La transition écologique est un défi majeur que doivent relever toutes les économies. Pour la première fois depuis la première révolution industrielle, les États sont amenés à imposer de manière réglementaire une substitution d’énergies, alors que par le passé, les nouvelles sources d’énergie s’ajoutaient aux précédentes. D’ici le milieu du siècle, les agents économiques doivent décarboner leurs activités en réalisant d’importants investissements.
De nombreux secteurs sont contraints de modifier en profondeur leurs processus de production (industries sidérurgiques ou chimiques) ou leurs produits (industrie automobile). Des millions de logements doivent être réhabilités, etc. Pourtant, les effets économiques induits par cette mutation sont curieusement peu ou mal appréhendés. Une étude intitulée « Le peu d’intérêt de la science économique pour le défi du siècle » de l’économiste Xavier Timbeau, publiée par l’INSE, souligne que l’économie de l’environnement est négligée et reléguée aux périphéries des départements d’économie traditionnels. Au sein de ces départements, les postes liés à l’environnement représenteraient moins de 5 % des emplois. Les départements d’économie se concentrent sur des sujets perçus comme académiquement plus prestigieux que l’environnement, qui est laissé à des institutions périphériques comme les départements d’agriculture, d’affaires publiques ou des instituts spécialisés. Cette spécialisation institutionnelle révèle un cloisonnement disciplinaire où l’économie environnementale est considérée comme un champ « appliqué » et non « fondamental », ce qui diminue son attractivité au sein du milieu académique. Xavier Timbeau souligne également les limites des modèles économiques actuels dans l’intégration des questions environnementales.
Interactions entre les systèmes économiques et écologiques.
La modélisation économique traditionnelle repose sur des hypothèses simplificatrices qui ne capturent pas la complexité des interactions entre les systèmes économiques et écologiques. Ces modèles, souvent inspirés par le keynésianisme, axés sur la consommation et l’investissement, prennent peu en compte les effets de l’environnement sur la croissance. La modélisation économique est souvent agrégée à un niveau national ou global, omettant des dimensions telles que l’hétérogénéité géographique et sectorielle. Les effets climatiques varient selon les régions et les secteurs économiques.
Par exemple, le tourisme et l’agriculture réagissent différemment au changement climatique. Les modèles traditionnels appréhendent mal cette diversité des situations et les interférences. Ils ont tendance à négliger les boucles de rétroaction. Cette incapacité à anticiper les dynamiques aboutit à des scénarios économiques qui peuvent se révéler trop optimistes ou trop pessimistes. Une approche plus intégrée, associant des modèles climatiques détaillés à des modèles macroéconomiques sectoriels et régionaux, est nécessaire.
Mieux prendre en compte les dimensions comportementales et institutionnelles
La complexité des interactions entre l’économie et les écosystèmes exige un niveau de granularité que les systèmes actuels ne peuvent atteindre. Xavier Timbeau propose que des efforts soient entrepris pour collecter davantage de données afin d’améliorer les modèles existants. Les travaux de modélisation devraient également mieux prendre en compte les dimensions comportementales et institutionnelles du changement climatique. Les modèles doivent inclure des scénarios d’évolution des préférences et des comportements, influencés par des leviers tels que les taxes carbone ou les politiques de sobriété.
Xavier Timbeau souligne l’insuffisance des connaissances économiques actuelles pour soutenir des politiques publiques environnementales efficaces. L’économie de l’environnement est restée en retrait, non seulement au niveau académique, mais aussi dans la production de connaissances pratiques pour guider les décideurs publics ou privés.
Les politiques publiques, telles que la taxe carbone, sont souvent mal calibrées, et leurs conséquences sociales et économiques mal évaluées. L’économiste souhaite réconcilier l’économie et la transition écologique en mettant l’accent sur l’importance de l’anticipation. Les décideurs publics doivent être équipés d’outils de prévision plus précis, capables d’anticiper les effets de différentes stratégies d’adaptation au changement climatique. Les analyses coûts bénéfices ne doivent plus se limiter à des projections agrégées du PIB, mais inclure des indicateurs de bien-être social, environnemental et de redistribution des ressources.
Il appelle également à une refonte de la comptabilité publique pour mieux capturer l’évolution du bien-être, notamment en intégrant des indicateurs non monétaires tels que l’état de la biodiversité ou la qualité de l’air. Ce souhait n’est pas nouveau : depuis une quarantaine d’années, de nombreux économistes plaident pour dépasser la simple mesure du PIB. Xavier Timbeau, dans son étude, indique que l’un des grands défis pour les économistes est de comprendre et d’intégrer le changement des préférences des agents économiques, notamment en matière de sobriété énergétique. Ces préférences peuvent être modifiées non seulement par le jeu des politiques publiques, mais aussi par les interactions entre les acteurs économiques.
Comment les changements de préférences influencent le bien-être global et la croissance ?
Une question clé est de savoir comment ces changements de préférences influencent le bien-être global et la croissance. Dans les modèles économiques, les préférences des agents sont souvent considérées comme constantes, alors qu’elles sont de plus en plus dynamiques. Pour Xavier Timbeau, la transition écologique nécessite une refonte totale des modèles économiques, car elle révolutionne les fondements mêmes de l’économie, en passant d’une économie extractive à une économie régénérative.
L’économie ne peut plus se contenter d’analyser la croissance à partir des agrégats classiques ; elle doit intégrer des concepts comme les cycles de régénération des écosystèmes, la gestion des ressources naturelles et l’adaptation au réchauffement climatique.
La transition écologique rappelle que toutes les ressources sont rares, en particulier celles qui étaient considérées comme des biens communs, comme l’eau ou l’air.
La transition écologique nécessite une réévaluation des priorités institutionnelles, un renouvellement des outils de modélisation et un engagement profond des économistes dans la recherche et la mise en œuvre des politiques publiques. La science économique, de tout temps, a eu pour objectif d’apprécier l’efficacité de la gestion des ressources rares. La transition écologique rappelle que toutes les ressources sont rares, en particulier celles qui étaient considérées comme des biens communs, comme l’eau ou l’air. En ce sens, l’impératif environnemental s’inscrit parfaitement dans les fondamentaux de l’économie classique.
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