L’association Québec-France Montérégie est active dans cette région administrative du Québec qui s’étend du Fleuve Saint-Laurent à la frontière des Etats-Unis. Frontière administrative autant que culturelle, cette zone du monde nord-américain est aussi un poste avancé de la francophonie alors qu’au delà de ses contours l’anglais et l’univers anglo-saxon règnent en maitre.
Voilà pourquoi sans doute le programme d’activités de l’association est riche d’un agenda qui honore notre langue commune, entre conférences sur Michel Legrand ou présentation de la laïcité à la française à un public québécois qu’on imagine nombreux, conquis et militant. L’association est composée d’amoureux de la langue désireux de faire mieux que de la défendre : la faire vivre, l’illustrer, l’honorer.
Une conférence le 16 octobre, pour visiter une vaste période historique et linguistique, des origines du français jusqu'aujourd’hui
L’association présentera le mercredi 16 Octobre à 13H30 une conférence intitulée « le français, une langue en constante évolution » avec l’analyse d’une vaste période linguistique allant de la naissance du français jusqu’au 21ème siècle. Le professeur Jacques Leclerc assurera cette présentation au centre culturel Jacques-Ferron, salle Raymond Levesque (100 rue Saint-Laurent Ouest, Longueuil) avec une approche qui privilégiera l’influence des langues les unes sur les autres et l’évolution du français parlé à travers des personnages historiques illustres tels que Jeanne d’Arc ou Napoléon.
Aimer notre langue et la faire aimer n’est pas qu’une affaire d’identité même si au Québec la promotion de notre langue est une affaire sérieuse, si sérieuse d’ailleurs que nos cousins d’outre atlantique regrettent parfois que les hexagonaux ne mettent pas plus d’ardeur à préserver notre vocabulaire de l’introduction de termes anglais dans le langage courant. Les partenariats avec la région toulousaine ou le pays rennais permettent cependant de cultiver des liens de terrain, et le réservoir humain de militants de la langue des deux côtés de l’atlantique fait vivre des réseaux associatifs très denses.
Le français, langue plastique qui évolue
Le Français est parfois présenté comme une langue difficile, littéraire, faite pour des apprenants gourmets, mais compliquée dans sa grammaire. Une langue qui serait un peu statique en somme, académique ou revêche. Que nenni nous répondra Jacques Leclerc, ce professeur en linguistique de renom, aujourd’hui à la retraite, mais toujours actif quand il s’agit de mettre en valeur le français et son histoire. L’enseignant montre toute la plasticité de notre idiome national, de cette langue partagée avec la nation québecoise et parlée par 400 à 500 millions de locuteurs selon les décomptes.
Le professeur a enseigné à l’université de Montréal ainsi qu’au collège de Bois-de-Boulogne ou à l’université Laval. Parmi ses travaux de recherche il a pu s’intéresser à l’histoire du français et du français québécois, mais aussi à l’histoire de l’anglais, du portugais, de l’italien ou de l’espagnol, preuve d’une passion pour les langues sans exclusive et ouverte sur tous les horizons linguistiques.
Un site internet pour connaître la situation des langues dans 390 pays
Son site internet, l’aménagement linguistique dans le monde, présente en conséquence les situations et politiques linguistiques de 390 Etats ou territoires répartis dans 195 pays du monde. Une véritable mine d’or pour les amoureux des langues.
Nous avons pu interroger le professeur quelques jours avant le lancement de sa conférence.
Lesfrançais.press : Vous êtes un ardent et passionné promoteur de notre langue française que ce soit en tant qu'auteur, enseignant ou conférencier. Comment en arrive-t-on à consacrer sa vie à notre langue ?
Jacques Leclerc : « Je ne suis pas un « ardent défenseur » du français comme auteur ou comme enseignant, mais parfois en tant que citoyen résidant au Québec et au Canada, tout en n’étant pas un militant. Je n’ai pas consacré ma vie au français, mais aux langues en général, notamment au poids des langues dans le monde politique, économique, culturel, scolaire, etc…Ce qui m’intéresse par-dessus tout, c’est le rôle des institutions de toutes sortes sur la vie des langues, leurs réussites et leurs échecs. La présence de plusieurs langues sur un même territoire provoque facilement des conflits en raison du rapport de force entre les langues. Celles-ci deviennent rapidement le symbole apparemment linguistique de la dominance politique, économique et sociale. En raison de mes recherches depuis 30 ans sur les langues des 195 pays de la planète, je pense connaître à peu près tous les moyens pour promouvoir une langue ou pour la détruire ».
