Le Drian, la durée sans le succès.

Le Drian, la durée sans le succès.

Jean Yves Le Drian a été reconduit, sans surprise, à la tête de la diplomatie française. Populaire dans l’opinion, socialiste historique, bien implanté en Bretagne, protégé par un ministère prestigieux, les Français l’apprécient d’autant plus qu’ils connaissent mal les questions de politique internationale.

Désormais numéro deux du gouvernement derrière un Premier ministre qui a moins de poids politique, Jean Yves Le Drian finira sans doute le quinquennat en ayant un des plus beaux palmarès ministériel de la Vème République, voire le record de longévité.

Il était en effet le ministre des armées de François Hollande durant cinq ans. Et, s’il est aujourd’hui aux Affaires étrangères, c’est qu’on lui attribue le succès de la vente des Rafales à l’Inde, à l’Egypte et au Qatar. Autant dire que l’industrie française d’armement, et les médias qui lui sont liés, l’encensent. Sans compter les anciens réseaux de l’UNEF et ceux des loges. Qui se plaindrait d’un tel représentant ?

Et pourtant. Si l’on fait le bilan de l’action de Jean Yves Le Drian, et sans le tenir responsable de tout, pas plus pour les ventes d’armes que pour les pertes d’influence, le bilan de Le Drian n’est pas brillant.

Passons sur ce dossier « armement », puisqu’il lui est reproché de mener une politique étrangère en fonction de ses clients. Procès injuste : l’Arabie saoudite et l’Egypte, suite aux visites d’Emmanuel Macron au cours desquels il semblait faire la leçon sur les droits de l’homme, boudent les marchands d’armes français. Le Brésil aussi. Malgré ces exploits, et sans doute en raison des excuses fournies, la France n’est plus vraiment identifiée, comme du temps paradoxal de Sarkozy-Kouchner, à la défense des Droits de l’Homme. Récemment condamnée par le Conseil de l’Europe sur le traitement réservé aux migrants, elle fait plutôt profil bas.

Des ennemis sans raison.  

Curieusement la diplomatie française réussit plutôt bien à se faire des ennemis sans raison de fond, pas même les Droits de l’Homme.

Nous sommes fâchés avec Maduro. En même temps, avec Bolsonaro. Deux tristes sires, certes, mais si on ne devait être aimable qu’avec ceux que l’on aime, on resterait en face à face avec Albert de Monaco, et encore. L’Amérique latine est la mal aimée de la diplomatie française depuis des lustres, sans doute parce que la France y est aimée depuis les Lumières. Régulièrement, un ministre comme Le Drian y annonce un amour renouvelé, jusqu’au prochaines fiancailles.

Nos amis nous aiment. Trump insulte et menace. Allié fidèle. Autre allié, Erdogan insulte et menace. Il demande aussi des excuses. Comme le Président algérien Tebboune. Nous avons aussi reçu les marques de mépris des Chinois et des Iraniens, une manie. French bashing diplomatique.

En Afrique, les soldats français se battent depuis dix ans dans une guerre Le drianesque dont personne ne voit l’issue, en tout cas pas du coté du ministère des armées. Le G5 Sahel ne fonctionne toujours pas. Le sentiment antifrançais s’accroit, les solutions politiques s’éloignent, même les gouvernements amis ne font pas toujours preuve « d’écoute ». L’Afrique représentant 45% de notre déploiement militaire à l’étranger et 3% de notre commerce extérieur, il a été mis fin au franc CFA, ce qui n’est pas forcément une bonne nouvelle pour nos amis africains, surtout en temps de crise.

Le lit des Turcs et des Russes

Au Maghreb, l’Algérie, sous l’éteignoir, reste explosive, pour elle et donc pour nous. Avec cinq millions d’Algériens en France, il serait temps de sortir du complexe vis-à-vis de l’Algérie. La Tunisie, fragile, n’a pas eu le soutien qu’elle mérite. Quant à la Libye, d’une intervention militaire sans suivi politique, la France est passée à une intervention politique dans le mauvais camp militaire. Elle a fait le lit et des Turcs, et des Russes. Et fragilise le Sahel. Un coup de maître.

Nos relations avec la Turquie sont exécrables. Elles révèlent la faiblesse de nos relations avec les Etats-Unis. La diplomatie européenne, s’il y en a une, soutient d’autant moins la France, que la France ne l’a pas associée. Comme elle n’a pas consulté l’Italie. Dire que l’on a de mauvaises relations avec les Italiens serait exagérée, mais elles ne sont pas bonnes. Ne pas avoir pas de politique suivie avec les Italiens et les Espagnols en Méditerranée est une faute.

Faute logique : la France n’a pas de politique en Méditerranée. Dommage, quand on en est la première puissance. Mais en a-t-elle une vis-à-vis d’Israël ? Quelle est, finalement, notre position en Syrie ? Nous avons encore des soldats avec les forces kurdes. Par habitude ? Et en Irak. A part la litanie de répéter que nous luttons contre le terrorisme et pour la paix, quels sont nos perspectives politiques ? Que dit-on quand Israël attaque les programmes nucléaires iraniens ? Bravo ou holà ? Faut-il inviter encore un dignitaire iranien au G7 ? Qu’en est-il avec le Liban ? Quelles sont les suites de la conférence des donateurs, sinon un échec complet, une mainmise totale du Hezbollah et la ruine. Le Drian est allé là bas faire la leçon ou plutôt empêcher un renversement ?

