L'AEFE : une manne pour l'Etat ?

L'AEFE : une manne pour l'Etat ?

Dans une interview accordée à Lesfrancais.press, l’avocat en contentieux Pierre Ciric explique la façon dont l’État, par le biais de l’AEFE, renfloue ses caisses grâce à l’argent des parents d’élèves.

Le 15 décembre 2021, le sénateur Ronan le Gleut publiait un Rapport d’informations (n°305) sur le Contrat d’objectifs et moyens (COM) 2021-2023 de l’AEFE. A l’intérieur, il fait état d’un dispositif de redevances institué au travers de plusieurs résolutions votées par le Conseil d’administration de l’AEFE en 2009. Par ailleurs, ce système serait généralisé par une mesure dite de contribution unique et fixée sur le chiffre d’affaires des écoles françaises à l’étranger. Ainsi, les parents d’élèves verseraient chaque année une forte somme d’argent pour les frais de scolarité de leurs enfants dont seulement une partie de ces frais serait consacré à l’éducation. Le solde remonterait directement à Bercy et ne servirait pas aux besoins éducatifs comme ils le pensent mais à rembourser la dette de l’Etat.

Lesfrancais.press : le réseau AEFE, quel est son mode de financement ? Au niveau local (établissement) et au niveau mondial (l’agence elle-même) ?

Pierre Ciric : Nonobstant le fait que c’est à l’AEFE que revient l’obligation de transparence sur son financement, les rapports parlementaires, ainsi que les contentieux que j’ai mené depuis 2003, démontrent les points suivants : son financement provient de deux sources, la dotation de l’Etat, votée par le parlement, et les soi-disant « remontées financières des établissements, » telles que les appellent l’AEFE, et qui concernent de multiples redevances basées sur les frais de scolarité payées par les familles.  Ces « redevances » représentent la somme colossale de 2.8 Milliards d’Euros payées par les familles de 2009 à 2021. 

Ces chiffres sont basés sur les rapports sénatoriaux, des demandes de documents administratifs, ainsi que sur les contentieux administratifs et pénaux enregistrés par mes soins depuis 2012.  Personne ne peut donc les nier !

Avec le collectif « Avenir des Lycées Français en Danger » suite au rapport de M. Le Gleut, vous alertez les élus et le public sur un probable pillage des trésoreries locales ? Quel est le mécanisme ?

Pierre Ciric : J’ai expliqué ce mécanisme dans une note au sénat en date du 9 février 2022, qui répond à un rapport émis par ce dernier le 15 décembre 2021, intitulé « Rapport d’Information émis par la commission des affaires étrangères portant avis sur le projet de contrat d’objectifs et de moyens (COM) de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger pour les années 2021-2023. »  Cette note explique deux choses : d’une part, elle détaille les montants colossaux que représentent les redevances perçues par l’AEFE sur les frais de scolarité sur la base de simples délibérations de son Conseil d’Administration depuis 2009.  D’autre part, la note explique que la base juridique de ces redevances est des plus fragiles, et ce du fait de contentieux menés par mes soins devant les juridictions administratives et pénales depuis 2012.  En effet, ces redevances sont assimilées juridiquement à une imposition que seul le parlement est habilité à prononcer.  Or, ce système résulte de la décision de Bercy, datant de 2009, de refuser d’honorer son obligation de financement de la part patronale des pensions civiles des agents détachés par le Quai d’Orsay.

Ce mécanisme est d’autant plus diabolique que le Rapport d’Information suscité confirme la volonté de l’AEFE de remplacer le système de redevances existant par, et je cite, un « impôt unique » appliqué à tous les établissements au même taux, bien sûr supérieur à celui pratiqué jusqu’alors, de 6%.  Le sénat lui-même confirme qu’il s’agit bien d’une imposition en retenant l’appellation d’ « impôt unique ! »

C’est donc bien l’argent des parents d’élèves qui remonte à Paris ? Doit-on craindre une baisse de qualité de l’enseignement ? Une hausse des couts de scolarité ?

Pierre Ciric : Bien sûr que c’est l’argent des familles qui remonte à Paris !  D’ailleurs, l’AEFE appelle bien ça les « remontées financières des établissements ! »  Concernant la qualité de l’enseignement, il est trivial que si un service éducatif qui est facturé 10 Euros ne touche que 8 Euros pour l’aspect éducatif, alors que 2 Euros vont dans la caisse de l’Etat, il est évident que les prestations éducatives en souffriront puisque les « fonds manquants » ne financent aucun aspect éducatif.  

Concernant l‘impact de ces mesures sur les frais de scolarité, il est indéniable que toute imposition de redevance par l’AEFE sur les établissements a un effet mécanique indiscutable sur les frais de scolarité, car les écoles ont leurs charges à payer en sus de ces redevances et ne pourront pas faire face à leurs propres coûts sans augmentation des écolages si l’AEFE vient prendre sa « gabelle » sur ces recettes !

Mais que fait de cet argent l’AEFE à Paris alors que l’agence a annoncé la fin à moyen terme des professeurs détachés au profit de contrats locaux formés dans des centres régionaux ? 