LFP : Vous préparez une conférence prochaine sur le français, langue en pleine évolution. Le fait que notre langue commune soit parlée sur cinq continents et connaisse des "géographies" aussi diversifiées est-il un élément d'évolution accélérée pour le français ?
Jacques Leclerc : La répartition géographique d’une langue est un élément important, qui joue aussi bien à l’avantage ou au désavantage d’une langue. Une langue dispersée géographiquement peut causer sa perte si elle n’est pas appuyée par d’importants facteurs politiques, économiques, culturels, scolaires, etc. Plus le nombre de facteurs bénéficie à une langue, plus la dispersion va être profitable. C’est le cas de l’anglais et de quelques grandes langues tels l’espagnol, le français, l’arabe, etc. Si elle veut s’épanouir, une langue doit idéalement exercer le contrôle des instruments de gouvernement, établir sa dominance et rechercher le plus possible l’exclusivité sur un territoire donné ou à tout le moins éviter la concurrence linguistique. Le facteur politique se révèle un instrument extrêmement puissant s’il se combine à d’autres facteurs, mais il devient inutile ou seulement symbolique s’il agit seul.
Contrairement aux facteurs d’ordre économique, culturel ou militaire, la puissance politique doit compter sur le consensus social ou sur un régime autoritaire ; dans le cas contraire, elle court le risque d’opérer à vide. La seule dispersion géographique peut précipiter le déclin d’une langue. L’une des pires situations pour une langue numériquement faible, c’est l’éparpillement de ses locuteurs sur de vastes étendues de territoire dominées par une langue majoritaire. La dispersion géographique peut alors être fatale parce qu’elle contribue à réduire les forces de résistance à la langue dominante. Par exemple, le cas des 900 000 Québécois francophones qui se sont réfugiés aux États-Unis entre 1840 et 1930; non seulement ils ont affaibli le poids des francophones au Québec, mais ils ont également perdu toute résistance à la force d’attraction de l’anglais en se fondant dans la majorité anglophone. C’est pourquoi le sort des francophones hors Québec au Canada est préoccupant dans la mesure où leur dispersion dans l’ensemble anglo-canadien les rend extrêmement vulnérables à l’assimilation. Donc, le français « sur les cinq continents » n’est pas viable partout, notamment en Asie, mais il est viable en Afrique, dans les îles du Pacifique et des Antilles, ainsi qu’au Québec et en Acadie.
Ces espaces géographiques sur différents continents présentent des variantes du français. Je ne vois pas cela comme un signe d’évolution accélérée, mais comme un signe de vitalité normale. C’est de toute façon ce qui se passe pour l’anglais, l’espagnol, l’arabe et le portugais. Pour moi, les éléments d’évolution accélérée sont généralement les suivants : une guerre, des catastrophes écologiques, l’arrivée de nouvelles technologies, des changements démographiques brusques, un changement de langue imposée par un dirigeant autoritaire, une économie anémique, etc.
LFP : Le français doit-il être défendu en tant que langue "plastique" et adaptable, face à l'anglais qui serait supposément la langue la plus souple et la plus facile d'accès (selon ses défenseurs) ?
Jacques Leclerc : Vous voulez probablement dire « flexible » avec le mot « plastique »? C’est une opinion très largement répandue que la force d’attraction d’une langue résiderait dans sa valeur intrinsèque, ici l’anglais. Contrairement à ce que plusieurs pourraient croire, il n’y a pas de langues en soi plus aptes que d’autres à s’étendre dans l’espace à partir de critères linguistiques. L’idéologie de la glorification des vertus d’une langue n’a jamais favorisé l’expansion ou la survie d’une langue, sauf dans l’esprit de quelques idéalistes. Les jugements de valeur qui portent sur l’esthétique d’une langue, ses qualités ou ses défauts, ses prétendues dispositions et sa facilité d’apprentissage, relèvent de critères très discutables, et reposent sur des considérations purement arbitraires. L’anglais n’est pas plus souple que d’autres langues et, s’il est plus facile d’accès, c’est en raison de facteurs politiques et économiques.
Le British Council et son équipe américaine emploient des sommes d’argent astronomiques pour former des enseignants d’anglais et les envoyer dans de nombreux pays. C’est ainsi que l’anglais est la première langue la plus étudiée et la première langue apprise dans 94 pays, mais on oublie d’ajouter que le français demeure la deuxième langue étrangère la plus étudiée et la première langue apprise dans 35 pays.
