Le Bordeaux veut gérer le changement climatique en tournant la page de la chimie

La diminution des intrants tend à rendre la vigne plus robuste et permet de mieux exprimer le terroir dans l’arôme du vin, selon les experts. Le vignoble s’intéresse aussi à de nouveaux cépages, résistants à la chaleur et aux maladies.

«C’est vrai qu’autrefois, la chimie était notre amie. Mais ça, c’est fini». L’adaptation de la vigne à un environnement changeant, qu’il s’agisse de la défiance à l’égard des pesticides ou du changement climatique est un vrai cheval de bataille pour Bernard Farges, président du Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux.  Et il n’est pas le seul : s’ils ne le crient pas sur tous les toits, de plus en plus d’exploitants, dans les grands crus, comme dans l’Entre deux mers, se tournent vers le bio, les labels HVE voire la biodynamie.

La quête d’un vin qui exprime au mieux les terroirs est un soucis constant dans la région, où l’on taille les racines de la vigne sous terre pour les forcer à aller puiser nutriments et eau au plus profond. Une technique qui répond aussi au réchauffement climatique, qui a fait avancer d’une dizaine de jours la date moyenne des vendanges depuis les années 1980.

Des meilleurs vins… pour l’instant

« La hausse des températures affecte clairement notre travail : mon grand-père et mon père ont fait beaucoup d’effort pour faire progresser le taux d’alcool du vin, en allégeant les vignes de leurs raisins et en les rapprochant de la terre. Moi, je fais exactement l’inverse », raconte Philippe Bardet, vigneron à Saint Emilion en agriculture raisonnée, qui reconnait que ses vins ont changé. Mais plutôt en mieux. Et c’est là tout le paradoxe du phénomène : dans le bordelais, un degré de plus et un peu moins d’eau représentent, pour l’instant, une bonne nouvelle.

Ainsi les conditions climatiques de l’année 2019, avec des vagues de chaleur intenses et peu d’eau, posent un problème tout relatif: celui de la quantité. En cette fin de vendanges, pour certains vignobles, des exploitants constatent que les grains de raisin ont développé une peau épaisse, mais peu de jus.

« Le problème du réchauffement climatique, dans beaucoup de régions, c’est le manque d’eau ; mais dans le bordelais, on n’en manque pas », souligne François-Thomas Bon, vigneron bio. Très arrosée, la région n’a pas recours à l’irrigation. Et l’humidité modérée cette année a permis de limiter les attaques de mildiou, ce champignon dévastateur pour la vigne qui nécessite des traitements multiples lorsqu’il apparaît, y compris en bio avec du sulfate de cuivre.

Si son domaine, Château La Grace Fonrazade est certifié en agriculture biologique, l’exploitant ne le met pas en avant : l’appellation Saint Emilion suffit. Il est pourtant engagé dans une démarche globale qui vise à limiter l’empreinte environnementale de son exploitation : recyclage du carton et du bois des palettes, chaudière à sarments, évaluation de la consommation de carburants des tracteurs et d’eau de l’exploitation, rien n’échappe à la vigilance de l’agriculteur. Qui tente désormais de trouver une solution pour recycler le bois des fûts de chêne indispensables à la vinification, dont la durée de vie ne dépasse pas 6 ou 7 ans. « On tente de mettre au point des fûts droits plutôt qu’arrondis, pour pouvoir recycler les planches… Mais ça pose des problèmes d’étanchéité pour l’instant ! » reconnait le viticulteur.

Le bio, une réponse à la chaleur et à l’expression optimale des arômes

A plus long terme, les professionnels de la vigne s’accordent sur le fait que le vin de Bordeaux est victime d’aléas climatiques croissants, qui ont contribué à mobiliser la profession : grêle, gel, pluies diluviennes ou sécheresse, les risques sur les récoltes sont plus nombreux. « On a la pénible impression d’avoir nettement plus de gel au printemps », regrette Philippe Bardet, qui se dit toutefois « optimiste face au petit changement climatique » observé depuis une vingtaine d’année.

Sa parade pour renforcer la résistance des vignes : limiter les intrants. Il a été un des premiers à militer pour l’enherbement des vignes, qui permet de mieux fixer l’azote et l’eau dans le sol. L’essentiel du vignoble est désormais recouvert d’herbes, ce qui permet aux raisins de mieux résister à la chaleur, et d’économiser les engrais.

La démarche d’agro-écologie progresse, même si avec 10 % des vignes en bio, le bordelais atteint tout juste la moyenne nationale. Dans « En 2018, on a eu trois fois plus d’eau qu’en Bourgogne ! C’est nettement plus compliqué de limiter les traitements dans notre région », souligne Pierre Lurton, qui gère le domaine d’Yquem à Sauternes, un des premiers grands crus classés qui aurai bientôt son label bio. Le domaine mythique racheté par le groupe LVMH en 2004 après 4 siècles aux mains de la même famille, les Lur Saluces, était déjà à moitié cultivé en bio, une démarche notamment motivée par des fins œnologiques. « Peut-être qu’en bio, voire en biodynamie, on aura des arômes encore plus purs  ! » espère l’expert.

La filière anticipe aussi le réchauffement du climat en testant de nouveaux cépages ; le Bordeaux étant déjà issus d’ assemblage, l’ajout de plants utilisés au Portugal comme le Touriga Nacional ou le Marsellan pourrait permettre de conserver des vins équivalents au goût d’ici une vingtaine d’années.

« Si en 2050 on continue de s’entêter à planter du merlot, on aura moins de typicité » prévient Kees van Leeuwen, chercheur à l’institut des sciences de la vigne et du vin. Le centre explore aussi d’autres pistes : des ceps issus de croisements entre des souches résistantes aux principales maladies de la vigne et des cépages plus classiques comme le Cabernet Franc et le Petit Verdeau, les plus résistants au changement climatique.

Des hybrides qui offriraient une réponse à la fois à la hausse des températures et à la pression sociétale contre les pesticides. Mais patience : leur commercialisation potentielle interviendra au plus tôt d’ici 2030.

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