L’Arctique : le nouvel Eldorado

L’Arctique : le nouvel Eldorado

Le réchauffement de la planète pourrait être une source de revenus en révolutionnant le transport maritime. L’Arctique se réchauffe quatre fois plus vite que le reste du monde, et la banquise se réduit d’une superficie équivalente à celle de l’Autriche chaque année. Depuis les années 1980, le volume de glace a diminué de 70 %. Le premier jour sans glace en Arctique pourrait survenir avant 2030.

Ce recul de la glace permettra de revoir la carte des routes maritimes entre les continents. La fonte des glaciers facilitera l’extraction de minéraux, au moment même où les besoins sont en constante augmentation. Le réchauffement des eaux pourrait également favoriser la reproduction des poissons dans les mers du Nord. Une eau riche en nutriments stimulerait la croissance des populations, tandis que le recul des glaces ouvrirait de nouveaux territoires et prolongerait les saisons de pêche.

Le maquereau n’est arrivé au large du Groenland qu’en 2011. En 2024, ce poisson gras représentait 23 % des recettes d’exportation totales de l’île. Les grandes puissances économiques se préparent à cette révolution. La Chine a établi un record mondial en dévoilant un navire cargo de 58 000 tonnes, adapté aux pôles. Donald Trump envisage d’acheter le Groenland, tant pour y installer de nouvelles bases militaires que pour s’approprier les ressources naturelles de cette île. Si le Grand Nord est convoité, il reste encore difficile d’accès et, en l’état actuel, les coûts d’exploitation des minerais sont prohibitifs.

Raccourcir les trajets entre l’Asie, l’Amérique du Nord et l’Europe.

En décembre dernier, la Norvège a suspendu ses projets d’exploitation minière en eaux profondes, tout comme la Russie. Le gain le plus important généré par la fonte des glaces est l’ouverture de nouvelles voies de navigation. La première, baptisée Route maritime du Nord (RMN), longe la côte russe pour relier la mer de Barents au détroit de Béring. Une deuxième, le Passage du Nord-Ouest (PNO), passe par le littoral arctique nord-américain, la mer de Beaufort et la baie de Baffin. Enfin, la troisième est la Route maritime transpolaire (RTP), qui traverse le pôle Nord. Ces trois voies pourraient raccourcir les trajets entre l’Asie, l’Amérique du Nord et l’Europe, les trois principales zones économiques mondiales. Elles permettraient d’économiser du carburant et des salaires, tout en évitant les goulets d’étranglement au niveau des canaux de Panama et de Suez.

En passant par le Nord, les navires ne s’acquitteraient plus de droits de passage onéreux et éviteraient des zones de conflit. L’ouverture des nouvelles routes maritimes n’est pas encore programmée, mais déjà, les États s’opposent sur d’éventuels droits de passage. Le Canada estime que la route traversant l’archipel arctique se trouve dans ses eaux territoriales, tandis que les États-Unis et l’Union européenne affirment qu’elle relève des eaux internationales. Cette route présente l’inconvénient d’être peu profonde et, de ce fait, dangereuse.

La route transpolaire, qui traverse l’océan Arctique central, bénéficie d’eaux profondes et évite les eaux territoriales. Elle offre la traversée la plus courte entre l’Atlantique Nord et le Pacifique. Ses promoteurs prévoient que des milliers de navires feront chaque année la navette entre l’Amérique du Nord et l’Asie, avec une escale à Dutch Harbour en Alaska. Même lorsque la glace aura disparu, la route restera jonchée d’icebergs, ce qui la rendra navigable uniquement par des brise-glaces.

En 2024, un record de 92 navires a emprunté la route transpolaire, contre 19 en 2016. 

L’hypothèse de milliers de navires empruntant cette voie ne se concrétisera sans doute pas avant 2050. En été, cette route est déjà accessible aux navires équipés contre les glaces. Certaines sections sont même navigables toute l’année avec l’aide d’une escorte de brise-glace. Le trafic augmente néanmoins chaque année depuis 2005. En 2024, un record de 92 navires a emprunté la route transpolaire, contre 19 en 2016. La Russie est potentiellement le pays le plus intéressé par l’ouverture de la route transpolaire qui lui permettrait de transporter plus rapidement ses ressources naturelles vers l’Asie ou l’Europe.

