Le Fonds Monétaire International inquiet

Le Fonds Monétaire International inquiet

Depuis la survenue de la pandémie en 2020, l’économie mondiale peine à se stabiliser et à entrer dans un cycle de croissance. Le dernier rapport du Fonds Monétaire International (FMI) intitulé, Perspectives de l’économie mondiale – Mise à jour d’avril 2025, dresse un tableau sans fard. L’activité ralentit, ballottée entre replis protectionnistes, tensions sociales rampantes et épuisement des marges de manœuvre budgétaires en Occident.

Un ralentissement généralisé : la normalité d’avant s’éloigne

En 2025, la croissance mondiale ne devrait atteindre que 2,8 %, soit un repli de 0,5 point par rapport aux projections établies en janvier. Pour 2026, elle est attendue à 3 %, bien en deçà de la moyenne des deux décennies ayant précédé la pandémie (3,7 % entre 2000 et 2019). Cette décrue traduit le passage d’un monde en expansion à un monde en friction où la politique économique peine à arbitrer entre stimulation et précaution, entre court terme et soutenabilité. À des degrés divers, le ralentissement touche l’ensemble des régions.

Dans les économies avancées, la croissance devrait plafonner à 1,4 %. Les États-Unis, en première ligne du basculement protectionniste, ne feraient pas mieux que 1,8 %, soit près d’un point en deçà des anticipations précédentes. Les États-Unis, qui enregistraient une croissance de près de 3 % ces dernières années entrent dans le rang en raison de la mise en œuvre d’une politique commerciale protectionniste.

Dans la zone euro, avec une croissance attendue à +0,8 %, le recul est plus mesuré (-0,2 point) mais symptomatique d’une économie toujours engluée dans ses rigidités structurelles et confrontée à la baisse de la demande extérieure. L’Europe est, par ailleurs, handicapée par le vieillissement de sa population.

Du côté des pays émergents et en développement, le ralentissement est moins brutal, mais d’autant plus préoccupant qu’il affecte des économies encore fragiles. La croissance attendue y serait de 3,7 % en 2025, contre 3,9 % en 2026.

La Chine fait partie des pays les plus touchés par les nouvelles barrières tarifaires américaines, renouant avec une forme de vulnérabilité stratégique que Pékin avait pourtant cherché à conjurer depuis deux décennies.

Retour du protectionnisme : un siècle d’ouverture remis en question

Le basculement amorcé depuis plusieurs années s’est brutalement accéléré. Le 2 avril 2025, les États-Unis ont levé une barrière tarifaire quasi généralisée, visant la quasi-totalité de leurs partenaires commerciaux. D’un niveau inédit depuis les années 1930, ces droits de douane ont fait l’effet d’un choc mondial. Mais au-delà du choc tarifaire lui-même, c’est l’imprévisibilité de l’action publique américaine qui inquiète le plus les acteurs économiques. L’abandon des cadres multilatéraux, les revirements fréquents, la diplomatie commerciale à la hache, la primauté donnée au rapport de force sur la prévisibilité, fragilisent la capacité même à formuler des projections macroéconomiques cohérentes.

Le Fonds Monétaire International (FMI) a ainsi été contraint de construire non pas un mais plusieurs scénarii de référence, intégrant une montée rapide des tensions commerciales. L’un de ces scénarios, désormais central, aboutit à une révision cumulée de 0,8 point de croissance mondiale sur deux ans. Une perte sèche équivalente à plusieurs centaines de milliards de dollars d’activité non réalisée.

Inflation persistante, marges de manœuvre réduites

Si l’inflation recule, son reflux est plus lent qu’escompté. En 2025, l’inflation mondiale devrait s’élever à 4,3 %, pour s’établir à 3,6 % en 2026. Une décélération bien modeste, alimentée par des pressions toujours vives sur les prix des services, des salaires, des matières premières stratégiques, et des intrants industriels.

Les révisions à la hausse des taux d’inflation concernent principalement les pays avancés, alors que les émergents, eux, bénéficient de légères corrections à la baisse. Cette asymétrie complique le pilotage monétaire global. Les banques centrales des pays développés doivent maintenir des taux élevés plus longtemps, au prix d’un affaiblissement de l’investissement productif.

Dans les pays émergents, l’accès aux marchés de capitaux devient plus risqué, voire prohibitif, pour les États les plus endettés.

Des tensions latentes aux risques systémiques

Le rapport met en lumière la multiplication des zones de vulnérabilité. À la crise commerciale, s’ajoutent des déséquilibres démographiques, avec le vieillissement accéléré de la population dans les pays du Nord, une pénurie de main-d’œuvre étrangère due à des politiques migratoires restrictives, une crise latente du coût de la vie dans plusieurs pays du Sud et l’épuisement des marges de manœuvre budgétaires, alors que les besoins de sécurité (alimentaire, énergétique, militaire) augmentent.

Le risque d’une instabilité financière d’ampleur systémique doit être pris en compte. Une réévaluation brutale des actifs, des tensions monétaires, une fuite des capitaux, notamment en Afrique subsaharienne ou en Amérique latine, pourraient générer une crise financière.

Un espoir conditionné à la coopération

À rebours de cette spirale déflationniste et fragmentée, le rapport esquisse les contours d’un scénario plus optimiste, mais conditionné à une désescalade tarifaire et à un retour du dialogue multilatéral. Il appelle à une clarification des règles commerciales, à des efforts coordonnés de restructuration des dettes souveraines, et à des plans budgétaires crédibles à moyen terme, capables de concilier soutenabilité et équité.

Les réformes structurelles sont désormais incontournables et doivent porter à la fois sur les marchés du travail, les financements de la transition énergétique, les systèmes de retraites, mais aussi – et surtout – sur les institutions multilatérales elles-mêmes.

Le monde ne peut espérer une croissance stable s’il continue de dériver sans gouvernail commun. Ce rapport du Fonds Monétaire International (FMI) d’avril 2025 marque une inflexion majeure dans la lecture des dynamiques économiques mondiales. Ce n’est plus seulement l’ampleur des chocs qui inquiète, mais leur conjonction, leur réversibilité incertaine et la difficulté croissante des États à y répondre collectivement. La croissance n’est plus un acquis, elle devient un équilibre instable, entre tensions commerciales, blocages démographiques et incertitudes.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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