Le symbole est magnifique et paradoxal : Alors que l’épidémie de Covid n’est pas terminée et que la situation culturelle dans l’hexagone et en Europe reste très préoccupante – 200 milliards auraient été perdus dans ce secteur au niveau de l’Europe des 27, la France s’apprête ni plus ni moins à ouvrir cet automne un lieu de prestige dédié aux résidences d’artiste et à la création : la Villa Albertine va rejoindre la Villa Médicis à Rome, la Casa de Velázquez à Madrid et la Villa Kujoyama à Kyoto dans le cortège de lieux culturels d’exceptions.
Les villas : des lieux culturels d’exception
Ces lieux douillets, à la situation patrimoniale souvent exceptionnelle, font office de véritables cocons créatifs pour des artistes soigneusement sélectionnés. La vénérable ancêtre de ce quatuor de lieux privilégiés est un palais renaissance du 16ème siècle qui depuis 1806 accueille les lauréats du prix de Rome. La célèbre Villa Medicis héberge ses pensionnaires dans le cadre exceptionnel de la capitale italienne pour des séjours créatifs destinés à les aider à accoucher d’œuvres originales.
La villa Velasquez de Madrid et sa bibliothèque de 150 000 livres offre quant à elle des séjours de trois mois à des boursiers qui ne sont pas seulement des artistes mais aussi des scientifiques venus approfondir dans ses murs leurs recherches en sciences sociales.
La Villa Kujoyama de Kyoto vient compléter en 1992 ces premiers lieux de résidence. Située au cœur de cette ville japonaise célèbre pour sa tradition artistique elle offre des séjours de 12 mois sur place et s’enorgueillit d’être un lieu d’échange dont l’origine intellectuelle se situe en 1926 avec le séjour de Paul Claudel comme Ambassadeur de France. Il sera le premier à imaginer un lieu pour les artistes attirés par ce Japon raffiné et plusieurs fois millénaire.
La villa Albertine une petite dernière originale
La villa Albertine aux USA vient donc compléter ce panorama culturel déjà dense. Inscrite dans la tradition proustienne – Albertine est un personnage fugitif que l’écrivain n’aura de cesse de poursuivre en vain dans son célèbre « Albertine disparue », ce nouveau lieu est en réalité plus un concept de réseau qu’un lieu unique.
Il s’agira d’accueillir des artistes dans une dizaine de villes américaines différentes selon des formules d’hébergements et d’accueil assez diverses :
L’ecrivain Constance Debré sera ainsi hébergée dans un appartement new-yorkais, la ville étant elle-même le lieu privilégié du festival Albertine qui depuis 3 ans permet l’échange et le débat d’intellectuels et écrivains autour des liens entre nos deux nations. Mais à côté de l’épicentre culturel New-Yorkais d’autres artistes seront quant à eux disséminés dans des villes comme Chicago, célèbre pour sa tradition architecturale, La Nouvelle Orléans, tournée vers le Jazz, ou Los Angeles pour les cinéastes et scénaristes.
« Ce n’est plus aux artistes de s’adapter à la villa c’est à la villa de s’adapter aux artistes »
Gaetan Bruel le directeur de la Villa par ailleurs conseiller culturel auprès de l’Ambassade de France.
Des projets artistiques éclectiques
Si la villa Albertine aux USA détonne c’est aussi pour les disciplines éclectiques qu’elle soutiendra, comme la réalisation de Podcast ou de bandes-dessinées, avec une vision des arts tournée vers la création numérique et la modernité.
Cette 4ème venue dans le paysage culturel français risque donc d’occuper une place originale aux côtés de ses trois devancières inscrites dans une approche davantage patrimoniale et de prestige.
Si la France est capable d’investir ainsi culturellement dans un projet ambitieux c’est qu’elle continue à assumer sa vocation de nation culturelle forte malgré des réseaux d’alliances et d’instituts qui ont parfois du mal à faire face aux impératifs d’autofinancement exigés par le ministère des affaires étrangères. Ces réseaux ne doivent pas se transformer en parents pauvres d’une politique culturelle qui ne vivrait qu’à travers ces lieux de prestige que sont les villas d’artistes. Notons d’ailleurs que ces villas sont gérées par le ministère de la culture et le ministère de l’enseignement supérieur pour la plupart d’entre elles. Et donc pas seulement par le quai d’Orsay.
La France doit s’honorer tout à la fois de son soutien à ses élites artistiques comme de sa vocation parfois plus modeste mais nécessaire de démocratisation de l’accès à la culture.
Alors demain des villas ouvertes à tous ? On peut imaginer des projets artistiques issus des résidences d’artistes qui toucheraient le plus grand nombre et pas seulement quelques happy few. Voilà un beau défi pour sortir de la période épidémique et névrotique actuelle : créer des œuvres rassembleuses et faire rêver le grand public. Nous attendrons donc cet automne l’ouverture de la Villa Albertine et suivrons les premiers pas de ses artistes invités en résidence.
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