Au mois d’octobre dernier, le taux d’inflation en Allemagne a atteint le niveau record de 11,6 %. Depuis les années 50, ce pays n’avait jamais connu un tel taux. Les rares épisodes de hausse des prix avaient été courts et de faible ampleur. Lors des deux chocs pétroliers, le taux d’inflation était resté inférieur à 8 %. Durant la réunification, au début des années 1990, il s’était élevé jusqu’à 5 %. La lutte contre l’inflation constitue l’alpha et l’oméga des politiques économiques mises en œuvre outre-Rhin depuis 1949 avec, en corollaire, la défense du deutsche mark puis de l’euro fort.
Le développement d’une industrie exportatrice passe par une maîtrise des coûts
Le rejet viscéral de l’inflation était lié à la rémanence de l’hyperinflation des années 1920. Il y a un siècle, en 1922, le taux d’inflation avait atteint 5300 %. L’année suivante, en 1923, il dépassait 16 millions de pour cent. Les prix dans les commerces étaient modifiés plusieurs fois par jour. Dans les restaurants, les menus ne comportaient plus de prix, un crieur au cours des repas indiquait le montant des plats aux clients. Au-delà de ce cruel souvenir, la maîtrise des prix est indissociable du modèle économique choisi après la Seconde guerre mondiale.
Le développement d’une industrie exportatrice passe par la maîtrise des coûts. La monnaie forte joue un rôle désinflationniste en réduisant la facture des matières premières, de l’énergie et des biens intermédiaires importés. Ces deux facteurs, inflation réduite et appréciation de la monnaie, ont permis à l’Allemagne de développer et de conserver une industrie puissante, positionnée sur le haut de gamme. Coup sur coup, ce système se lézarde.
Avec la guerre en Ukraine, le pays est confronté à un choc énergétique d’une rare violence en raison de sa forte dépendance aux importations de pétrole et de gaz en provenance de la Russie. En un an, l’euro a perdu 15 % de sa valeur par rapport au dollar, contribuant ainsi à accélérer l’inflation en Europe.
Des garde-fous pour éviter tout dérapage inflationniste
Lors de la négociation de la monnaie commune à la fin des années 1980 et au début des années 1990, les responsables allemands n’avaient concédé l’abandon du mark qu’à certaines conditions, notamment que des garde-fous soient institués pour éviter tout dérapage inflationniste. Parmi les mesures retenues dans le cadre du Traité de Maastricht figurait l’indépendance de la Banque centrale qui avait comme mission essentielle d’assurer la stabilité des prix. Par ailleurs, aucun mécanisme de soutien à des États membres en difficulté n’avait été prévu afin d’éviter que les États vertueux soient amenés à financer ceux qui l’étaient moins.
L’euro est une monnaie commune où les États membres sont individuellement responsables du respect des normes de bonne gestion monétaire. Jusque dans les années 2010, en Allemagne, les gouvernements, le patronat et la Banque centrale, défendaient avec force l’orthodoxie budgétaire et monétaire. La priorité donnée à la lutte contre l’inflation visait à défendre l’économie mais aussi le pouvoir d’achat des consommateurs et des épargnants. Avec réticence, les autorités de Berlin avaient accepté la politique monétaire non conventionnelle appliquée après 2015 reposant sur d’imposants rachats d’obligations d’État par la BCE et par une baisse historique des taux. Depuis l’épidémie de covid-19 et avec la guerre en Ukraine, la première puissance économique de l’Europe semble avoir mis ses principes de côté.
Un changement de doctrine ?
Aucune voix ou presque ne s’est fait entendre pour réclamer un durcissement plus rapide de la politique monétaire. L’adoption du plan de relance européen financé par un emprunt communautaire a été perçu comme un changement de doctrine.
Sur le plan interne, en matière budgétaire, après avoir soutenu le pouvoir d’achat des ménages durant l’épidémie, le gouvernement fédéral a décidé de lancer un plan d’aides de 200 milliards d’euros pour faire face à l’inflation. En parallèle, un programme annuel de modernisation de l’armée de 100 milliards d’euros a été également décidé. En augmentant les dépenses publiques comme d’autres États membres de la zone euro, le gouvernement allemand prend le risque d’alimenter l’inflation. Ce net revirement est dicté par des impératifs politiques et économiques. Il n’est pas sans lien avec le vieillissement rapide de la population allemande qui exige plus de protection.
Par ailleurs, la menace russe, la montée du protectionnisme et les incertitudes sur l’évolution des États-Unis, arriment un peu plus fortement qu’auparavant l’Allemagne à l’Union européenne.
L’Allemagne pourrait rapidement réendosser le costume de la rigueur
Si l’Allemagne souhaite préserver ses importantes relations commerciales avec la Chine comme en témoigne le dernier voyage dans ce pays du chancelier Olaf Scholz, elle est consciente que l’Union européenne demeure son marché de base. Une fois l’affaire des approvisionnements énergétiques réglée, le gouvernement allemand devrait ainsi revenir à ses fondamentaux en privilégiant la lutte contre l’inflation et en exigeant de ses partenaires un effort drastique d’assainissement de leurs comptes.
En cas de nouvelle crise des dettes souveraines, la mansuétude allemande pourrait rapidement avoir comme limite les intérêts de l’industrie et des épargnants dont le pouvoir d’influence est important.
Compte tenu de son poids économique et diplomatique, l’Allemagne pourrait rapidement réendosser le costume de la rigueur.
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