asile, qui reste élevé. Dans le cadre des pourparlers de coalition en cours, le prochain gouvernement allemand s’est engagé à renforcer ces contrôles.
Une menace pour l’espace Schengen ?
Pour le Luxembourg, voisin occidental de l’Allemagne, cette perspective s’apparente à de la politique politicienne inutile.
Léon Gloden estime que cette mesure menace l’espace Schengen, la zone de libre circulation européenne, qui est vitale pour second plus petit État de l’Union, situé entre l’Allemagne, la France et la Belgique. Quelques 225 000 personnes entrent chaque jour au Luxembourg pour travailler dans des secteurs clés comme la santé et la finance.
À l’approche en juin du 40e anniversaire de Schengen, les contrôles aux frontières intérieures de l’Union n’ont jamais été aussi nombreux depuis l’entrée en vigueur du traité. Les membres de l’espace Schengen ont renforcé la sécurité à leurs frontières en raison de la reprise intermittente de l’immigration dans l’UE après la pandémie du COVID-19.
Cette situation a poussé le ministre luxembourgeois de l’intérieur à jouer le rôle de l’un des derniers défenseurs de Schengen. Selon lui, l’Allemagne n’a pas tenu sa promesse de prévenir les encombrements.
« Je reçois presque quotidiennement des plaintes de navetteurs qui se demandent s’ils viendront encore travailler au Luxembourg. (…) De nombreux Luxembourgeois disent qu’ils ne se rendent plus à Trèves [en Allemagne], par exemple, pour faire leurs courses », explique le ministre.
En revanche, les contrôles sporadiques de la France, plus ou moins en place depuis les Jeux olympiques de l’année dernière, n’entraînent que des perturbations minimes, selon Léon Gloden.
Le cadre légal n’est pas respecté
Le ministre a mis en doute l’impact positif sur la sécurité des contrôles généralisés en Allemagne, que la ministre de l’intérieur sortante, Nancy Faeser, a récemment reconnu comme étant à l’origine d’une baisse des demandes d’asile.
Toutefois, les attaques qui ont motivé les contrôles allemands ont probablement été perpétrées par des migrants illégaux qui se trouvaient dans le pays depuis des années, a souligné Léon Gloden.
« Ils ne se sont pas rendus en Allemagne par l’autoroute Schengen un lundi matin pour commettre un attentat dans l’après-midi », explique-t-il.
Le dispositif allemand, qui se concentre sur deux points de contrôle permanents le long de deux autoroutes, laisse « d’innombrables possibilités d’entrer dans le pays par des ponts plus petits », continue Léon Gloden.
« Cette idée de points de contrôle permanents est absurde », ajoute-t-il.
Il recommande de se rendre sur place, car « les politiques à Berlin semblent actuellement totalement ignorer que ces contrôles (…) sont inutiles ».
Nancy Faeser, avec qui il entretient « une relation très amicale et de qualité », n’a montré « aucune volonté réelle » de procéder à des ajustements dans le cadre des négociations, a déclaré Léon Gloden.
Une plainte déposée contre l’extension des contrôles frontaliers
Compte tenu de ce désaccord, le Luxembourg a décidé en février de déposer une plainte auprès de la Commission européenne contre la dernière extension des contrôles frontaliers par l’Allemagne.
Selon les règles de Schengen, les contrôles doivent être justifiés comme étant proportionnés lorsqu’ils sont renouvelés tous les six mois. Selon le raisonnement de Léon Gloden, les contrôles allemands « ne répondent pas aux critères juridiques ».
Il affirme que Berlin « mise sur les contrôles aux frontières pour montrer que l’Allemagne fait quelque chose » suite aux attaques des derniers mois. Mais la meilleure solution serait de rechercher des solutions européennes. Telles que l’amélioration des contrôles aux frontières extérieures de l’UE, explique-t-il.
Après s’être entretenu avec le commissaire européen chargé des affaires intérieures, Magnus Brunner, Léon Gloden a bon espoir que ses préoccupations seront entendues.
« La Commission doit maintenant agir en tant que gardienne des traités », souligne-t-il.
Repousser les repoussoirs
Léon Gloden place certains espoirs dans le prochain gouvernement allemand, qui sera probablement dirigé par Friedrich Merz, du parti chrétien-démocrate (CDU), le parti frère du CSV de Léon Gloden.
Cela pourrait faciliter les choses, selon Léon Gloden, qui a augmenté la pression sur Friedrich Merz.
« J’espère que le nouveau gouvernement comprendra que les contrôles aux frontières ne sont pas une solution (…) [et] que ces contrôles seront abolis », continue-t-il.
Mais malgré l’accent mis par Friedrich Merz sur la coopération européenne, il est peu probable qu’il cède. De manière controversée, les demandeurs d’asile seront même systématiquement refoulés à la frontière « en coordination avec les voisins européens ».
Mais tout projet visant à renvoyer les migrants dans leur pays d’origine sans le consentement explicite de leur gouvernement constituerait une rupture d’accord pour le Luxembourg.
« Il est contraire à la législation de l’UE de repousser unilatéralement les immigrants illégaux. J’en suis convaincu », poursuit Léon Gloden. « Cela pourrait arriver (…) mais l’Allemagne ne se rendrait pas service si elle commençait à rejeter les exilés unilatéralement ».
Grande fête ou cérémonie funéraire ?
En fin de compte, Léon Gloden estime que l’attaque contre l’espace Schengen, l’une des « plus grandes réalisations de l’Europe avec l’euro », nuit à l’Europe elle-même.
Lorsqu’il était maire de la ville frontalière de Grevesmacher pendant la pandémie de COVID-19, il a pu constater les dégâts causés par les contrôles aux frontières. L’Allemagne avait fermé ses frontières pour empêcher la propagation du virus et a fait garder les ponts par des policiers armés. De nombreux Luxembourgeois ayant de la famille de l’autre côté de la frontière n’ont pas pu voir leurs proches sur leur lit de mort.
« Je pensais qu’après le COVID, les gens auraient compris que les contrôles aux frontières n’étaient pas la bonne solution », explique le ministre.
« Pour beaucoup de gens, lorsqu’un panneau dans un aéroport international indique ‘Sortie Schengen’, cela signifie vraiment liberté et démocratie. Nous ne devons pas permettre que les frontières se dressent à nouveau dans l’esprit de nos citoyens. »
Léon Gloden reste toutefois « optimiste » quant à la possibilité que Schengen atteigne son 50e anniversaire. Notamment parce que l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie cette année montre que cette vision est toujours d’actualité.
Il a d’ailleurs une autre raison de garder espoir. Michel Gloden, le maire de la ville éponyme du pacte de Schengen, une petite commune viticole située à la frontière sud-est du Luxembourg, est son cousin.
Léon a promis à Michel Gloden une fête pour célébrer l’anniversaire de Schengen le 14 juin.
« J’espère toujours qu’il s’agira d’une grande fête et non d’un service funèbre », conclut-il.
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