L’Asie, pas si pacifique, écrit l’histoire du monde.

L’Asie, pas si pacifique, écrit l’histoire du monde.

Kukkuli était roi de l’Assuwa. Il fut décapité par un grand roi, hittite, dont on a oublié le nom, comme celui de Kukkuli. L’Assuwa correspond à la côte nord-est de la Turquie, l’ancienne Troie, qui aura donc accouché de la première littérature occidentale, les poèmes d’Homère, et du nom du plus grand continent de la terre : l’Asie. Bravo Kukkuli. 60% de la population mondiale y vit. L’histoire du monde s’écrit-elle en Asie ? Depuis Obama, les Américains placent le centre du monde en Asie Pacifique. La Chine se pose, face aux États-Unis, en pôle de paix. L’Asie Pacifique est-elle si pacifique ?

Le Secrétaire d’État américain, Pete Hegseth, alerte à Singapour les pays d’Asie contre une menace « imminente » de la Chine sur Taïwan. Il y a peu, l’Inde et la Pakistan livraient le plus important duel aérien depuis la deuxième guerre mondiale. Quelques missiles dans un ciel serein ?

Tandis que Xi Jinping appelait 33 pays d’Amérique latine dans le cadre du Forum Chine-CEPAC, à résister aux Américains, il appelait Emmanuel Macron pour « défendre conjointement les règles du commerce international« . Ce dernier était reçu au Vietnam, en Indonésie, à Singapour. Seul pays européen présent dans l’Océan Indien et le Pacifique, la France se veut puissance d’équilibre, entre la Chine et les États-Unis. Les craintes de conflit alimentent l’intérêt pour la France, son industrie militaire, son influence diplomatique.

Emmanuel et Brigitte Macron à Singapour jeudi soir. © JEANNE ACCORSINI / AFP

L’Asie est en paix depuis quelques décennies, ce qui explique son extraordinaire développement.  

Pour 9 milliards, Macron a rendu hommage à Ho Chi Minh, même si l’Oncle Ho n’était ni francophile, ni humaniste. Il est vénéré par un culte qui tient de celui des ancêtres et de la religion d’État, malgré les milliers d’exécutions de sa réforme agraire. Une paille par rapport à la famine de 1945 en Indochine, entre 400.000 et deux millions de morts; rien par rapport aux guerres d’Indochine et du Vietnam, 2.2 millions de morts. Rien par rapport aux famines de la Révolution chinoise, aux massacres de l’indépendance de l’Inde.

L’Asie est en paix depuis quelques décennies, ce qui explique son extraordinaire développement. Avec le retrait progressif américain, la Chine devait émerger comme le grand leader asiatique. Ce n’est pas tout à fait le cas. L’Inde aussi émerge. Les ambitions chinoises en Mer de Chine inquiètent. La Chine double son parc d’ogives nucléaires et devient la première marine mondiale. Japon, Corée du Sud, Indonésie, Philippines ne voient pas la Chine comme un élément stabilisateur. La Corée garde en mémoire les deux millions de morts de la guerre de 1954, quand Mao invitait Staline à utiliser la bombe atomique. Elle voit, comme les Japonais, les missiles nord-coréens autrement que comme une provocation.

Le président chinois Xi Jinping
Le président chinois Xi Jinping

Voilà pourquoi la Chine développe son parc nucléaire et sa marine.

Chine, Philippines, Vietnam, Malaisie, Brunei, Taïwan revendiquent la même souveraineté sur des îles stratégiques. La Chine construit des îles artificielles et provoque des incidents réguliers. Chacun s’attend à une « opération spéciale » à Taïwan. Voilà pourquoi la Chine développe son parc nucléaire et sa marine. Comment aider Taïwan bloqué par la marine chinoise ? Comment riposter face à une puissance nucléaire ? Personne n’ose face à la Russie, personne n’ose face à la Corée du Nord. La probabilité d’un conflit en Mer de Chine augmente chaque jour.

La Chine compte plus de cinquante réacteurs nucléaires classiques, comme ceux de la centrale de Taishan, mais le réacteur expérimental au thorium de Wuwei sera une première. © EDF Energy
La Chine compte plus de cinquante réacteurs nucléaires classiques, comme ceux de la centrale de Taishan, mais le réacteur expérimental au thorium de Wuwei sera une première. © EDF Energy

Le conflit entre l’Inde et le Pakistan toujours réanimé par le Cachemire, s’entretient par la rivalité entre l’Inde et la Chine. L’Inde est traversée par des insurrections régulières dans le nord-est, le centre et l’est du pays.

L’État-nation est un concept étroit.  

