L’Argentine sous la menace d’un défaut permanent

L’Argentine sous la menace d’un défaut permanent

L’Argentine incarne depuis plus d’un siècle le paradoxe d’un potentiel contrarié. Pays riche au potentiel maintes fois reconnu, l’Argentine figure parmi les pays les moins bien gérés de la planète. Dotée d’abondantes ressources naturelles, d’un capital humain élevé et d’un accès privilégié aux marchés agricoles, le pays n’en reste pas moins un des meilleurs clients du Fonds Monétaire International. Depuis son premier recours au FMI en 1958, l’Argentine a conclu pas moins de vingt-deux plans d’assistance. Un vingt troisième est en négociation.

Cette dépendance chronique aux aides d’urgence révèle une incapacité persistante à stabiliser son modèle économique. Dans ce contexte, la dette n’est pas un accident : elle est un symptôme récurrent d’un déséquilibre systémique. Depuis son indépendance en 1816, à neuf reprises, l’Argentine a fait défaut sur sa dette externe.

Trois défauts sur la dette depuis 2001

Trois de ces épisodes se sont produits depuis le début du XXIe siècle, signe d’une instabilité structurelle aggravée. Le plus spectaculaire de ces défauts reste celui de 2001. À la faveur d’une décennie marquée par une parité rigide entre le peso et le dollar, une austérité budgétaire prolongée, et une fuite massive des capitaux, l’économie s’enfonce dans une récession dès 1998. Incapable de refinancer sa dette, le gouvernement suspend ses paiements en décembre 2001, sur un encours de 100 milliards de dollars. La crise politique qui s’ensuit est vertigineuse. En effet, cinq présidents se succèdent en quelques semaines. De plus, le peso est brutalement dévalué et les relations avec le FMI sont rompues.

@Adobestock
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En 2014, l’Argentine est confrontée à un défaut technique, provoqué par une décision judiciaire américaine interdisant le paiement des créanciers restructurés sans compensation des « holdouts » – des fonds spéculatifs refusant les restructurations de 2005 et 2010. Bien qu’en capacité de payer, l’Argentine est juridiquement contrainte de ne pas honorer sa dette. Enfin, en 2020, au cœur d’une récession alimentée par une inflation importante, le pays fait défaut sur 500 millions de dollars d’intérêts. Un accord est obtenu, en août, avec les créanciers privés pour restructurer 65 milliards de dette, dans l’espoir de retrouver un minimum de stabilité.

Au-delà des épisodes spectaculaires, ce sont les causes structurelles qui expliquent la fragilité persistante du pays. L’Argentine finance de longue date ses déficits budgétaires par un endettement externe en devises, la rendant vulnérable à chaque choc de change ou à chaque remontée des taux d’intérêt internationaux. Sa politique budgétaire suit un cycle procyclique : expansion des dépenses en période de croissance, coupes brutales en temps de crise. La gouvernance économique demeure instable, marquée par des institutions faibles et une banque centrale régulièrement instrumentalisée.

Le FMI est tour à tour perçu comme un soutien indispensable et un catalyseur d’austérité.

L’inflation est endémique, flirtant avec l’hyperinflation dans les années 1980, et dépassant encore 200 % en 2023. L’économie est partiellement dollarisée, et la population se méfie de sa propre monnaie, convertissant au moindre doute ses pesos en dollars. Cette instabilité économique a de profondes répercussions sociales. Par exemple, le PIB est en dents de scie, les investissements fuient, le chômage reste élevé, et plus de 40 % de la population vivait sous le seuil de pauvreté en 2024.

Les inégalités se creusent dans une société historiquement éprise de justice sociale. Dans ce contexte, le FMI est tour à tour perçu comme un soutien indispensable et un catalyseur d’austérité. Le prêt record de 57 milliards de dollars accordé en 2018 n’a pas empêché l’effondrement de l’économie. Le plan de 2022 visait avant tout à refinancer celui de 2018, les fonds étant utilisés pour rembourser les dettes antérieures. Cette logique circulaire d’endettement nourrit la critique d’une assistance inefficace.

« Un retour au populisme » ?

L’élection de Javier Milei à la présidence fin 2023 a marqué une inflexion brutale. En effet, ce libertarien iconoclaste a décidé la mise en œuvre d’une politique brutale, avec une réduction massive des dépenses publiques (5 % du PIB supprimés dès le premier trimestre 2024). Mais aussi une déréglementation accélérée, un projet de démantèlement de la Banque centrale, et une volonté de dollariser l’économie. C’est pourquoi, depuis quelques mois, les tensions sociales et politiques progressent.

Face à la contestation, Javier Milei met en avant ses résultats en matière d’inflation. Le Président argentin a demandé un nouveau plan d’aide du FMI au mois de mars. Dans le but de consolider la dette, reconstituer les réserves, stabiliser la monnaie, et rassurer les investisseurs. Pour le FMI, le dilemme est aigu. Soutenir Javier Milei, c’est faire le pari du bien-fondé du traitement qu’il inflige à son pays. C’est prendre le risque d’un nouveau défaut, d’un chaos social, et d’un retour au populisme.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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