Après l’invasion de l’Ukraine, cette route vise non plus à approvisionner l’Europe en gaz, pétrole ou minéraux, mais à alimenter l’Asie. Elle pourrait également capter une partie du trafic reliant l’Asie à l’Europe. Elle ne devrait cependant pas être empruntée par les porte-conteneurs qui effectuent généralement des escales dans le Golfe ou en Asie du Sud-Est. Les conditions climatiques difficiles en mer du Nord risquent également de perturber la logistique du juste-à-temps, essentielle au commerce moderne de marchandises.

Cette route réduit la distance entre Rotterdam et Shanghai de 5 000 km, soit 25 %.

Toutefois, cette route réduit la distance entre Rotterdam et Shanghai de 5 000 km, soit 25 %, ce qui pourrait faire passer le temps de trajet de 30 à 14 jours. Son ouverture à l’année pourrait accroître de 6 % le commerce global entre l’Asie et l’Union européenne, selon l’économiste de l’Organisation mondiale du commerce Eddy Bekkers.

L’Arctique représente également une source potentielle d’énergie et de minéraux. La région contiendrait 13 % des réserves mondiales de pétrole non découvert et 30 % du gaz naturel inexploité. L’exploitation de ces ressources est cependant complexe et coûteuse. Le développement des gisements aux États-Unis et dans d’autres pays rend peu probable l’exploitation des réserves de l’Arctique. L’espoir repose plutôt sur les minéraux « verts », rendus plus accessibles par le réchauffement climatique. Parmi eux figurent le cobalt, le graphite, le lithium et le nickel, indispensables à la fabrication des batteries des voitures électriques. L’Arctique renfermerait d’importantes réserves de zinc, utilisé dans les panneaux solaires et les éoliennes, ainsi que de cuivre, nécessaire à diverses applications électriques. De nombreuses terres rares y seraient également présentes, tout comme le titane, le tungstène et le vanadium, nécessaires à la fabrication de superalliages.

Le Groenland possède des réserves de 43 des 50 minéraux jugés « critiques ». 

Le Groenland semble particulièrement bien doté en ressources : l’île possède des réserves de 43 des 50 minéraux jugés « critiques » par le gouvernement américain. Ses réserves connues de terres rares s’élèvent à 42 millions de tonnes, soit environ 120 fois la production mondiale de 2023. La majorité des minéraux de l’Arctique n’ont toutefois pas encore été cartographiés en détail. L’Agence internationale de l’énergie estime que le marché mondial de ces minéraux doublera de valeur d’ici 2040, si les pays respectent leurs engagements climatiques.

Les pays occidentaux cherchent également à diversifier leurs approvisionnements pour réduire leur dépendance à la Chine, qui domine actuellement l’offre mondiale. L’exploitation en Arctique pourrait néanmoins prendre au moins une décennie, compte tenu des défis techniques à surmonter. Les entreprises minières utilisent l’intelligence artificielle pour analyser les données historiques et scientifiques afin d’identifier les gisements et accélérer les opérations. Des plateformes capables de supporter la glace, des véhicules miniers autonomes, des drones de levage lourd et d’autres technologies sont en cours de développement pour s’adapter aux conditions extrêmes de l’Arctique.

Alors que Donald Trump lorgne sur le Groenland, une seule mine y est actuellement exploitée. Ouverte en 2013, la mine Lumina avait initialement obtenu une licence pour produire une forme raffinée d’anorthosite, une roche claire utilisée dans la fibre de verre et la peinture. Cependant, le matériau était trop délicat à expédier, obligeant l’entreprise à construire un port en eau profonde et à obtenir l’accord des autorités locales pour exporter la roche sous une forme plus brute. La production devrait atteindre 210 000 tonnes en 2025, contre 35 000 en 2019. La mine repose sur un gisement estimé à 4 milliards de tonnes.

Au cours de l’histoire récente, l’Arctique a été un lieu stratégique pour l’implantation de garnisons, d’appareils d’espionnage et d’armes nucléaires. De nombreux obstacles pourraient empêcher sa transformation en eldorado moderne. L’absence de coopération entre États risque de freiner les avancées, mais les enjeux économiques et géopolitiques sont tels que ces territoires seront fortement convoités dans les prochaines années.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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