Née de l’incapacité de la IVe République à mener à son terme le processus de décolonisation, la Ve République, avec ses 67 années d’existence, talonne désormais en longévité la IIIe République. Reposant sur un parlementarisme rationalisé, elle a su surmonter de nombreux chocs, du départ de son fondateur, le général de Gaulle, à l’épidémie de Covid-19, en passant par Mai 1968 ou la crise des Gilets jaunes. Néanmoins, depuis quelques années, les institutions sont sous pression, avec une instabilité gouvernementale croissante sur fond d’Assemblée nationale fragmentée et paralysée. Le passage des budgets constitue désormais, chaque année, une épreuve.
En 1991, Michel Rocard, alors Premier ministre, estimait déjà que le dossier des retraites pourrait faire chuter plusieurs gouvernements. Il a fallu attendre près d’un quart de siècle pour que cette prédiction se réalise, avec le vote d’une motion de censure contre le gouvernement de Michel Barnier, principalement imputable à une disposition concernant l’indexation des pensions de retraite. Au-delà de la question des retraites, c’est la situation des finances publiques qui met désormais en danger les institutions de 1958. Celles-ci garantissent de moins en moins la stabilité gouvernementale et la prospérité des Français.
La dépense publique est devenue une véritable religion d’État.
Depuis plus de cinquante ans, la France accumule les déficits publics. Le poids de la dette dans le PIB a été multiplié par près de cinq ! Le pays s’inscrit dans une longue tradition de mauvaise gestion budgétaire, les périodes d’excédent étant l’exception. La dépense publique est devenue une véritable religion d’État. Elle représente plus de 53 % du PIB, un record au sein de l’OCDE. En France, chaque problème appelle une réponse financière des pouvoirs publics. Durant la période des taux bas, entre 2015 et 2021, nombre de commentateurs et de responsables politiques estimaient qu’il aurait été stupide de ne pas en profiter, oubliant que le capital emprunté serait remboursé dans des conditions bien moins favorables. Le déficit est devenu la norme ; l’objectif rarement atteint consiste simplement à le ramener sous les 3 % du PIB.
L’endettement public, en soi, n’est pas nécessairement nuisible, à condition qu’il finance des investissements générateurs de richesse. Or, la France s’endette surtout pour financer ses dépenses courantes, et notamment sociales. La Cour des comptes estime aujourd’hui que les comptes sociaux sont « hors de contrôle ». Dans un système assurantiel, les cotisations sont censées couvrir les prestations grâce à des provisions. Or, les régimes sociaux publics ont oublié ces principes depuis de nombreuses années.
Le vieillissement démographique constitue l’un des facteurs d’impéritie budgétaire, mais la France n’est pas la seule à y être confrontée. Des pays comme l’Allemagne, qui vieillissent plus vite encore, ne connaissent pas les mêmes affres. Il existe bien une spécificité française : une société fragilisée par cinquante ans de crises et de chocs économiques.
Dans les années 1970, le Royaume-Uni avait été contraint de faire appel au FMI.
Dans un pays centralisé et bureaucratisé, les citoyens rejettent sans cesse la responsabilité des échecs sur les élus, alimentant un climat de défiance généralisée. Les Français refusent les efforts collectifs, estimant, pris individuellement, qu’ils en font déjà beaucoup, et que les sacrifices doivent être assumés par d’autres. Même si l’inquiétude gagne du terrain, certains estiment que la France est « trop grosse pour tomber » (too big to fail), et que son poids économique et financier, de nature systémique, la met à l’abri d’un scénario à la grecque. C’est oublier que, dans les années 1970, le Royaume-Uni avait été contraint de faire appel au FMI face à l’accumulation de ses déséquilibres financiers. Pour d’autres, une mise sous tutelle serait, à terme, inévitable. Elle permettrait d’imposer des mesures impopulaires que la classe politique, divisée, et une opinion publique rétive à tout effort, sont aujourd’hui incapables de mettre en œuvre. Un tel scénario pourrait engendrer une crise politique majeure, débouchant sur des décisions irrationnelles, comme un éventuel rejet de l’Union européenne.
Seule la croissance permet de réduire le poids de la dette.
En Espagne, au Portugal ou en Italie, où les dirigeants et les populations ont subi dans les années 2010 les fourches caudines de la Commission européenne, certains attendent avec une certaine gourmandise le moment où la France sera à son tour soumise à un plan de rigueur, l’obligeant à vendre ses bijoux de famille — ports, aéroports ou participations stratégiques.
La Ve République peut-elle éviter l’embardée fatale ? Les pouvoirs publics peuvent-ils reprendre la main sur les finances sans déclencher un climat révolutionnaire ? La solution ne réside pas dans l’attrition, mais dans l’expansion. L’Espagne et le Portugal nous enseignent que la léthargie économique n’est pas une fatalité, et que seule la croissance permet de réduire le poids de la dette. Pour cela, l’augmentation du volume de travail est la condition sine qua non. La France a besoin d’un choc de croissance, articulé autour d’un pacte donnant-donnant : la réduction des dépenses sociales doit aller de pair avec la baisse du déficit, celle des prélèvements, et une revalorisation du travail.
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