La Russie, toujours en mode résilient

Depuis deux ans, la Russie connaît un rythme de croissance assez mesuré en phase avec sa situation démographique et l’évolution des cours du pétrole. Les autorités peuvent néanmoins s’enorgueillir de la décision de l’agence Fitch d’améliorer la note du souverain russe. Cette amélioration est imputable à la bonne résilience du pays à l’environnement extérieur. Au premier semestre 2019, la croissance économique russe a fortement ralenti à 0,7 % en glissement annuel contre 2 % un an auparavant.

Cette décélération résulte de la baisse des demandes intérieure et extérieure. Les exportations se sont contractées en raison de l’application des quotas de production de pétrole décidés dans le cadre de l’accord de régulation avec l’OPEP. De son côté, la consommation des ménages a subi l’impact de l’augmentation de la TVA de deux points intervenue le 1er janvier 2019. Les pouvoirs publics ont, par ailleurs, retardé plusieurs programmes d’investissements publics.

La baisse des taux décidée au mois de juin dernier devrait néanmoins favoriser la hausse des investissements. Cette baisse a été rendue possible par une décélération de l’inflation. Elle est désormais proche de la cible de 4% retenue par les autorités monétaires. La banque centrale a révisé à la baisse ses prévisions de croissance pour les prochaines années. Elle ne prévoit le retour du taux de croissance entre 2 et 3% qu’en 2022 et sous réserve que le Gouvernement parvienne à lever une partie des contraintes structurelles qui pèsent sur la croissance. À cette fin, le programme des dépenses nationales prévoit une augmentation des dépenses dans l’éducation, la santé et les infrastructures.

Le processus d’assainissement de la sphère financière se poursuit. En juillet 2019, les créances douteuses représentaient 9,9% des prêts et la part des actifs risqués (prêts non performants et restructurés) contre 19,1% un an plus tôt. Le désendettement des entreprises non financières et le transfert des actifs risqués des trois banques privées (Otkritie, B&N and Promsvyazbank) à une structure de défaisance (Trust Bank) ont contribué à cette amélioration. Dans le cadre de la restructuration financière en cours, le nombre d’institutions bancaires a fortement diminué passant de 1344 à 454 de 2000 à 2019.

Un pays faiblement endetté

Même en cas de nouvelles sanctions de la part des pays occidentaux, le faible niveau de la dette publique (14,6% du PIB en 2019) constitue un atout majeur du pays. La dette des ménages représente 16,3% du PIB au deuxième 2019 et, selon la banque centrale, le ratio de dette rapportée au revenu est modéré à 25% fin 2018.

La Russie dispose de considérables réserves de change : plus de 423 milliards de dollars à fin septembre 2019, en hausse de 39 milliards de dollars sur un an. La dette extérieure s’élève à 29,5% du PIB au deuxième trimestre 2019 contre 41% en 2016. Du fait des excédents courants, la Russie devrait conforter dans les prochains mois sa position extérieure en augmentant, en particulier, ses réserves de changes.

Les sanctions et les voies de contournement

Le Congrès américain a décidé de durcir à nouveau les sanctions contre la Russie. La principale mesure porte sur l’interdiction pour les banques américaines de participer à l’émission d’obligations en devises de l’État russe et d’accorder des prêts en devises à tout organisme public. Ces nouvelles sanctions ne portent donc pas sur les obligations souveraines libellées en roubles et n’interdisent pas aux banques américaines d’acheter sur le marché secondaire des obligations en devises.

Le Gouvernement russe ne rencontre aucun problème pour placer ses obligations moyennant des rendements offerts élevés (5,1% pour les obligations en dollars à maturité 2035). En outre, même si de nouvelles sanctions à l’égard de l’État russe pourraient être adoptées, le Gouvernement a les capacités d’y faire face au regard du faible niveau de sa dette (14,6% du PIB) et des besoins de financement modestes (l’équivalent de 0,8% du PIB par an en moyenne sur les cinq prochaines années). Il opère, par ailleurs, une dédollarisation du financement pour se prémunir d’un nouveau durcissement des sanctions.

La Russie tente de desserrer l’étreinte des sanctions commerciales décidées par l’Union européenne et les États-Unis en nouant des relations privilégiées avec l’Afrique et l’Asie. Vladimir Poutine a ainsi convié une quarantaine de chefs d’États africains à Sotchi afin d’établir des partenariats économiques. Les échanges commerciaux entre la Russie et l’Afrique demeurent limités, 20 milliards de dollars en 2018. Ils sont faibles au regard de ceux de la Chine (204 milliards) voire même de ceux de la France (51,3 milliards d’euros). Si l’ancienne URSS avait réussi à s’imposer durant la période de décolonisation, sa fin avait entraîné le départ de nombreux techniciens et correspondants. Les liens avec les anciens partenaires africains ont néanmoins perduré notamment grâce au réseau des anciens étudiants africains qui ont fait leurs études en Russie (plus d’1,5 million d’Africains disposent d’un diplôme russe).

Les entreprises russes sont encore présentes dans le domaine minier et de l’énergie. Elles renforcent ces dernières années leurs positions dans les ventes d’armes. Les médias russes (Sputnik et RT) sont assez bien acceptés. Contrairement aux Américains et aux Français, les Russes ne sont pas accusés d’ingérence dans les affaires intérieures. Depuis 2014 et la crise liée à la Crimée, la Russie a essayé de développer ses relations avec la Chine et les pays asiatiques non sans succès.

Néanmoins, culturellement, géographiquement, le pays est avant tout arrimé à l’Europe. 77% de la population de la Russie vit dans la partie européenne, à l’ouest de l’Oural. La religion orthodoxe qui correspond au christianisme de Byzance, est dominante. Elle relie Moscou, à une fraction de l’Empire romain. Par leur mode d’organisation et par leur culture, Moscou et Saint Pétersbourg sont des villes européennes. Les différences entre l’Italie et la Finlande, entre la France et la Bulgarie, ne sont pas moins importantes que celles qui peuvent exister entre les États membres de l’Union et la Russie.

Si la Russie essaie de retrouver quelques relais d’influence en Afrique, elle est devenue incontournable dans le Proche Orient avec la guerre en Syrie. Avec le départ des Américains, elle a en effet retrouvé un rôle de gendarme qu’elle n’avait plus depuis la chute de l’URSS.

Près de six ans après l’affaire ukrainienne, une sortie de crise, tant pour des raisons diplomatiques qu’économiques, apparaît nécessaire pour les acteurs de la scène internationale. Le changement de position de la France qui, avec l’Allemagne, était jusqu’à maintenant sur une ligne dure, traduit l’entrée dans une nouvelle séquence diplomatique. Le comportement imprévisible du Président américain, le renforcement de la puissance chinoise, l’instabilité du Proche et du Moyen Orient sont autant d’éléments pris en compte pour un rééquilibrage des relations avec la Russie. Ce pays demeure incontournable non seulement en raison de sa puissance militaire mais aussi par ses richesses naturelles (pétrole, gaz, terres rares).

 

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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