Humilier l’adversaire. Lui faire perdre confiance. Casser sa légitimité. Avec le doute, répandre la discorde. Inscrire la défaite dans la tête. Ces vieux préceptes fascinent par leur simplicité et leur actualité. La guerre idéologique a commencé, elle est engagée sur tous les fronts, y compris sur le front intérieur, avec ses traitres.
La guerre, quelle guerre ? Celle entre les bénéficiaires d’un modèle démocratique qui se veut universel, et ceux qui n’en veulent pas, pour mille raisons.
Front de guerre idéologique
Ainsi la Chine explique-t-elle que ce modèle démocratique ne protège pas les peuples, que la soi-disant efficacité occidentale est dépassée, crise du coronavirus à l’appui. Et d’engager la répression à Hong Kong.
Ainsi Loukachenko, réélu triomphalement, emprisonne à tout va, et alerte l’internationale des Tyrannosaures, les dirigeants suprêmes de plus de vingt ans d’âge : « Si la Biélorussie tombe, la Russie tombera ».
Diable, quelle folle espérance ! Se pourrait-il qu’il ait raison ? Aussitôt un mystérieux poison s’en prend au principal opposant de Vladimir Poutine, Alexeï Navalny. Si l’Occident est en déclin, la Russie aussi : ils l’ont raté ! L’Allemagne a recueilli le néo dissident, comme au temps de feu l’URSS.
Dans cette guerre froide idéologiquement chaude, la Turquie est en première ligne. Elle qui avait l’Europe pour modèle, l’a choisie comme ennemie. Erdogan veut humilier la Grèce, Chypre, la France, démontrer que les « valeurs occidentales » ne valent rien, les hommes non plus, puisque ceux qui sont chargés de défendre ces valeurs les renient.
La trahison du juge
« Chaque être humain doit pouvoir penser librement pour s’épanouir et grandir » a fièrement déclaré le triste juge Spano, recevant son diplôme de docteur honoris causa de l’Université d’Istanbul. Docteur en déshonneur ont corrigé les militants des droits de l’homme en Turquie, où des milliers d’opposants sont en prison. Le Juge Spano est le Président de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Les arrêts de la Cour font jurisprudence dans 47 pays membres, ceux de l’Union Européenne, mais aussi la Russie, la Turquie, l’Azerbaïdjan l’Arménie, la Serbie, etc… Elle représente à la fois le sommet du droit européen, et le nec plus ultra des valeurs européennes déclinées selon le triptyque : Démocratie, Droits de l’homme, état de droit. Quand le Président de la Cour, Spano, reçoit son diplôme, il trahit. Poutine, Erdogan, et tant d’autres rigolent.
Pauvre Boris
Spado n’est pas le seul imbécile de haut rang à trahir ce qu’il défend. Ainsi Boris Johnson. On peut discuter de tout, sauf de l’apport immense, admirable, du Royaume-Uni à l’Europe et au monde: Il repose sur cette tradition -la Grande Charte, l’habeas corpus, le Parlement- : le droit prime sur la force. Quand pour des querelles d’épicier, le Premier ministre renie un traité, comme Boris vient de le faire, il mine le droit international, dévalue sa signature. Bien fait pour l’épicier: la Livre a dévissé.
Johnson se comporte comme Poutine avec la Crimée, ou Erdogan avec les îles grecques. Il ne s’en rend pas compte, bien sûr, et n’est pas le seul à se croire malin quand, agitant ses intérêts comme un passe-droit, marque contre son camp. A terme, celui qui triche, qui ne vit que sur la menace perd. Entretenir un rapport de force coûte cher ; installer des relations de défiance plus encore.
Le crime de Monsieur Trump.
Rien n’est plus grave que de toucher ce cœur, la confiance. Ainsi Trump. Quand Trump met en doute le vote par correspondance et s’interroge sur la validité des résultats de l’élection à venir, il sape la confiance dans la démocratie américaine. Or les Etats-Unis sont censés les leaders du monde libre. C’est un crime : contre la démocratie, contre le leadership américain, contre l’identité américaine. Les Etats-Unis sans la démocratie, c’est quoi ?
Les intrusions et manipulations électorales de Poutine mises à jour dans de nombreux pays -Etats-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, France- n’ont pas d’autre but. Certes, Poutine préfère le Brexit à l’Europe unie, Trump à Clinton, Salvini à Conte, mais ce qui l’intéresse au plus haut point, c’est de montrer que le modèle électoral occidental ne fonctionne pas. Comme Xi Ping. Comme Erdogan.
Tout ce qui, en Europe, va vers la contestation de la démocratie, son avilissement, la division des Européens, sert cet Amicale des autocrates qui va de l’Algérie (qui emprisonne à tout va) à Pékin en passant par Ankara, Téhéran, et bien d’autres étapes sur la Route de la soie.
La sottise élevée aux plus hautes situations
L’Europe est en première ligne. Elle l’a toujours été. Trump lui a montré que le parapluie américain était troué. Johnson lui rappelle qu’il n’est pas de marché sans respect des règles. Erdogan que la force doit se placer au service du droit.
Ainsi la France réunit enfin une alliance méditerranéenne à Ajaccio, la Grèce commande des Rafales, les Allemands s’engagent vers une union européenne de la défense, l’Inde s’arme contre la Chine.
La guerre idéologique n’est pas la guerre, c’est le chemin. Si l’adversaire recule, on avance. S’il résiste, on recule. Ainsi pensent les autocrates. Ainsi doit penser l’Europe : ne rien céder sur le droit. On peut s’entendre avec des dictateurs, on ne peut accepter ni menace ni mépris. Entre le devoir d’ingérence et la realpolitik, il y a tout l’art des possibles.
Le modèle occidental de la paix
Il y a un modèle occidental de la guerre. Il reposait, selon Hanson, sur le choc frontal et le compagnonnage d’hommes libres. Il y a un modèle occidental de la paix, qui repose sur la primauté du droit et la liberté. Renoncer à cela, c’est disparaitre.
« Il y a un mal que j’ai vu sous le soleil, Comme une méprise échappée au souverain : La sottise élevée aux plus hautes situations »
Qohelet, X, 5
Il y a bien des ennemis intérieurs, y compris à la Cour, à Bruxelles, à Washington, dans les capitales européennes, des esprits malins qui font la joie des adversaires. Un des multiples avantages de la démocratie, du modèle occidental de la paix, c’est que l’on peut changer de dirigeant sans avoir besoin de guerre civile. Ailleurs, il n’est pas un Tyrannosaure qui ne fasse le cauchemar de Loukachenko.
Laurent Dominati
Editeur de lesfrancais.press. Ancien Ambassadeur de France au Conseil de l’Europe, ancien député de Paris.
Laisser un commentaire