L’apocalypse n’est pas pour demain

L’apocalypse n’est pas pour demain

Les États-Unis entrent en guerre contre l’Iran, qui les menace de « conséquences éternelles ». Les prévisions cataclysmiques s’accumulent. Les guerres se multiplient. L’économie flanche, sous les coups de la démondialisation aberrante et de la peur. La finance s’affole. Les dettes montent au ciel. Le climat se dérègle, les forets brûlent, la mer monte, des fous dirigent le monde, la démocratie s’atrophie, les peuples se raidissent autour du culte de soi et de la haine des autres. Les crises engendrent de nouvelles crises, dans un collier qui enserre le monde et les vies. Tout est lié, l’intelligence décline, ne restera bientôt que celle des robots, vain espoir de rationalité. Voici, après la guerre d’Ukraine, après les menaces de nucléaires de Poutine, l’attaque d’Israël contre l’Iran, celles des États-Unis. Et toutes ces voix qui prédisent l’escalade, la troisième guerre mondiale, l’ère des bunkers et des kamikazes.  Faux : L’apocalypse n’est pas pour demain. La crise annoncée ne sera pas une crise. Un changement de monde, ce qui est très différent.

Image d'illustration du bombardier américain B29
Image d'illustration du bombardier américain B29

L’Iran menace les bases américaines et le détroit d’Ormuz L’ancien directeur de la CIA prévoit que Poutine attaquera la Lituanie une fois l’Ukraine soumise. Un général capé d’incertitudes redoute que les Russes utilisent des bombes nucléaires tactiques. Le Secrétaire d’État américain annonce une attaque chinoise sur Taïwan. Israël détruit Gaza, assimilant tragiquement tous les Palestiniens au Hamas, ce qu’ils finiront par faire, sous ce nom ou un autre.

La course à la bombe attire la guerre plutôt qu’elle ne l’en préserve. La stratégie militaire devient postnucléaire.

Après avoir éliminé les tentacules de l’Ayatollah -Assad, Hezbollah, Hamas, Houthis- Israël, et surtout les États-Unis, frappent la tête. Enfin ? Frapper la théocratie iranienne dès le début aurait évité de détruire Gaza. L’attaque américaine change la donne au Moyen-Orient, ébranle le régime iranien, révèle l’inanité des alliances de la Russie et de la Chine.

Pour la première fois, la course à la bombe nucléaire attire la guerre plutôt qu’elle ne l’en préserve. La stratégie militaire devient postnucléaire.

Jusqu’à présent, la possession de l’arme nucléaire devenait l’assurance-vie d’un pays, d’un régime. La dynastie nord coréenne se sent invulnérable grâce à la bombe. Cuba a survécu grâce à la « menace » d’installations nucléaires. La Russie de Poutine a annexé la Crimée, a poursuivi l’attaque de l’Ukraine, se sachant impunie, jusqu’à inhiber Européens et Américains, les armes ne devant pas être utilisées pour attaquer le « territoire » russe. Au point que beaucoup en Ukraine regrettent de ne pas avoir conservé des armes nucléaires, le Mémorandum de Budapest, qui les en privait, ne valant rien. (Pas besoin d’une adhésion à l’OTAN : les États-Unis sont garants des frontières de l’Ukraine).

Photo diffusée le 25 mars 2022 par l'agence nord-coréenne Kcna du dirigeant nord-coréen Kim Jong Un (c) devant un missile balistique intercontinental Hwasong-17 dans un lieu non précisé en Corée du Nord, le 24 mars 2022 ©afp.com/STR
Photo diffusée le 25 mars 2022 par l'agence nord-coréenne Kcna du dirigeant nord-coréen Kim Jong Un (c) devant un missile balistique intercontinental Hwasong-17 dans un lieu non précisé en Corée du Nord, le 24 mars 2022 ©afp.com/STR

Tous les pays ont compris que la possession de la bombe était un permis de tuer international. Logique, pour l’Iran, de vouloir s’en doter. Ce qui amènerait aussitôt l’Arabie saoudite à en faire autant. Et pourquoi pas la Turquie, l’Algérie, le Vietnam, la Corée, le Japon ? Tout régime dictatorial aimerait cette garantie, et ceux qui ne le sont pas également, pour se défendre des appétits.

