La stratégie d’Elon Musk pour influencer l’Europe

La stratégie d’Elon Musk pour influencer l’Europe

BERLIN — Tout a commencé avec un tweet du milliardaire préféré de Donald Trump.

« Wow, l’Allemagne supporte une grande partie des coûts de l’UE ! »a posté Elon Musk sur X en novembre, espérant manifestement susciter l’indignation de l’Allemagne pour son statut de premier contributeur financier de l’Union.

Mais affirmer l’évidence en Allemagne n’a pas réussi à galvaniser les foules, comme c’est le cas de l’autre côté de l’Atlantique.

Sa solution a donc été de redoubler d’efforts, en promouvant le parti allemand d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD, Patriotes pour l’Europe), pro-Russie et anti-immigration, en décembre. Elon Musk a soutenu l’idée que l’AfD était la seule force politique capable de « sauver l’Allemagne ».

Les Allemands se rendront aux urnes le 23 février 2025 pour des élections fédérales anticipées, après l’effondrement de la coalition au pouvoir. L’AfD se place actuellement en deuxième position dans les sondages, derrière le principal parti d’opposition et de droite, l’Union chrétienne-démocrate (CDU, Parti populaire européen).

Ce jeudi 9 décembre, le milliardaire américain, PDG des entreprises Tesla et Space X à ses heures perdues, animera un direct très attendu sur X avec la co-présidente de l’AfD au Bundestag, Alice Weidel, marquant une nouvelle escalade dans sa rancune à l’égard de l’Europe.

Provoquer l’Europe

L’Allemagne n’est toutefois pas la cible principale d’Elon Musk. L’homme le plus riche du monde a passé une bonne partie du mois d’août dernier à alimenter des émeutes racistes dans le nord de l’Angleterre avec des messages mettant en garde contre une « guerre civile ».

Depuis, ses messages sont devenus une véritable campagne en faveur des partis d’extrême droite européens.

S’il a réussi à déclencher une certaine hystérie, la plupart des Européens restent perplexes face à ses manigances. En effet, 68 % des Allemands interrogés dans le cadre d’un sondage YouGov publié mercredi estiment que le milliardaire américain ne comprend pas véritablement leur pays. Et d’ailleurs, bien que l’AfD est actuellement le deuxième parti, avec environ 18 % des voix selon les sondages, la plupart des Allemands considèrent qu’il n’y a pas lieu de s’en préoccuper.

De l’autre côté de la Manche, un sondage britannique montre que deux tiers des personnes interrogées ne souhaitent pas qu’il gagne en influence dans la vie politique du pays.

L’« American playbook » d’Elon Musk

Le milliardaire américain cherche clairement à construire une base de pouvoir politique en Europe, similaire à sa campagne pour aider Donald Trump à regagner la présidence américaine, qui a porté ses fruits.

Sa stratégie consiste à parler et faire parler des candidats d’extrême droite à travers des déclarations provocantes, en s’appuyant notamment sur sa notoriété et sa puissance financière.

À l’instar de son soutien à Donald Trump sur X, Elon Musk a publiquement soutenu l’AfD sur les réseaux sociaux en décembre et même publié une tribune dans le prestigieux journal Welt, dans laquelle il affirmait que l’AfD mettrait fin au déclin économique de l’Allemagne et défendait le parti contre les accusations d’extrémisme.

Il a soutenu que les critiques étaient « clairement erronées », notant qu’Alice Weidel a une partenaire féminine issue d’une minorité ethnique. « Cela ressemble-t-il à Hitler pour vous ? S’il vous plaît ! »

Parallèlement, il a été révélé qu’Elon Musk envisageait de faire un don de 100 millions de dollars au parti d’extrême droite Reform UK de l’activiste du Brexit Nigel Farage, contre lequel il s’est depuis retourné.

Le milliardaire américain a également ressorti un scandale britannique de pédophilie vieux de dix ans sur X pour discréditer le Premier ministre Keir Starmer, qui était alors à la tête du ministère de la Fonction publique britannique.

En Italie, il a fait sensation en attaquant publiquement les juges qui s’étaient prononcés contre le projet de la Première ministre Giorgia Meloni de traiter les demandes d’asile dans des centres fermés au nord de l’Albanie, écrivant sur X qu’ils devraient être limogés.

Renouvelant son soutien et ses attaques cinglantes dans les jours qui ont suivi, Elon Musk n’a pas caché son soutien à la Première ministre italienne, qui s’est également efforcée de se positionner en tant que médiatrice transatlantique auprès de Donald Trump.

