Selon Paris, l’accord trouvé entre le gouvernement et EDF pour réguler les prix de vente du nucléaire ne risque pas de constituer des aides d’États. Les experts sont, eux, plus prudents, tout comme la Commission européenne qui réserve son jugement.
Depuis que la guerre en Ukraine a aggravé la situation énergétique en Europe, les parties prenantes se démènent pour juguler les effets de la crise sur les prix de l’électricité.
En parallèle d’une réforme du marché européen de l’électricité, la France a engagé des pourparlers avec le plus gros producteur d’électricité d’Europe, EDF, pour réguler les prix de vente de son nucléaire.
Cette manœuvre répond à deux objectifs : stabiliser les prix de l’électricité et remplacer le système actuel d’Accès régulé à l’énergie nucléaire historique (ARENH) qui assure la concurrence sur le marché français de l’électricité.
L’ARENH garantit l’accès à la production nucléaire historique d’EDF à des prix avantageux afin de créer les conditions d’une concurrence équitable sur le marché français, conformément aux règles européennes en la matière.
Sauf que le dispositif disparaîtra au 31 décembre 2025. Pour maintenir une concurrence, EDF et le gouvernement prévoient ainsi de réguler le prix de vente de l’électricité nucléaire en captant une partie des rentes de l’entreprise lorsque les revenus générés par le parc nucléaire — vente sur le marché de gros et mécanismes d’équilibrages — dépassera 78 €/MWh.
Dans sa forme, l’accord prévoit de redistribuer aux consommateurs les éventuels surplus de recettes. Il s’abstient toutefois de fixer un plancher de prix qui verrait l’État compenser EDF en cas de prix trop bas sur le marché, comme pourraient le permettre les contrats bidirectionnels compensatoires actuellement en discussion à Bruxelles (Contracts for Difference, CfD).
Bien que ce type de contrat pourrait théoriquement remplacer l’ARENH, l’Autorité de la concurrence française rappelait en 2020 le risque qu’il soit retoqué pour constitution d’aide d’État.
Or, la France ne souhaite pas prendre de risques, car s’il n’y a pas d’autre solution, l’exécutif pourrait devoir engager la division des activités d’EDF pour libéraliser le marché. En 2019, l’évocation de ce projet avait réveillé les syndicats et la rue, excités de nouveau cette année.
Mais avec l’accord trouvé à Paris, le gouvernement se dit à l’abri d’une possible atteinte au régime d’interdiction des aides d’État.
Pas d’aides d’État sur la forme
Après des discussions entre les exécutifs français et européen, « la Commission constate qu’il n’y a pas de points qui requièrent son accord dès lors que le prélèvement [de la rente] relève de la souveraineté fiscale des États membres et que la redistribution est suffisamment homogène pour ne pas distordre le marché intérieur », nous a confié le cabinet de la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher.
Contacté par Euractiv France, l’avocat associé en droit de la concurrence auprès du cabinet spécialisé August Debouzy, Renaud Christol, nous l’a confirmé.
« En substance, l’accord consiste à plafonner le montant des prix de vente que facture EDF aux fournisseurs alternatifs, tout comme le prévoyait l’ARENH. En revanche, cet accord ne prévoit pas de versement de sommes par l’état à EDF. Nous ne sommes donc pas dans le cadre des aides d’État ». Par conséquent, « la Commission n’a pas à contrôler cet accord avant qu’il soit mis en œuvre », conclut l’avocat.
Le porte-parolat de la Commission européenne, lui, est plus évasif.
À la question de savoir si l’accord pourrait constituer une aide d’État ou être contrôlé à ce titre, l’exécutif européen nous a répondu que «si une mesure constitue une aide d’État […], elle doit être notifiée par l’État membre concerné à la Commission pour évaluation».
En clair, la Commission européenne ne dit pas clairement si l’accord constitue, ou non, une aide d’État ni même s’il doit être contrôlé à ce titre pour le moment. Au bénéfice de son doute, certains détails de l’accord sont encore inconnus, comme la grille de répartition des rentes captées.
Attention à la sélectivité…
À ce stade, les informations manquent sur les critères de redistribution.
Dans le document de consultation publique diffusé mardi (21 novembre), « aucun mot sur la “clé de répartition” des bénéfices entre ménages, entreprises et électro-intensifs », a fustigé sur X le chercheur au think tank sur la transition écologique IDDRI, Andreas Rüdinger. C’est pourtant «LA question à régler », selon lui.
En pratique, si les rentes captées par l’État sont redistribuées à tous les consommateurs ou à toutes les entreprises, il n’y a pas d’aides d’État, nous explique Etienne Durand, maître de conférence en droit public à l’Université de l’Essex en Angleterre. En revanche, « si la redistribution concerne uniquement les entreprises électro-intensives par exemple, elle serait qualifiée d’aide d’État et devra donc faire l’objet d’un contrôle par la Commission européenne », prévient-il.
Autrement dit, le critère de sélectivité des bénéficiaires de la redistribution jouera le rôle d’arbitre. Mais ce n’est pas le seul, puisqu’un autre critère se révèle tout aussi crucial.
… et à la contestabilité des tarifs
L’autre interrogation que pose cet accord concerne la situation des fournisseurs alternatifs.
Pour maintenir un système concurrentiel, « il va falloir en effet assurer la ‘contestabilité des tarifs », c’est-à-dire la capacité des fournisseurs alternatifs à proposer des offres similaires à celles d’EDF «fourniture», nous explique l’expert en marché de l’énergie chez Colombus Consulting, Nicolas Goldberg. Or, en l’état des connaissances du projet, rien n’est moins sûr ».
À ce sujet, les représentants du secteur seront « très réactifs pour s’assurer que le droit de la concurrence sera respecté », affirme chez Montel le président de l’Association française indépendante de l’électricité et du gaz, Géry Lecerf. Pour le moment, l’association entretient de « forts doutes ».
Et si les fournisseurs alternatifs ne peuvent finalement répliquer les prix, la France se fera « retoquer par la Commission européenne », conclut M. Goldberg.
Bref, l’examen de l’accord est loin d’être terminé.
Durant la période de consultation publique, qui se terminera le 20 décembre prochain, chacun de ces experts pourra faire part de son avis. Et si jamais la consultation se solde par un avis « fortement négatif » des acteurs consultés, « l’accord pourrait être modifié », nous confie Maître Christol.
Pour avancer plus sereinement, profiter également du cadre en cours de négociation au niveau européen, M. Rüdinger suggère que le dispositif pensé par EDF et le gouvernement se maintiennent pendant seulement trois ans, le temps de réfléchir à un CfD « qui permette une visibilité parfaite des revenus d’EDF et des prix pour le consommateur, moyennant la résolution des problèmes de gouvernance d’EDF sur sa position dominante ».