Nous parlons avec la Russie. Depuis toujours. Sans aucun résultat. Avec la Chine, nous nous taisons. Il suffit d’annoncer que l’on va dire quelque chose sur Hong Kong ou les Ouïghours pour que l’on se fasse rabrouer. Et que l’on se taise. A-t-on gagné une quelconque complicité sur le commerce ou sur le Covid ? L’Ambassadeur de Chine a même été insultant. En Asie, laisser passer une insulte est une attitude ruineuse. La Corée du sud et le Japon sont plus amicaux. Sauf sur Nissan, évidemment.

Enfin l’Europe. Heureusement la chancelière Merkel tient bon. L’accord de Bruxelles doit plus à Le Maire qu’à Le Drian. A la Commission comme au Parlement notre influence s’est réduite. Le Royaume-Uni s’en va, l’anglais reste maître. La Belgique elle-même, comme les Pays-Bas, restent plus atlantistes qu’Européens, comme la Pologne, et les pays de l’est nous suivent d’autant moins qu’ils ne comprennent ni notre politique vis-à-vis de la Russie ni celle vis-à-vis de l’Europe balkanique. Heureusement serbes et albanais ne la comprennent pas non plus.

Force militaire et impasses politiques

Notre diplomatie repose de plus en plus sur notre force militaire. Utile mais dangereux. Quand on ne définit pas les buts de l’engagement des forces, elles deviennent des cibles. D’autant qu’elles ne sont pas dotées des moyens à proportion de leurs missions. Et qu’elles dépendent d’autrui, généralement des Américains.

Voit-on un seul vrai succès ? Même discutable ?

Il y en a. Les accords commerciaux signés avec le Japon, la Corée, le Canada, négociés par l’Union européenne. Reste celui du Mercosur, auquel la France ne s’oppose plus, encore que. Les Accords de Paris, mal fagotés depuis l’origine (étrange qu’ils soient devenus si emblématiques, sans doute parce qu’ils ne sont que symboliques) sont restés sans effet. Rien pour les prolonger. Dans le domaine de l’écologie, malgré les talents des ambassadeurs des pôles, rien n’avance. On aurait pu imaginer de vraies conventions sur les normes de pollution et dépollution, sur les contrôles, le plastique, les produits chimiques. Rien, pas même sur la pêche ou la protection des océans. Ne parlons pas du  droit de la mer, même si la France se rappelle de temps en temps à l’occasion d’un anniversaire qu’elle possède le deuxième domaine maritime mondial.

La France défend le multilatéralisme. En crise. Augmente-elle les moyens mis à disposition de ces organismes internationaux ? Ils baissent.

La France a signé des partenariats stratégiques avec certains pays, comme, outre le Brésil et l’Inde, le Mexique, le Viet-Nam.  Qu’en reste-il ? Quand on relit les ambitions, un grand regret.

Il y a de fait, un vrai partenaire stratégique, notre allié, notre voisin, notre cousin, qui subit une crise d’identité profonde et quitte l’Europe : le Royaume-Uni, avec lequel nous n’avons engagé aucun dialogue pour l’après Brexit.  Etrange indifférence. Pense-t-on que les îles britanniques quitteront la Manche ? S’il y a un pays qui doit préparer l’après Brexit, c’est la France. Ne serait-ce que pour les 300.000 Français qui y vivent.

-10 % des effectifs en dix ans

Bien sûr, le ministre Le Drian, n’est pas seul responsable de tout cela. Il est au moins responsable de la gestion de son ministère. -10 % des effectifs en dix ans. Encore 492 suppressions de postes sous son règne, 402 déjà effectuées. Les missions se succèdent pour dire que cela ne reflète qu’une politique comptable, rien n’y fait. Les interrogations en matière de politique immobilière demeurent, au Quai, à la Cour des Comptes, au Parlement, sans réponse. La rénovation du Quai révèle son inanité, monte en coût, baisse en utilité. 90 millions pour déplacer 150 fonctionnaires. Avec des bureaux sans fenêtres.  Le Drian n’est pas pire que Fabius, mais pas meilleur.

La paupérisation des ambassades se double de celle des consulats, les coupes budgétaires auxquelles ont été soumises les associations précédent celles de l’enseignement ; l’appauvrissement de l’enseignement accompagne le déclin de la diplomatie culturelle. Ne parlons pas de commerce extérieur, hormis les ventes d’armes, il suit sa pente.

Il y eut des ministres qui ont laissé leur trace soit par leurs initiatives, comme Villepin, soit par les réformes internes du ministère, comme Alain Juppé, soit par leur cynisme, comme Vedrine. D’autres ont laissé des souvenirs mitigés, comme Kouchner, au moins ce dernier, très critiqué, avait-il théorisé une ligne, celle de l’ingérence humanitaire, et souvent fait preuve d’audace.

Que restera-t-il après dix ans de ministères ?

Jean Yves Le Drian est professeur agrégé d’histoire. Il dut sa carrière à son engagement militant à l’Unef puis, curieusement, au succès des ventes d’armes. Que restera-t-il après dix ans de ministère de la défense et des affaires étrangères? Russie, Liban, Turquie, Inde, défense européenne, Immigration, OMC, ONU, crime organisée, extraterritorialité du droit, océans, réforme du ministère, les sujets ne manquent pas. Il serait temps de mettre à profit cette immense expérience pour avoir enfin une idée, l’amorce d’un succès. Sinon, Jean Yves Le Drian, aujourd’hui encensé, risque d’être, demain, au mieux, oublié.

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