La France a fait de la sobriété énergétique un pilier de sa stratégie de décarbonation. À Bruxelles et dans les autres capitales européennes, aucun programme de ce type n’est aussi structuré.
En octobre dernier, afin de répondre aux craintes de l’hiver marqué par une pénurie de gaz russe et l’indisponibilité d’une partie du parc nucléaire, le gouvernement français avait présenté un plan de sobriété énergétique. Objectif : réduire de 10 % la consommation énergétique d’ici à fin 2024.
Il s’agissait d’une « première marche vers l’objectif de réduction de 40 % de la consommation d’énergie finale d’ici à 2050 » par rapport à 2022, a déclaré la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, lors d’une audition au Sénat le 24 mai dernier.
C’était aussi un pas important dans la réalisation des objectifs européens de baisse de la consommation énergétique d’ici à 2030 de 11,7 %, tels qu’inscrit dans la directive sur l’efficacité énergétique, a-t-elle ajouté.
Selon la directive, l’économie d’énergie est « la quantité d’énergie économisée, déterminée en mesurant et/ou en estimant la consommation avant et après la mise en œuvre d’une mesure visant à améliorer l’efficacité énergétique ».
Est-ce donc à dire que la sobriété énergétique est un pans des mesures d’efficacité énergétique ? Selon le GIEC, la sobriété se définit comme le fait d’ « éviter dès le départ la demande en énergie, en matériaux, en terres, en eau, tout en assurant le bien-être de tous ».
À l’inverse, l’efficacité énergétique consiste à réduire la consommation d’énergie pour un bien ou un service donné. Les deux concepts concourent donc au même objectif de réduction de la consommation d’énergie. Il y a, en revanche, une différence fondamentale d’approche dans les modes de consommation. Quand l’efficacité consiste à remplacer une voiture thermique par une voiture électrique, la sobriété consiste à prendre le vélo, expliquent les experts de l’Institut Jacques Delors.
Le mot de sobriété énergétique ne connait pas de véritable traduction littérale dans les textes européens.
Même si elle n’en fait pas mention explicitement, la Commission européenne défend auprès d’EURACTIV France l’intégration du concept dans les politiques européennes. Notamment parce que l’UE soutient les mesures que peuvent prendre les États membres en matière d’isolation des bâtiments et de meilleure gestion des températures en été et en hiver par exemple.
La Commission rappelle également qu’elle a pris des mesures l’hiver dernier pour réduire la consommation d’énergie en Europe. L’exécutif européen avait en effet prévu des objectifs contraignants et incitatifs de réduction de la demande en gaz et en électricité pour faire face à la pénurie de gaz russe.
En revanche, ceux-ci n’étaient que provisoires et ne fixaient pas de mesures précises pour atteindre ces objectifs.
À Berlin, l’approche est similaire. En avril, l’Allemagne a en effet entériné une loi sur l’efficacité énergétique avec des objectifs de réduction de la consommation d’énergie.
Face à la crise du gaz l’hiver dernier, le gouvernement allemand a également pris des mesures de réduction de la consommation d’énergie temporaires.
Il s’agissait donc de « sobriété de court terme, de réponse à la crise, qui ne résulte pas d’un changement d’approche structurelle, juridique et économique de la baisse de la consommation énergétique », explique à EURACTIV France un fonctionnaire du ministère de l’Économie et du Climat allemand.
Quelle différence ?
Plutôt que de simples mesures de réduction de la consommation d’énergie, le cas échéant temporaires, la sobriété serait donc une approche accompagnée et structurelle de changement dans les modes de consommation pour baisser la consommation d’énergie ?
Le cabinet de la ministre de l’Énergie française présente en effet la sobriété à la française comme une « méthode » singulière.
« Nous avons effectué un travail descendant, en demandant à chaque partie prenante (administration publique, entreprise, société civile) de faire le bilan de leur consommation et de la faire remonter au gouvernement, plutôt que de définir directement des mesures qui se calquent à tout le monde arbitrairement », a-t-il expliqué à EURACTIV France.
Ce concept est d’ailleurs l’un des trois piliers énoncés par le président de la République, Emmanuel Macron, pour atteindre la neutralité carbone en 2050, au côté du développement des énergies renouvelables et du nucléaire.
Pour construire cette sobriété structurelle, la France se base sur des scénarios énergétiques à 2050 dont la baisse de consommation d’énergie est une métrique majeure. Or, il n’existe pas de tels travaux au niveau européen.
Par exemple, « je l’ai vu au sein de la direction générale au transport de la Commission européenne qui, dans ses travaux (2018) sur les scénarios climatiques à horizon 2050, n’a pas prévu de scénario prenant en compte une baisse du nombre de kilomètres parcouru par un citoyen européen », illustre pour EURACTIV France Thomas Pellerin-Carlin, chercheur en politique énergétique européenne à l’Institut de l’économie pour le climat.
Sous cet angle, les autres États membres de l’UE « n’ont pas forcément porté la vision qui consiste à dire que la sobriété est une brique incontournable de la transition énergétique », a expliqué Mme Pannier-Runacher, lors de son audition. « S’interroger collectivement sur le modèle de consommation parait plus discutable », a-t-elle résumé.
Leadership français
Sur ce point, la France dispose donc d’une « forme de leadership politique, avec un niveau d’appropriation technico-administratif du concept de sobriété que je n’ai pas encore vu dans d’autres pays de l’UE », complète M. Pellerin-Carlin.
Aujourd’hui encore, « la sobriété comme levier pour la lutte contre le réchauffement climatique est un concept émergent. Beaucoup de travaux de recherche visent à informer le décideur européen à ce sujet », ajoute le chercheur.
C’est ainsi le cas du projet FULFILL, financé par l’UE et en cours de développement. Le projet vise à informer les décideurs européens sur la sobriété et les leviers de mise en place.
Dès lors, Mme Pannier-Runacher ne perd pas espoir : « il y a un intérêt de la Commission européenne », a-t-elle avancé, même si, pour l’heure, et comme au sein des autres États membres, la sobriété « n’est pas […] un élément incontournable » des politiques européennes.
En conséquence, comme pour l’hiver 2022-2023, la mise en place de mesures européennes temporaires de sobriété pour l’hiver prochain devrait être « le plus probable », avance M. Pellerin-Carlin.
Mais le cabinet de Mme Pannier-Runacher prévient : « sur le long terme, nous n’atteindrons pas nos objectifs de réduction de la consommation énergétique en nous reposant uniquement sur l’efficacité énergétique ».
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