Pierre Ciric : Il est évident que le véritable moratorium décrété récemment par l’AEFE sur les transferts de personnels résidents pour la prochaine année scolaire détruit toute rationalité économique, s’il y en avait une, attachée à ce système vicieux des redevances sur les frais de scolarité.  En effet, cette justification économique, sans fondement juridique, était basée sur le financement des retraites des résidents mutés dans le réseau.  Or, si l’AEFE, en manipulant une récente décision de justice qui dénonce les pratiques contractuelles illicites de l’AEFE concernant la gestion du personnel à l’étranger, retire tout simplement ces personnels, pourquoi alors continuer à payer des impôts supposés financer ces transferts ?

L’argent des expatriés sert donc à combler le déficit de l’Etat ? 

Pierre Ciric : Comme l’indique la note au sénat du 9 février, non seulement l’AEFE confirme le transfert de l’essentiel de ces fonds à Bercy dès les premières résolutions devant son Conseil d’Administration en 2009, mais personne n’a contesté ce point durant tous les contentieux concernant ces redevances depuis 2012 !

Sur la base des recours déposés et des réponses aux demandes de communications de documents administratifs déposés contre l’AEFE et Bercy, il semble bien que ces fonds, pour l’essentiel, sont transférés à Bercy, nonobstant certains investissements immobiliers.  Mais le détail de cette répartition n’est pas connu, et c’est à l’AEFE de le rendre transparent.  Il est évident que, dans le cadre de la Proposition de Loi (« PPL ») sur les Instituts Régionaux de Formation (« IRF »), qui n’est pas financée, comme l’ont remarqué les sénateurs, les redevances deviendront la seule base de tout financement futur de l’expansion du réseau, puisque l’Etat ne semble pas vouloir mettre un kopeck dans cette expansion.  La première preuve en est le fait que cette décision sur les IRF est passée par une PPL et non pas par une loi de finances ….

Vous aviez déjà, dans le passé, mené des combats similaires contre des redevances. Malgré les conclusions du tribunal qui n’en reconnait pas le droit à l’AEFE, le dispositif se perpétue. La nouvelle loi sur la gouvernance de l’AEFE, tout juste adoptée, ne va-t-elle pas mettre fin à toute contestation possible ?

Pierre Ciric : L’essentiel des contentieux administratifs et pénaux déposés depuis 2012 n’ont pas abouti à des condamnations définitives de l’AEFE uniquement pour des raisons liées à la question de mon intérêt à agir, puisque j’étais parent d’élèves dans un établissement appelé partenaire, le lycée francais de New York, et non dans un établissement conventionné ou en gestion directe.

La PPL sur les IRF n’a rien à voir avec le système de redevances, puisqu’elle ne prescrit précisément rien sur la partie recettes de l’AEFE.  L’AEFE n’invoque que son pouvoir règlementaire aux fins, non seulement de perpétuer ces redevances, mais de les étendre, tel que cela a été expliqué dans le projet de contrat d’objectifs et de moyens (COM) de l’AEFE.  Par conséquent, quand l’AEFE, probablement dans un futur proche, approuve une nouvelle résolution sur un « impôt unique » aux fins d’étendre ce système, ce dernier est de nouveau attaquable par les parents d’élèves !

Au final, quelles sont les solutions ? Avez-vous prévu une nouvelle action en justice et si oui laquelle ?

Pierre Ciric : Les solutions à long terme concernant le financement de l’AEFE relèvent d’abord de choix politiques, et non juridiques.  Néanmoins, il est évident que toute perspective de développement du réseau doit d’abord passer par le respect, pour l’Etat, de ses obligations, et donc de revenir sur sa décision de 2009, de refuser d’honorer son obligation de financement de la part patronale des pensions civiles des agents détachés par le Quai d’Orsay.

De plus, il est évident que, depuis sa création en 1991, l’AEFE a perdu toute crédibilité avec l’ensemble des acteurs du système.  Par conséquent, la suppression de l’AEFE et le transfert de TOUTES ses compétences au seul ministère qui les possède, à savoir le ministère de l’éducation nationale, est une option politique parfaitement viable pour les futurs décideurs, quels qu’ils soient.

Concernant les futures actions en justice, ce sont uniquement les parents d’élèves avec des enfants dans le réseau à cette heure, donc pas moi, car les sont partis depuis 2016, qui pourront revenir devant les tribunaux administratifs ou pénaux pour remettre en cause ce système de financement inique, illicite et opaque.

Qui est Pierre Ciric ?

Pierre Ciric est un avocat français inscrit au Barreau de New-York aux États-Unis. Fondateur du cabinet Ciric Law Firm, il est spécialisé dans les questions de litige commercial, services corporatifs et fiscaux pour les entreprises et les organismes à but non-lucratif. Il a également été à l’origine d’un recours formé devant le Conseil d’État sur les motifs impérieux qui ont empêché les Français de l’étranger de venir en France pendant plusieurs mois en 2021.

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