Le Pakistan et la Chine aussi ont leurs points d’agitation. Au Xinjiang les Ouïghours, au Pakistan de multiples groupes rebelles. La guerre civile s’accentue en Birmanie, elle n’est pas éteinte en Afghanistan. En Thaïlande comme en Indonésie des groupes séparatistes et des organisations islamistes persistent. Rares sont les états qui ne sont pas multiconfessionnels, multinationaux. Encore une fois, l’État-nation est un concept étroit.

Pour le moment, les pays d’Asie ne représentent, en PNB par habitant, que 29% de la moyenne des pays développés. Les inégalités de croissance entre les pays émergents et les pays enlisés s’accentuent, tout comme au sein de chaque pays, les inégalités explosent.

Le kaléïdoscope des religions colorise les conflits, les réseaux de drogue les alimentent, défient les États, justifient les armées, traversent les frontières du Triangle d’or à l’Asie centrale : Laos, Thaïlande, Birmanie, Kirghizistan, Baloutchistan, Afghanistan, Cachemire… Au Tadjikistan, la Chine a construit deux bases contre les maquis ouïghours alimentés par le trafic de drogue.

Une autoroute de 157 kilomètres sans ouvrier, avec des robots.

Les Routes de la soie ne sont pas que de soie. La Chine a porté ses investissements jusqu’à 9.000 milliards. Par comparaison, l’initiative de l’Union Européenne (Global Gateway) vise 300 milliards (dont 150 pour l’Afrique). L’Union Européenne n’a pas tort, les infrastructures des routes de la soie sont peu rentables, elles consistent pour l’essentiel en prêts, ce qui suscite aussi un fort ressentiment des endettés. Enfin le projet européen cible les « réseaux intelligents », de la fibre optique à l’éducation. C’est sagesse, quand on apprend que la Chine a construit une autoroute de 157 kilomètres sans ouvrier, avec uniquement des robots et l’IA.

Réseaux commerciaux et d’influence, jusqu’où vont-ils ? Jusqu’en Ukraine, où meurent des soldats coréens ? Ils atteignent la Grèce, la Serbie, le Maroc, le Pérou. Jusqu’où va l’Asie ? Certainement jusqu’en Iran, qui vend 90% de son pétrole à la Chine. Et au Yémen, plongé dans la guerre civile depuis dix ans, qui la prolonge en Israël et à Gaza.

Les routes de la soie d’Asie centrale sont concurrencées par l’IMEC (India-Middle East European Corridor), un projet de connexions qui va de l’Inde à Marseille, en passant par l’Italie, la Grèce, Israël, la Jordanie, l’Arabie saoudite, les Émirats, soutenus par l’Inde, l’Europe et les États-Unis.

Le Moyen-Orient compliqué fait donc aussi partie de l’Asie. Même si, depuis Kukkuli, l’Asie est un continent mouvant, un concept flou, occidental, plus flou et désuni que l’Occident simplifié.

La France a mis en avant l’Indo-pacifique qui permet d’éviter la Chine et les États-Unis.  

La France a mis en avant un concept ingénieux, l’«Indo-pacifique ». Il lui permet d’aller de la Réunion à la Polynésie, en évitant la Chine et les États-Unis. On l’a compris : l’Asie Pacifique est un concept sino-américain qui est tout sauf pacifique. Tous les autres pays, ceux de l’Indo-pacifique, veulent s’en garder, tous savent qu’un conflit en Asie se paie en misère, en morts qui se comptent en millions (30 à 45 millions de morts pour le Grand Bond en avant chinois, 1 million lors des massacres indonésiens de 1965-66, 2 millions de morts sous les Khmers Rouges…).

Zone indo pacifique française ©Ifremer
Zone indo pacifique française ©Ifremer

Chacun veut éviter, tout en gardant des liens, d’être pris dans un conflit. Les Mongols, pris entre la Chine et la Russie, inventèrent le concept de « Troisième voisin » : un partenaire avec lequel instaurer un voisinage de coopération. C’est ce qui a amené la France à investir en Mongolie. C’est la bonne stratégie: devenir le troisième voisin de chaque pays d’Asie.

Devenir le « troisième voisin » de chaque pays d’Asie.

De Gaulle, à Phnom Penh, parla devant une foule de 100.000 personnes. À sa façon, il était le « Troisième voisin » : « N’être pas, où que ce soit et quoi qu’il arrive, automatiquement impliquée dans l’extension éventuelle du drame et de garder, en tout cas, les mains libres. » La pax europea dont rêve l’Europe ne peut se cantonner à l’espace européen. « Sans franchir sa porte connaître le monde entier ». À l’ère de la révolution digitale, le mot de Lao Tseu devient un jeu d’enfant.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press et de l’app bancaire pour les expatriés France Pay

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