Le français est aussi la deuxième langue apprise comme langue étrangère après l’anglais pour 125 millions de personnes dans 159 pays. Le rôle des Alliances françaises est évidemment primordial. Ce qui avantage l’anglais, ce sont avant tout le nombre de ses locuteurs langue seconde dans le monde, le poids politique, la force économique de quelques pays anglophones (États-Unis, Royaume-Uni, Australie, Canada, etc.), son attraction culturelle au moyen du cinéma, la puissance militaire des États-Unis présente dans 120 pays, même si la seule puissance militaire ne suffit pas à assurer la suprématie d’une langue, car en ce cas le sultanat d’Oman, qui dépense en armement l’équivalant de 293 % de ses dépenses d’éducation et de santé, serait une grande puissance. Les politiques de « défense linguistique » demeurent peu convaincantes, sauf dans les pays autoritaires.
Les campagnes de défense des petites nations ne donnent que fort peu de résultats réels. Se défendre n’assure pas l’expansion d’une langue! Ce qui me semble efficace, ce sont les entreprises d’expansion, tout ce qui peut servir à étendre l’influence d’une langue : les choix politiques, la production industrielle, le niveau technologique, les échanges internationaux, le nombre de livres édités ou de publications scientifiques, le nombre et le tirage des journaux, la production cinématographique, la quantité des postes émetteurs et récepteurs de radio ou de télévision, l’Internet, etc., sont des variables sûres pour mesurer la force culturelle d’une langue. Se défendre peut être perçu comme un acte de faiblesse et de repli sur soi. Les locuteurs de l’anglais langue première ne se défendent pas, ils imposent leur présence et prennent tous les moyens pour éliminer la concurrence, c’est-à-dire évincer les autres langues. Et ça fonctionne très bien !
Il ne faut pas oublier que les langues se chassent l’une l’autre dans le même espace physique pour se rapprocher le plus possible de l’unilinguisme! C’est en quelque sorte une loi de la nature.
LFP : Comment parlait Jeanne d'Arc ? C'est le propos de votre conférence de refaire vivre la langue de personnages du passé et de montrer l'évolution de notre langue ?
Jacques Leclerc : Je n’ai pas l’intention de faire revivre la langue de Jeanne d’Arc, car ce serait inutile, mais je me contente de montrer l’évolution du français à partir d’exemples du passé qui me sont disponibles. J’ai aussi d’autres exemples avec Henri IV, Louis XIV, Napoléon, Mirabeau. Ce sont des reconstitutions phonétiques faites par des comédiens avec l’aide d’historiens, de psychologues et de linguistes.
LFP : Avez-vous une période historique favorite en ce qui concerne le français ?
Jacques Leclerc : Non, sauf peut-être pour le français actuel pour lequel il est possible d’agir. Néanmoins, j’aimerais bien qu’on en arrive avec plus de souplesse au point de vue grammatical et orthographique. Bien sûr, l’anglais est aussi mal foutu dans son orthographe que le français! Chaque fois que je me retrouve dans un pays d’origine latine autre que le français, je m’extasie quasiment devant des affiches tels farmacia, biblioteca, oftalmólogo, pas tellement mieux devant pharmacy et ophthalmologist. Bien que l’allemand soit perçu comme une langue relativement difficile, son orthographe est d’une remarquable rigueur. Cependant, toute réforme orthographique se heurte à des résistances et à des coûts financiers, même en Allemagne.
LFP : En France, et dans le réseau culturel français à l'étranger des alliances et instituts, la promotion de la Francophonie a beaucoup insisté ces dernières années sur la promotion du français, "langue économique "ou" langue des affaires". Votre approche est plus littéraire et culturelle. Quelle est la meilleure manière de promouvoir le français ?
Jacques Leclerc : Les Français ont bien raison d’insister sur la promotion du français «langue économique» ou «langue des affaires». Là où la France est plus faible, c’est d’employer son poids politique sur la scène internationale. Cela signifie imposer la présence du français dans les instances internationales, pas baisser les bras devant l’anglais. C’est le seul pays francophone à pouvoir le faire pour promouvoir l’enseignement du français dans le monde grâce aux alliances françaises.
