L’assassinat du Père Noël

L’assassinat du Père Noël

C’était bien beau, les cadeaux, la chaleur du foyer et les rires enfantins. Digestion difficile. Le Père Noël, ce vieux voyant, avec sa régularité solaire, l’héritier des empereurs romains et du Divin enfant, n’est plus. Le Pape dit que le consumérisme l’a tué. Ou la raison, le manque de foi. Ou la déraison. Tous pleurent sa disparition. Hormis Coca-Cola, plus personne ne croit au Père Noël. Fini le temps des certitudes, des Petits Pères du Peuple, ces PPP sanguinaires qui promettaient le pain et l’électricité ; fini le rêve des démocraties plantureuses, dégoulinantes de jambon gras, rose et chimique ; fini le rêve de la prospérité tranquille, des salariés gavés d’autos et de téléviseurs ; oubliée la mondialisation heureuse, voici le protectionnisme revanchard, Biden enterré vivant, Trump en Père fouettard.  

Le temps a viré aux monstres, ceux de dessins désanimés sur de petits écrans ridicules, des robots chiens de compagnie, des courbes affolantes de gains démesurés et de krachs annoncés. Le Père Noël n’est plus : ses assassins sont parmi nous. On ne croit plus en rien, pas même aux cadeaux, que l’on revend vite, vite, vite. Quand tout va bien, on se plaint, de cet ennui, des malheurs lointains, de la peur du lendemain.

Il y a plus de vie dans le désordre que dans l’ordre, qui n’est jamais qu’apparent.

2024 s’achève dans le désordre du monde. Pourtant, il y a plus de vie dans le désordre, qui implique qu’il y a plusieurs ordres sous-jacents, que dans l’ordre, qui n’est jamais qu’apparent.

Voici quelques ordres cachés. Le premier celui des guerres. Principal enseignement, aussi violentes soient-elles, elles ne menacent pas la marche du monde. La Russie se réjouirait d’appeler victoire une paix qui lui laisserait ce qu’elle avait: un Donbass détruit, une Crimée sans flotte. Son économie est passée en mode de guerre, c’est-à-dire de crise permanente. Sans rappeler les morts, les exilés, la société russe s’éteint sous un régime policier. L’Europe réarme, manifeste sa force pour ne pas tenter le diable. Contrairement à ce que l’on dit, les Européens pourraient faire face à un conflit de « haute intensité » qui n’arrivera jamais. Il y a peu de chance qu’après la leçon ukrainienne, Poutine tente une aventure contre un pays de l’Otan.

Au Moyen-Orient, Israël a désarmé le Hamas, détruit Gaza, annihilé ce qui restait de l’armée syrienne, frappé les ports des Houthis. L’Iran est appauvrie, affaiblie. Lui reste son ambition nucléaire, qui représente un risque, aussi pour elle. À faire peur, affaiblie, elle est cible. Elle ne devrait plus tenter quoi que ce soit, sinon de négocier.

Les guerres ne dévient pas la marche du monde. On s’y habitue, ce qui leur permet de durer

En Afrique, les Français partis, les mercenaires russes accumulent pertes et déconvenues. Dans la population civile rackettée au Sahel, le nombre de morts a plus que doublé. Au Soudan, la guerre continue ses ravages. Elle prouve qu’aucun pays en Afrique n’intéresse les puissants. Seul un développement fulgurant changerait la donne. Même la mer Rouge, frappée par les Houthis, n’est plus une autoroute commerciale existentielle. Chacun s’est habitué aux détours, s’organise dans le commerce parallèle et la contrebande. Les guerres ne dévient pas la marche du monde. On s’y habitue, ce qui leur permet de durer.

Au-delà de ce désordre, ou de cet ordre des conflits, le second ordre caché est celui de l’économie-monde. Le pétrole baisse. Le cartel pétrolier ne menace plus l’économie des pays développés. L’Europe a surmonté la crise énergétique russe. Les circuits alimentaires mondiaux se sont réorganisés.  Là encore, les États-Unis, premiers producteurs de pétrole, tiennent le manche. Trump promet de continuer à forer, faisant fi de toute préoccupation écologique. Il creusera, tant que le prix du pétrole dépassera 60 $. Il est à 70. La Chine, poussive,  est rassasiée de pétrole, gaz, charbon, solaire. En France, après treize années de déconvenue, l’EPR de Flamanville a été mis en route. La France figure à nouveau dans le top 3 des pays nucléaires. L’industrie nucléaire entre dans une nouvelle phase, avec des sécurités renforcées (qui expliquent les déconvenues de l’EPR), des miniréacteurs et des géants, de nouveaux usages.

