L’Institut français de Slovaquie a organisé avec succès ce jeudi 17 octobre 2024 sa première « Nuit des idées ».
Les Nuits des idées sont des cycles d’événements proposés par le réseau des instituts français à travers la planète. Jusqu’à cette année ils se déroulaient à date fixe à la fin du mois de janvier, le pilotage général de l’évènement étant assuré par l’institut français de Paris. Plus de liberté a été désormais donnée aux participants qui ont pu choisir leur agenda et s’inspirer d’un thème unique à l’échelle mondiale « Lignes de faille » pour l’illustrer et le décliner localement.
Une nuit des idées 2024 autour du thème des « Lignes de faille »
Pour le vingtième anniversaire de l’entrée de la Slovaquie dans l’Union européenne, l’Institut français de Slovaquie avait retenu la thématique « Lignes de faille – une Europe fragmentée ? » à travers deux interrogations thématiques : Y a-t-il une « vieille » et une « nouvelle » Europe ? Où en est la démocratie en Europe ?
Ces questions font écho aux tensions actuelles entre la ministre de la Culture Martina Šimkovičová et les milieux artistiques et intellectuels slovaques qui sont vent debout contre une politique jugée brutale. La ministre a notamment limogé des dirigeants d’institutions culturelles respectées dont les directeurs du Théâtre national et de la Galerie nationale. Elle procède aussi à des « purges » assumées en rabotant subventions et aides publiques pour des artistes ou institutions jugées trop critiques du gouvernement ou pas assez dans la ligne culturelle nouvelle qui assimile défense de la culture nationale et promotion de l’identité slovaque.
La politique du gouvernement national populiste de Robert Fico, premier ministre depuis le 25 octobre 2023, a offert plus généralement une occasion de s’interroger sur les atteintes à la démocratie, que ce soit dans les tentatives de remise en cause de l’indépendance de la justice ou dans les atteintes aux médias. Dans ce contexte l’institut français joue donc pleinement son rôle de forum ouvert où la pensée est libre et les propos critiques assumés. Cette Nuit des idées était donc autant une nuit de la libre pensée qu’un espace de formation puisque de jeunes journalistes locaux avaient été invités pour parfaire leur apprentissage in situ en couvrant l’évènement. Une Nuit des idées jugée par tous comme réussie avec le désir collectif de voir de nouveaux évènements de ce type être organisés dans une période où la chape de plomb s’épaissit en matière de contrôle des débats publics.
Des échanges animés par les journalistes Michal Havran et Frédéric Martel
Les échanges qui se sont tenus en anglais ont réuni un vaste panel de personnalités, d’universitaires ou de représentants de la société civile et d’institutions publiques.
L’événement qui s’est tenu au Pink WHale devant un public venu nombreux a été co-animé par les deux journalistes Michal Havran (RTVS) et Frédéric Martel (Radio France). Son organisation était pilotée par l’attaché universitaire auprès de l’Ambassade de France, Thomas Perrin, sous la houlette d’Olivier Favry, conseiller culturel et directeur de l’institut français de Slovaquie.
Nous avons pu interroger Frédéric Martel, sociologue et écrivain, journaliste à Radio France, pour faire le bilan de cette première édition.
Lesfrancais.press : Frédéric cette nuit des idées a permis l’invitation de jeunes journalistes en formation pour participer à l’évènement.Comment jugez-vous l'état des médias et de la liberté de la presse en Slovaquie (on peut aussi élargir le sujet à la France) ?
Frédéric Martel : « Bien que la fin du communisme date de 1989, on ne peut pas comparer, même plus de trente ans après, la situation des médias avec des pays européens avec une grande tradition pluraliste et disons « libérale » et des pays qui sont encore jeunes, du point de vue de la démocratie. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on est plus exigeant avec les pays de l’Europe de l’Ouest ! En France, la situation me paraît stable et favorable à la liberté de la presse. On peut toujours pointer tel ou tel incident ou problème mais l’état de droit est fort et la presse est protégée de manière constitutionnelle via ce qu’on appelle le « bloc de constitutionnalité ». Il est très difficile d’attenter à la presse directement.
