La paix par la force, l’art du deal

La paix par la force, l’art du deal

Au sortir de la rencontre avec Emmanuel Macron et Volodymyr Zelensky, Donald Trump écrit « la paix par la force est possible ». « Détruire l’ennemi » rêve chaque belligérant ; ce que viennent de faire les rebelles syriens. Assad est en fuite ! Après combien d’années de guerre ? La guerre syrienne est-elle seulement finie ?

Donald Trump avait écrit un livre intitulé « l’art du deal ». Entre son élection et sa prise de fonction, dans un grand bazar meurtrier, chacun se prépare au Grand Deal avec le grand Manitou. L’art du deal : menacer. Alors Trudeau se précipite pour faire allégeance à Trump, promet de renforcer les défenses canadiennes en Arctique, rit à l’idée amusante que le Canada devienne  le 51ème Etat américain.

L’art du deal à la française : jongler avec les Djinns et les forces de l’esprit.   

Au Liban, Israël et le Hezbollah ont accepté une trêve négociée par les États-Unis et la France. Détruire le Hezbollah ? Il n’est pas qu’une force militaire. On ne détruit que ce que l’on remplace. Par qui remplacer le Hamas à Gaza ? La France tente de convaincre les Saoudiens de revenir au Liban. Elle discute avec Ryad la vente de matériel militaire, y compris des Rafales, tout en signant des accords culturels. L’art du deal à la française : jongler avec les Djinns et les forces de l’esprit.  

D’autant que, sous médiation chinoise, l’Arabie se réconcilie avec l’Iran et cultive ses liens pétroliers avec la Russie. La Chine fixe le volume de la demande, l’Arabie celui de l’offre. Russie et Iran fournissent la contrebande. Les États-Unis, premiers producteurs mondiaux, perturbent la donne. Comme dans ce jeu, l’Europe est absente, mieux vaut ne pas laisser ces imprudents jouer tout seul.

L’Arabie s’était mise d’accord avec les Russes. Elle a été la seule à respecter le deal, en limitant sa production. Elle le paie, et change d’avis. Le prix du pétrole baisse. La conjonction d’intérêts avec la Russie, l’Iran et la Chine s’éloigne. Le gendre de Donald Trump fait d’excellentes affaires avec les Saoudiens, l’Iran a perdu ses soutiens au Liban et en Syrie, la France est une carte intéressante, elle parle à tout le monde, vend à tout le monde, affiche une posture morale qui sait pardonner bien des offenses. France, Allemagne, Royaume-Uni ont entamé des discussions à Genève avec l’Iran.

Un homme brandissant le drapeau libanais devant un immeuble anéanti par un bombardement israélien dans la ville de Tyr, dans le sud du Liban, le 27 novembre 2024.

Photo : Reuters / Adnan Abidi
Un homme brandissant le drapeau libanais devant un immeuble anéanti par un bombardement israélien dans la ville de Tyr, dans le sud du Liban, le 27 novembre 2024. Photo : Reuters / Adnan Abidi

Nouvelle donne. Iraniens et Russes évacuent.

Pendant que l’on discute, la guerre menée par Israël contre le Hezbollah a permis aux rebelles Sunnites, soutenues par la Turquie, de prendre Damas. Erdogan veut une Syrie morcelée, dont une partie serait sous sa coupe. Et les Kurdes ? Nouvelle donne. Iraniens et Russes évacuent.

Poutine se concentre sur le Donbass. Chaque mètre carré gagné avec son poids de sang le serait pour l’éternité, après le grand deal. Pour Poutine, il est temps que la bataille s’arrête. L’économie russe va mal. Les taux d’intérêt ont dépassé 20 %, le rouble chute. Chinois comme Indiens achètent le pétrole au rabais, mais refusent de le payer en roubles. Impératif russe : écarter les Européens, les diviser.

D’abord par la peur. Les Russes justifient « l’escalade de la peur », pour ramener les Européens « à la raison ». Qu’ils prennent au sérieux les menaces, crie Lavrov ! Ensuite, plus finement, par l’action clandestine : les sabotages se multiplient. Enfin par la déstabilisation, moins coûteuse que les chars:  Géorgie, Moldavie, Roumanie. Un inconnu pro russe, candidat Tik Tok, surgit en tête des présidentielles. La Cour suprême annule l’élection. Tic-tac, à la fin du compte à rebours, l’Europe explose ?