Blasphème tactique, des Ukrainiens malins mènent des opérations en Russie, contre des bases, des infrastructures, des bombardiers stratégiques russes. La Russie répond par une salve de missiles ; comme toutes les nuits. Rien de plus. Un blasphème impuni annonce le triomphe de l’hérésie. Le ciel de l’Indus s’obscurcit de la plus grande bataille aérienne depuis 1945, entre l’Inde et le Pakistan, deux pauvres puissances nucléaires. Il est donc possible de frapper une puissance nucléaire sur son sol, comme l’ont fait les Ukrainiens. Il est donc possible de se faire la guerre entre puissances nucléaires. La bombe n’est pas un bouclier; elle n’est pas l’égide d’Athéna, la figure de Médée qui paralyse l’adversaire.

Au lieu d’éviter la guerre, la bombe fait d’un pays une cible.

Pire encore, au lieu d’éviter la guerre, la bombe fait d’un pays une cible. La preuve par l’Iran. Si l’Iran n’avait pas investi des milliards dans cet arsenal nucléaire en gestation, il n’y aurait pas eu d’attaque israélienne ; les États-Unis ne seraient pas entrés dans la bataille, les pays arabes ne se réjouiraient pas, discrètement. Personne ne soutient l’Iran, parce que le monde respire mieux sans la bombe iranienne.

Impossible pourtant d’éliminer le savoir-faire accumulé. Sans accord de paix, la menace reviendra. Mais démonstration est faite au monde entier que cette lente et coûteuse acquisition, loin de rendre l’Iran inattaquable, fait d’elle une cible perpétuelle. L’exemple iranien sape l’intérêt d’acquérir la bombe. Ne peuvent l’acquérir, et encore, que ceux qui ne l’emploieront pas.

Ce qui pose de nouveaux problèmes. Désormais, les Russes peuvent considérer que jamais les États-Unis n’utiliseront leur arsenal nucléaire pour défendre Vilnius. Ce qui oblige les Européens à augmenter leurs dépenses militaires, plus ou moins « conventionnelles », car il existe d’autres formes de dissuasion : attaques électroniques, destruction des sources d’énergie, guerre des ondes, spatiale, informationnelle, financière…

La question militaire change de dimension. Change aussi celle de la paix.

La question militaire change de dimension. Change aussi celle de la paix. Qui veut la paix ? L’Ukraine tient. La Russie se tend. Personne ne veut vraiment la paix, sauf Trump, qui fait la guerre. Bloquer le détroit d’Ormuz serait se punir soi-même, priver la Chine de pétrole. Ce serait le prétexte pour qu’une partie du régime chasse l’autre, responsable de trente années d’échecs. Le seul vrai risque d’Apocalypse serait que Poutine gagne en Ukraine. « Je considère les Russes et les Ukrainiens comme un seul peuple. Dans ce sens, toute l’Ukraine est notre » Alors d’autres Poutine, dans le monde entier, diront : « L’agression paie ». La Chine mettra à exécution son projet d’envahir Taïwan. La résistance de l’Ukraine interdit la guerre mondiale. La guerre ne paie pas. Avec l’attaque israélo-américaine, la menace nucléaire iranienne ne paie pas.

Les États-Unis balaient le Moyen-Orient rêvant d’en faire naître un nouveau. Ils sèment le désordre économique et monétaire mais recueillent la moitié des investissements du monde. Le dynamisme des nouvelles technologies ne faiblit pas. L’inflation disparaît, la crainte est plutôt celle d’une déflation lancinante.

Tous les méfaits possibles d’un chaos mondial sont au vu de tous. Chaos clair, mesurable, prévisible, anticipé.

Aucune crise imprévue ne pointe à l’horizon, tous les méfaits possibles d’un chaos mondial sont au vu de tous. Chaos clair, mesurable, prévisible, anticipé dans les taux d’intérêt et les prix du pétrole. Reste inconnu le degré de développement de la robotique, des ordinateurs quantiques, de l’intelligence artificielle, des nanotechnologies, des nouveaux matériaux. Inconnues les nouvelles formes de pouvoir qui émergeront des nouvelles puissances, des nouvelles féodalités, des transformations de la guerre, des manipulations des cerveaux, de l’information, du travail.

Ce ne sont pas des crises, ce ne sera pas l’Apocalypse : l’Apocalypse est imprévisible. C’est une métamorphose, avec ses laideurs, et ses beautés dérangeantes. Ceux qui restent avec les anciens monstres s’atrophieront avec eux, sans avoir la chance d’apprivoiser les nouveaux. L’Apocalypse n’est pas pour demain, après-demain peut être. D’ici là vivons, effrayés souvent, émerveillés parfois.

Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
Président de l'app bancaire pour les expatriés France Pay

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