Plus subtilement, il peut y avoir des problèmes dès lors que des questions de sécurité nationale sont en jeux ou lorsque des milliardaires rachètent des médias. Mais le paysage médiatique français est suffisamment divers pour que la liberté de la presse soit solide, malgré telles ou telles initiatives. Pour la Slovaquie, et comme d’autres pays que je connais bien comme la Roumanie, la Pologne, la Bosnie ou la Serbie, la situation est évidemment différente. Je viens justement à Bratislava pour voir comment les choses se passent ! »
LFP : La France et son "soft power" sont en perte d'influence en Afrique de l'Ouest, champ classique de l'influence culturelle française. Peut on penser que la France aurait tout à gagner à s'intéresser davantage à l'Europe centrale et à y renforcer sa diplomatie culturelle ?
Frédéric Martel : « Le rapport de la France en Afrique de l’Ouest doit être analysé pays par pays et non en bloc. L’Afrique n’est pas un pays ! Il y a effectivement – comment le nier – des difficultés au Mali, au Niger, au Burkina Faso et dans d’autres pays, y compris dans la Corne de l’Afrique ou en Afrique de l’Est. Mais les relations sont bien meilleures ailleurs. J’ai vécu en Europe centrale et orientale et j’ai toujours plaidé pour un plus grand investissement dans ces pays mais cela ne doit pas se faire au détriment de l’Afrique. Ce n’est pas l’un ou l’autre mais un nécessaire travail en toutes directions. Si les questions migratoires dérapent en Afrique de l’Ouest, ce sont les questions d’Europe centrale et orientale qui seront affectées, tant la question migratoire est au cœur des régimes illibéraux d’Europe centrale et orientale. Donc il faut travailler dans les deux directions à la fois. Mais l’Europe centrale et orientale est, à mes yeux, une priorité et je crois que nous avons fait une erreur, depuis les années 1990, d’avoir cru que la « révolution » post-communiste était faite et que tout allait bien se passer. La fin de l’homme rouge, pour reprendre le très beau livre de Svetlana Aleksievitch est un processus beaucoup plus long que nous ne l’avions cru, un peu naïvement. Et d’ailleurs, le passage de l’extrême gauche à l’extrême droite est l’un des traits de notre époque. C’est ce qu’on appelle la théorie du « fer à cheval ». »
LFP : La Francophonie a-t-elle un avenir dans un pays comme la Slovaquie ?
Frédéric Martel : « Si on parle de francophonie comme première langue vivante, il est possible que son avenir ne soit pas très mainstream en Slovaquie. Mais j’ai toujours pensé la francophonie comme devant être géolocalisée : on ne la pense pas pareil en Belgique, en Algérie ou en Slovaquie. Parfois, une langue vivante II est un bon objectif, parfois c’est une langue vivante III, cela dépend des contextes et des régions. Pourtant, je pense que le français reste une langue incontournable partout, en particulier dans la diplomatie, dans la culture, dans la gastronomie et le tourisme, et dans la vie intellectuelle. Ce n’est déjà pas si mal. « Plus d’une langue », disait Jacques Derrida. Je suis de cette école ! »
Auteur/Autrice
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Boris Faure est l'ex 1er Secrétaire de la fédération des expatriés du Parti socialiste, mais c'est surtout un expert de la culture française à l'étranger. Il travaille depuis 20 ans dans le réseau des Instituts Français, et a été secrétaire général de celui de l'île Maurice, avant de travailler auprès des Instituts de Pologne et d'Ukraine. Il a été la plume d'une ministre de la Francophonie. Aujourd'hui, il collabore avec Sud Radio et Lesfrancais.press, tout en étant auteur et représentant syndical dans le réseau des Lycées français à l'étranger.
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