Face à Trump, Zelenski évoque un cessez-le-feu. À condition que l’Ukraine « utile » soit protégée par l’Otan. L’OTAN servirait de bouclier alors qu’un président américain abandonnerait l’Ukraine ? Les Russes le disent ouvertement : les États-Unis ne risqueront jamais une ville américaine pour une ville en Europe. Le nouveau Commissaire européen à la Défense, Andries Kubilius, a compris. Il préconise un « big bang » de 500 milliards face à la menace russe. Sur dix ans, ce n’est pas monstrueux.

À la fin du compte à rebours, l’Europe explose ?

Kajal Kallas, la nouvelle « Haute représentante », n’écarte pas l’envoi de troupes « européennes ». Mais l’Union n’a pas de soldats. Elle essaie, à juste titre, de créer un fonds commun de défense malgré la réticence allemande.

Qui Ursula van der Leyen appellerait-elle pour parler de défense ? La France et l’Allemagne. Parce que l’alliance franco-allemande est le socle de l’Europe. Que l’une et l’autre n’aient pas de gouvernement, que leurs économies soient affaiblies, ne doivent pas conduire la Commission à déjouer l’alliance franco-allemande. La Commission n’a pas compris ce qu’était l’Europe. Ce n’est pas elle. Opposer la France et l’Allemagne, quel que soit le sujet est une faute majeure.

Le président argentin Javier Milei, le président uruguayen Luis Lacalle Pou, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, le président brésilien Luiz Inacio Lula de Silva et le président paraguayen Santiago Peña posent pour une photo au siège du Mercosur à Montevideo, en Uruguay, le 6 décembre 2024. ©EPA-EFE/SOFIA TORRES
Le président argentin Javier Milei, le président uruguayen Luis Lacalle Pou, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, le président brésilien Luiz Inacio Lula de Silva et le président paraguayen Santiago Peña posent pour une photo au siège du Mercosur à Montevideo, en Uruguay, le 6 décembre 2024. ©EPA-EFE/SOFIA TORRES

Sans doute le Mercosur est-il un excellent accord. Mais forcer son adoption  sans la France, sans parler de la Pologne ou de l’Italie, est d’une extrême bêtise. Il est probable que la France ait tort : il est absurde de laisser l’Amérique latine sans partenariat, alors qu’on va le chercher en Arabie saoudite. Pourquoi laisser les Chinois s’installer en Amérique latine sans offrir d’alternative ? Mais il est impossible de réaliser l’Europe en oubliant le pacte fondateur de l’Union européenne. Lula et Mileï, qui ne se parlent pas, s’entendent. Et Scholz et Macron en sont incapables ? Sans compromis entre la France et l’Allemagne, il n’y a pas d’Europe.

Sans doute le Mercosur est-il un excellent accord. Mais forcer son adoption sans la France est d’une extrême bêtise.

Netanyahou voulait évincer la France de l’accord sur le Liban, Biden a voulu solidifier l’alliance avec la France. Même les États-Unis ont besoin d’allié. Ursula van der Leyen n’est pas à Notre Dame, Trump y est. Comme une quarantaine de chefs d’État et de gouvernements. Pour faire plaisir à Macron, toujours sans gouvernement, et sans budget ? Hier la cathédrale brûlait, aujourd’hui elle renaît. Serrer les rangs, ne pas jouer des coudes, revenir aux fondamentaux. L’art du deal , ce n’est pas la menace, mais la prudence.

Tout peut arriver. Assad est tombé. Poutine peut chuter. Mais aussi tenir, comme Assad durant vingt-quatre ans et des centaines de milliers de morts.

Trump, à Paris, est-il venu dire adieu à l’ancien monde ?

Trump, à Paris, est-il venu dire adieu à l’ancien monde ? Il précipite les États-Unis dans une fracassante opération de destruction, remodelant complètement l’Etat fédéral, l’économie, la finance, la monnaie, l’énergie. Cette course-là mettra la Russie hors jeu, laissera le Moyen-Orient exsangue, ignorera l’Afrique, redessinera les alliances en Asie. Il risque de plonger le vieux monde européen dans la sidération.

Les présidents élus des États-Unis, Donald Trump et Brigitte Macron s’entretiennent avec leur mari, le président français Emmanuel Macron, dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, le 7 décembre 2024. – Reuters
Les présidents élus des États-Unis, Donald Trump et Brigitte Macron s’entretiennent avec leur mari, le président français Emmanuel Macron, dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, le 7 décembre 2024. – Reuters

France, Allemagne, Europe sont-ils au niveau ? À l’évidence, pas encore. Inutile d’attendre un miracle de Notre-Dame. La lucidité suffirait. Tout est étonnamment clair sous les bombes. Sauf la paix.

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press et France Pay

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