Entre pauvreté et le réchauffement climatique, les peuples choisissent le réchauffement.  

Comme les principaux émetteurs de CO² – États-Unis, Chine, Inde – ignorent le réchauffement climatique, l’Union européenne amendera son plan pour la transition énergétique. Entre pauvreté et lutte contre le réchauffement climatique, les peuples choisissent le réchauffement.

Le troisième désordre est monétaire et financier. La crise de 2008 risque d’avoir été une petite secousse par rapport à la prochaine. Depuis l’élection de Trump, les indices boursiers s’affolent vers les sommets. En un mois, 140 milliards de dollars supplémentaires ont été investis dans les actions américaines. Du jamais-vu depuis la bulle internet des années 2000. Les Etats-Unis attirent tous les capitaux du monde, tous les autres continents ont des flux négatifs.

Une autre finance, avec de nouvelles équations monétaires, surgit. Le bitcoin, pointe de cet univers, a gagné plus de 60 % en un mois et demi.

Extraordinaire Hold-up : Les détenteurs de cryptomonnaie vont braquer la Réserve fédérale.   

Trump, avec Musk, l’homme le plus riche du monde, comme si l’empire avait été à vendre, veut que l’État fédéral américain constitue une réserve stratégique de bitcoins. Le gouvernement américain détient déjà 185 000 bitcoins (environ 18 milliards de dollars). Si les Etats-Unis dopent leur réserve, d’autres pays, comme le Japon et la Chine, suivront.

Vrai ou faux, tout le monde achète. Si ce projet aboutit, les détenteurs de cryptomonnaie auront braqué la Réserve fédérale, obligée de leur acheter des cryptos. Extraordinaire Hold-up. S’il échoue, ils revendront quand les cours auront grimpé jusqu’au dernier naïf, juste avant l’effondrement.

Quatrième ordre, désordre, celui de la vie. Le nombre ne détermine pas ceux qui dominent ou qui subissent. Rarement les plus nombreux décident de la marche du monde. Pourtant, à moins que l’on ne soit déjà plus à l’ère des masses, la démographie change les données. Un seul continent reste jeune : l’Afrique. Tous les autres verront leur population diminuer, hors migrations. S’opposent deux planètes: une qui serait une sorte de Melting-pot mondial; l’autre, celle de barrières de plus en plus hautes, avec ses traques, ses corruptions, ses passeurs et ses conflits. Planètes inconciliables qui existent pourtant déjà en Californie, en Suisse, au Royaume-Uni.

À moins que l’on ne soit déjà plus à l’ère des masses.

Surgit le choc des cultures, cinquième et ultime désordre. Comment s’adaptent les migrants, où, à quel degré ? Quelles identités se transforment ? Quelles religions vont éclore, se métamorphoser ? Quelles sont, au-delà des nationalités factices, les forces unificatrices? Quel type de familles, quelle émancipation pour les femmes, quels modèles sexuels ? Dans un monde d’influenceurs et d’identité nombriliste, qu’appeler culture ? L’écrit décline, l’image s’imprime directement dans le cerveau. Ne sont pas activés les mêmes neurones. Sous la diversité, un jean et une machine à liker pour tous.

Ces révolutions embryonnaires effraient. Les conflits chauffent les haines, l’énergie change le monde; la démographie déséquilibre continents et sociétés. Les révolutions d’avant-garde ne touchent pas que les avant-gardes. L’Intelligence Artificielle, la télémédecine, les micromédicaments, la biologie moléculaire, les raccourcis de l’espace ouvrent d’extraordinaires champs d’inventions. La lenteur de ces révolutions étonne. Elles sont là et l’ordre ancien résiste, s’affole.

Dans un monde d’influenceurs et d’identité nombriliste, qu’appeler culture ?  

Beaucoup luttent pour le maintenir à toute force, à grands cris, non sans malheur. Qui veut résister aux tourbillons de la rivière se noiera, riait Lao Tseu se baignant dans un torrent. « Je descends avec les tourbillons et remonte avec les remous. J’obéis au mouvement de l’eau, non à ma propre volonté. » Mao, lui, Père Noël assassin, promettait béatement : « Le monde progresse, l’avenir est radieux, personne ne peut changer ce courant général de l’histoire. » Il n’y a plus de promesses fiables, plus de guide suprême, plus de planificateurs clairvoyants, seulement des potentiels infinis, incertains, tragiques et merveilleux.

Inutile de prévoir l’année 2025, il y a en aura plusieurs en une seule.  Désormais, ce sera la règle. Tant mieux. Si le destin est incertain, c’est qu’il est plus libre, plus riche que jamais.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press et de l’app bancaire France Pay

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