Quatorze gouvernements européens plaident pour que les compagnies aériennes puissent émettre des bons au lieu de rembourser les vols annulés, et ce en dépit de la charte sur les droits des passagers de l’UE, mise à mal par la pandémie.
Les voyages aériens accusent une baisse de 90 % en Europe en raison des mesures de quarantaine et de confinement, qui entraînent une annulation massive des vols. Au lieu de rembourser leurs clients, les compagnies aériennes tentent de leur offrir des bons d’échange afin de préserver leurs réserves de liquidités.
Mais la réglementation européenne prévoit que lorsque des services sont annulés, une nouvelle option de vol ou le remboursement du billet doivent être proposés. Les transporteurs peuvent proposer des bons d’échange, mais c’est aux passagers de décider s’ils sont d’accord de les accepter ou s’ils préfèrent se faire rembourser.
Des failles apparaissent cependant dans la mise en œuvre de cette règle, car un groupe de 14 pays – dont la Belgique, la France, l’Allemagne, l’Italie et les Pays-Bas – sont favorables à une application plus souple des droits des passagers.
Les Pays-Bas ont donné pour instruction à leur autorité de régulation du transport aérien de ne pas appliquer le règlement tant que la demande serait au plancher. Ils ont aussi assorti l’émission de bons d’échange par les compagnies aériennes de plusieurs conditions.
Les coupons seront valables pendant une période de 12 mois et si les clients choisissent de ne pas les encaisser, un remboursement complet sera tout de même effectué, selon une lettre envoyée au parlement par la ministre néerlandaise des Infrastructures, Cornelia van Nieuwenhuizen.
« Le gouvernement considère l’utilisation temporaire des bons d’échange comme une alternative acceptable, car un passager conserve le droit au remboursement de son billet, et cela évite de plonger les compagnies aériennes dans une détresse financière encore plus grande », stipule la lettre.
Combats acharnés
La Commission européenne est chargée de veiller à ce que les États membres respectent les obligations que leur impose le droit communautaire. Le 18 mars, elle a publié une note explicative sur la manière dont les droits des passagers devraient être appliqués durant la pandémie.
La Commission reconnaît que la situation actuelle constitue une « circonstance exceptionnelle », ce qui implique que les passagers n’ont pas droit à une indemnisation, mais le secteur de l’aviation a été déçu que les bons d’échanges aient été écartés par l’exécutif.
La semaine dernière, Adina Vălean, la responsable des transports de l’UE, a déclaré par e-mail à Euractiv que les bons constituaient une option « mais que les passagers devaient l’accepter ».
« Certains États membres, comme le Danemark, ont rendu les bons d’échange plus attrayants pour les consommateurs et les ont assurés contre l’insolvabilité. La Commission continuera à suivre l’évolution de la situation et les mesures prises au niveau national », a-t-elle ajouté.
L’option néerlandaise consistant à limiter la durée de validité des coupons pourrait gagner du terrain, car elle préserve les droits des passagers à un remboursement tout en permettant aux compagnies aériennes de gagner du temps pour sortir de la crise, mais la Commission reste pour l’instant sur ses positions.
Les membres du Parlement européen devraient donner leur aval à une dérogation temporaire aux règles, mais il est difficile de prévoir comment la majorité se positionnerait lors d’un scrutin.
Selon Karima Delli (Verts), la présidente de la commission des transports, « offrir des bons au lieu d’un remboursement n’est pas acceptable ». Elle enjoint les compagnies aériennes à « se conformer strictement à la législation européenne » pour éviter que les passagers ne soient « doublement victimes de la pandémie de coronavirus ».
La position intransigeante de Karima Delli est partagée par la plupart des membres de son groupe et est largement soutenue par les parlementaires socialistes et démocrates (S&D).
La position du groupe libéral Renew Europe et du groupe conservateur PPE – auquel appartient Adina Vălean – sur ce sujet, n’est pas claire. Des sources du parlement déclarent cependant que leurs membres penchent pour une aide aux compagnies aériennes.
Le Parlement a déjà montré sa volonté d’aider le secteur de l’aviation. Le mois dernier, les législateurs ont décidé de geler jusqu’en octobre les règles concernant les créneaux horaires dans les aéroports, afin de bannir les « vols fantômes », vides de passagers, du ciel européen.
Mais les dimensions environnementale et économique de cette dérogation ont uni les députés européens, alors que donner le feu vert à une dérogation aux droits des passagers, même temporaire, constitue un facteur de division.
Gros temps en perspective
Indépendamment de sa position sur les droits des passagers, la Commission fait en sorte de permettre aux gouvernements d’aider les compagnies aériennes. Le mois dernier, elle a assoupli les règles en matière d’aides d’État afin que les entreprises de tous les secteurs puissent bénéficier d’une aide financière, et d’autres mesures de soutien sont prévues cette semaine.
Selon une nouvelle proposition de modifications des règles, la recapitalisation sera incluse dans le guide de l’exécutif européen sur les aides d’État, qui devrait être adopté dans le courant de la semaine.
Les États membres pourront ainsi autoriser la restructuration de la dette sans craindre d’enfreindre la législation européenne, ce qui devrait préparer le terrain pour une intervention plus importante de l’État dans les compagnies aériennes.
La Fédération européenne des passagers (EPF) a demandé la mise en place d’un système de garantie qui permettrait d’assurer le remboursement des billets en cas de faillite d’une compagnie aérienne, afin que les passagers ne se retrouvent pas avec des bons d’échange inutiles.
Selon les organisations de défense de l’environnement, l’argent public ne devrait bénéficier aux compagnies aériennes que si celles-ci s’engagent à payer des taxes écologiques et à réduire davantage leurs émissions lorsque la demande reprendra.
« L’argent public devrait soutenir les technologies du futur au lieu de renforcer les erreurs du passé », affirme Andrew Murphy, de l’ONG T&E pour la mobilité propre.
D’anciens fonctionnaires de l’UE, dont l’ancien commissaire européen au climat, Miguel Arias Cañete, et l’ex-chef de la direction du climat, Jos Delbeke, ont tous deux déclaré la semaine dernière que les compagnies aériennes devraient faire davantage pour réduire leur empreinte carbone lorsque la pandémie aurait pris fin.
Les services de la concurrence de l’UE ne pourront pas subordonner les aides d’État au respect de conditions « vertes », mais en vertu du « Green Deal », la politique climatique phare de l’Union, la Commission cherchera à réduire davantage les émissions dans tous les domaines lorsque les affaires retrouveront leur cours normal.
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