Mon approche n’est pas du tout littéraire et pas très culturelle. C’est avant tout une approche politique ! La plupart des grandes langues du monde doivent leur succès à l’expansion politique, militaire et économique, souvent culturelle par les livres, la science et le cinéma. Parmi les quelque 7100 langues du monde, 83 langues (21 langues multi-étatiques et 62 langues mono-étatiques) bénéficient de la protection d’un gouvernement central ou d’un État souverain, alors qu’un peu plus d’une centaine d’autres dépendent de celle d’un État non souverain, avec des résultats inégaux il est vrai, comme dans les cantons suisses, les régions autonomes d’Espagne et d’Italie, les États de l’Inde, les États d’Afrique du Sud, les États du Nigeria, etc…
Même si le pouvoir politique constitue une force incontestable, l’histoire offre pourtant des cas où l’exercice du pouvoir politique a abouti à un échec. L’Inde n’a pas encore réussi, depuis 1947, à remplacer l’anglais par l’hindi; l’Irlande a échoué complètement dans sa politique d’implanter l’irlandais depuis 1949; Haïti n’applique qu’un bilinguisme symbolique à l’égard du créole; le statut « officiel » de l’arabe aux Comores est tout aussi symbolique; le kirundi au Burundi et le kinyarwanda au Rwanda n’ont pas encore trouvé la place qui leur revient en tant que langues co-officielles avec le français (et l’anglais au Rwanda). Et il existe de nombreux autres cas similaires.
LFP : Le Québec et la France ont des liens profonds et historiques qui passent par le partage d'une langue commune et par un voisinage culturel certain. Comment voyez-vous l'évolution de ces liens dans le futur ?
Jacques Leclerc : Ces liens entre le Québec et la France sont indispensables, mais ils doivent être étendus avec les pays francophones d’Afrique. Ces liens vont être de plus en plus facilités par les nouvelles technologies, mais les francophones devront aussi faire face à une plus grande concurrence avec l’anglais, voire avec le russe et/ou le chinois.
La Russie et la Chine convoitent actuellement les richesses naturelles des pays africains et ces deux pays vont tenter de réduire l’influence des langues concurrentes comme le français, l’arabe ou le portugais. Déjà des militants «francophones» pro russes ou prochinois, anti-français, veulent bouter la France hors de leurs frontières. Après la France, ce sera la langue française, comme on l’a vu au Rwanda avec Paul Kagamé. Dans un premier temps, l’anglais essaiera de se faufiler, mais entrera éventuellement en concurrence avec le russe et/ou le chinois, dont les locuteurs ne se laisseront pas faire. La France doit agir dès maintenant, car derrière a langue ce sont des perspectives économiques qui se profilent à l’horizon
Il conviendrait de retenir que l’espoir de la réussite sociale et économique est une source de motivation profonde chez tous les êtres humains. Ils sont prêts à n’importe quoi pour réussir, même à perdre leur langue. C’est une donnée courante dans l’histoire ! Même Bernard Kouchner, cofondateur de Médecins sans frontières et de Médecins du monde, n’hésitait pas à affirmer en 2006 que « l’anglais est l’avenir de la francophonie »; il ne voit, comme bien d’autres, aucun inconvénient à promouvoir l’anglais aux dépens du français. À ce sujet, le linguiste Claude Hagège fait allusion au « mimétisme de la puissance », une attitude consistant à renoncer à sa langue nationale, non par une certaine hostilité interne, mais pour faire partie des pays ou de ceux qui sont considérés comme riches ou puissants. Ainsi, adopter l’anglais, ce serait faire partie de ces « privilégiés », sauf que ces « riches et puissants » pourraient néanmoins être des francophones, des russophones, des sinophones, des hispanophones, etc. De fait, l’invasion de l’anglais dans le monde ne doit rien aux qualités intrinsèques particulières que pourrait posséder cette langue. Le succès de l’anglo-américain tient à autre chose : la puissance économique des États-Unis dans le monde et ses courroies de transmission que sont son cinéma, sa musique, ses vêtements, ses médias et ses appareils de publicité-marketing.
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Boris Faure est l'ex 1er Secrétaire de la fédération des expatriés du Parti socialiste, mais c'est surtout un expert de la culture française à l'étranger. Il travaille depuis 20 ans dans le réseau des Instituts Français, et a été secrétaire général de celui de l'île Maurice, avant de travailler auprès des Instituts de Pologne et d'Ukraine. Il a été la plume d'une ministre de la Francophonie. Aujourd'hui, il collabore avec Sud Radio et Lesfrancais.press, tout en étant auteur et représentant syndical dans le réseau des Lycées français à l'étranger.
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