Ce dimanche 5 janvier, Bloomberg révélait que l’Italie était en pourparlers avec SpaceX pour un système de télécommunications sécurisé d’une valeur de 1,5 milliard d’euros à usage gouvernemental, malgré le fait que le pays soit déjà engagé dans le programme IRIS2, créé pour limiter l’utilisation de fournisseurs de services extracommunautaires.

Elon Musk a aussitôt réagi sur X, laissant entendre que d’autres États membres de l’Union européenne (UE) suivraient le mouvement.

Patience à long terme ?

Les dirigeants européens semblent inquiets. Les actions du bras droit de Donald Trump ont amené les dirigeants des trois pays les plus peuplés à s’exprimer, le Britannique Keir Starmer, l’Allemand Olaf Scholz et le Français Emmanuel Macron dénonçant chacun les interventions d’Elon Musk.

Pour Claes de Vreese, politologue à l’université d’Amsterdam, leur nervosité est justifiée. Ce type d’intervention est un territoire inconnu pour l’Europe, d’autant plus qu’Elon Musk a un projet politique et possède l’un des réseaux de communication les plus internationaux, X.

« Cela pourrait être une force puissante », avertit le politologue.

À court terme, un succès similaire à celui des élections américaines, où Donald Trump a accédé au pouvoir avec le soutien d’Elon Musk, semble toutefois impossible en Europe.

« D’une manière générale, il sera difficile pour les forces politiques américaines d’intervenir en Europe », confie Claes de Vreese. Cela est lié à une culture politique complexe, difficile à comprendre pour les étrangers, et un système politique multipartite favorisant la nuance plutôt que la polarisation, explique le politologue.

 Le milliardaire américain cherche clairement à construire une base de pouvoir politique en Europe, similaire à sa campagne pour aider Donald Trump à regagner la présidence américaine, qui a porté ses fruits. [Esther Snippe pour Euractiv. ©Photos : EPA et Shutterstock.]
Le milliardaire américain cherche clairement à construire une base de pouvoir politique en Europe, similaire à sa campagne pour aider Donald Trump à regagner la présidence américaine, qui a porté ses fruits. [Esther Snippe pour Euractiv. ©Photos : EPA et Shutterstock.]

L’attaque d’Elon Musk contre le rôle de l’Allemagne dans l’UE — un pays solidement pro-européen — a pleinement démontré son manque de compréhension de l’Europe. Les utilisateurs de X ont même ajouté une note communautaire à son message pour en souligner le contexte douteux.

Il est donc peu probable que le bras droit de Donald Trump fasse bouger les choses lors des élections allemandes de février.

Le politologue Uwe Jun, de l’université de Trèves, considère que quoi qu’il en soit, la campagne d’Elon Musk laissera des traces. « Elle contribuera à normaliser et à légitimer l’AfD — et c’est ce que le parti cherche à obtenir », souligne-t-il.

Les eurodéputés réagissent

Les groupes socialistes et libéraux du Parlement européen ont appelé à un débat sur les « fake news » et les discours de haine lors de la prochaine session plénière à Strasbourg du 20 au 23 janvier.

Mercredi matin, le groupe libéral Renew Europe a annoncé qu’il demanderait un débat d’urgence sur les récents posts d’Elon Musk sur X et sur la question de savoir s’ils enfreignent le règlement de l’UE sur les services numériques (Digital Services Act, DSA).

Pour Valerie Hayer, présidente du groupe Renew, l’Europe ne peut pas rester aveugle face à la détermination d’Elon Musk à interférer dans les affaires démocratiques de l’UE. Le présidente du groupe des Socialistes et Démocrates (S&D), Iratxe García Pérez, a également lancé un appel similaire. « De nouveaux dangers menacent nos démocraties. Des dangers aussi puissants, voire plus, que les armes : les fake news, les discours de haine et l’utilisation abusive des réseaux sociaux », a-t-elle écrit sur X.

Mercredi, Elon Musk a partagé une image trompeuse représentant le Premier ministre norvégien Jonas Gahr Støre rencontrant Bill Gates — un post qui pourrait faire partie de l’enquête en vertue du DSA de la Commission contre X pour désinformation.

Le Parti populaire européen, le plus gros groupe au Parlement européen, a également envoyé plusieurs demandes à la Commission pour évaluer si le comportement du milliardaire américain était contraire aux règles établies par le DSA.

L’eurodéputé des Verts Damian Boeselager avait précédemment envoyé une lettre ouverte à la vice-présidente exécutive de la Commission responsable du DSA, Henna Virkkunen, exprimant des préoccupations similaires.

Auteur/Autrice

Laisser un commentaire

Laisser un commentaire