L’Allemagne, première économie de la zone euro, a connu près de vingt ans de succès économiques grâce à la force de son industrie et de ses exportations. Après avoir digéré la réunification intervenue en 1990 et engagé une politique de compétitivité sous l’impulsion de Gerhard Schröder, elle a engrangé d’importants excédents extérieurs qui ont compensé l’atonie de son marché intérieur. Ce modèle de développement a été remis brutalement en cause ces dernières années avec la multiplication des tensions commerciales et la guerre en Ukraine qui a renchéri le coût de l’énergie. L’Allemagne est désormais en récession et semble vouée à une longue stagnation. Quels sont les moyens dont elle dispose pour y échapper ?
De 2010 à 2022 les exportations allemandes sont passées de 1 000 à 2 000 milliards d’euros
Avec les Pays-Bas et les États d’Europe du Nord, l’Allemagne a réussi durant les années 2010 à maintenir le poids de son industrie et à pénétrer le marché chinois. Les exportations allemandes de biens et services vers ce pays sont ainsi passées de 2010 à 2022 de 50 à 120 milliards d’euros. La croissance de ces exportations était supérieure à celle de l’ensemble des exportations allemandes qui sont passées sur la même période de 1 000 à 2 000 milliards d’euros.
Depuis 2022, les exportations allemandes déclinent. Celles à destination de la Chine sont passées de 120 à 110 milliards d’euros entre 2020 et 2023, l’ensemble des exportations revenant de 2000 à 1900 milliards d’euros. Grâce aux exportations, la production manufacturière avait progressé de près de 25 % de 2010 à 2019 avant de se contracter de 10 % entre 2020 et 2023.
Depuis une dizaine d’années, l’Allemagne a accumulé des excédents au niveau de sa balance des paiements courants importants, de l’ordre de 6 % du PIB, en moyenne, par an. Ces excédents ont été en grande partie investis en-dehors de l’Allemagne voire de la zone euro.
Les entreprises ont investi, ces dernières années, de manière insuffisante. Leur taux d’investissement était de 12 % du PIB en 2023. Ce taux évolue entre 10 et 12 % depuis une dizaine d’années, soit deux à trois points de moins que celui des entreprises américaines. L’écart avec les États-Unis est élevé en ce qui concerne les dépenses en faveur de la recherche et développement.
La population active devrait diminuer de 0,5 % en 2024
La productivité par tête en Allemagne ne progresse que lentement et tend même à reculer ces dernières années. Elle a décliné de 2 % depuis 2017a près avoir augmenté de 6,5 % de 2010 à 2017. L’Allemagne est confrontée à un vieillissement démographique qui pénalise sa croissance. La population active devrait diminuer de 0,5 % en 2024, sachant que cette baisse devrait atteindre plus de 1 % d’ici 2030. Ces dernières années, pour limiter les effets du vieillissement, le pays a fait appel à l’immigration dans des proportions plus importantes que la moyenne des pays de l’Union européenne.
L’Allemagne a des besoins énergétiques plus élevés que ces partenaires européens en raison du poids de son industrie. Elle a pu compter sur le gaz russe à partir du milieu des années 1980. La guerre en Ukraine l’a contrainte à revoir son mode d’approvisionnement au prix d’un surcoût non négligeable. En 2023, l’électricité est produite à 47 % à partir d’énergies fossiles (fuel, gaz, charbon, lignite).
Les pénuries de main-d’œuvre et l’augmentation du prix de l’énergie contribuent à dégrader la compétitivité-coût de l’économie allemande. En 2023, les coûts salariaux ont progressé de 6 %. Les entreprises sont contraintes à investir dans les prochains mois afin d’améliorer leur compétitivité. À cette fin, elles doivent cesser de placer à l’étranger leurs recettes d’exportation.
Des moyens d’investir grâce aux excédents commerciaux et à un faible déficit public
Un effort conséquent doit être mené en matière de recherche et développement ainsi que dans le domaine de la formation. Les entreprises allemandes doivent rattraper leur retard en matière de digital. Le défi le plus important concerne le secteur de l’automobile, fer de lance de l’industrie allemande, qui a construit sa renommée sur la fiabilité de ses moteurs thermiques. Ayant peu investi dans les moteurs électriques et les batteries, les constructeurs allemands se trouvent concurrencés tant par ceux de Chine et par Tesla.
L’économie allemande bénéficie de marges de manœuvre pour opérer un rétablissement grâce non seulement à ses excédents commerciaux mais aussi à son faible déficit public. L’État fédéral a les moyens d’investir dans les infrastructures publiques et d’accroître son effort en matière de recherche ou d’enseignement.
Auteur/Autrice
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Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.
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