Selon Peter Thiel, un investisseur visionnaire de la Silicon Valley, les États-Unis font fausse route en privilégiant les logiciels, le software par rapport au hardware, et en privilégiant les applications au détriment de l’atome et de l’énergie. Il aime à rappeler que le Projet Manhattan — qui donna naissance à la première bombe atomique — incarnait la capacité de l’État américain à initier des avancées technologiques. La grande majorité des inventions qui aujourd’hui peuplent notre quotidien proviennent de technologies militaires initiées après la Seconde Guerre mondiale et durant la guerre froide. Il en est ainsi par exemple d’Internet.
Une nouvelle génération de réacteurs nucléaires.
Dès 2015, Peter Thiel plaidait pour l’avènement d’une « nouvelle ère atomique » afin de produire une énergie propre et abondante. Dix ans plus tard, il compte parmi ses alliés des proches du président Donald Trump qui partagent cette vision. Faute de pouvoir compter sur l’appui de l’État, il a regroupé des investisseurs privés pour financer des projets centrés sur l’énergie nucléaire. Il a ainsi financé General Matter, une start-up ambitionnant de devenir la première entreprise privée américaine à enrichir de l’uranium.
L’entreprise entend développer une technologie capable de produire de l’uranium enrichi à un niveau jusqu’à quatre fois supérieur aux standards commerciaux actuels, destiné à alimenter une nouvelle génération de réacteurs nucléaires. Le projet pourrait nécessiter des investissements représentant plusieurs milliards de dollars. General Matter promet de réduire la dépendance américaine à l’égard de l’uranium russe qui aujourd’hui, malgré les embargos, couvre une partie des besoins américains (35 % du combustible nucléaire américain proviennent de Russie).
Une société à fort potentiel
Elon Musk suit de près l’évolution de cette société qui entend profiter d’un programme du Département de l’Énergie (DOE) visant à produire du HALEU (High-Assay Low-Enriched Uranium), un combustible nucléaire enrichi entre 5 % et 20 %, destiné aux petits réacteurs modulaires (SMRs). Ces réacteurs sont considérés comme l’avenir de la filière nucléaire. Tout le HALEU utilisé aux États-Unis est actuellement d’origine russe.
General Matter refuse de révéler la technologie d’enrichissement qu’elle développe, ni l’État où sera implantée son usine. Fin 2024, General Matter figurait parmi les quatre entreprises sélectionnées pour concourir à un contrat de 2,7 milliards de dollars pour la fourniture de HALEU au gouvernement. Elle figure aussi parmi les six prétendantes à un autre contrat portant sur du LEU, d’une valeur allant jusqu’à 3,4 milliards de dollars. L’entreprise s’attend à bénéficier d’un soutien plus important de la part de l’administration républicaine. General Matter a été longtemps dénigrée par les entreprises traditionnelles du secteur de l’énergie nucléaire. Appliquer les méthodes d’ingénierie de SpaceX au nucléaire, c’est prendre un risque dans un secteur où ce dernier est interdit.
Founders fund, de Peter Thiel, finance des technologies audacieuses
Peter Thiel est néanmoins considéré comme un investisseur avisé. Premier investisseur majeur de Facebook et de SpaceX, il a bâti une fortune de 16,5 milliards de dollars en sachant aller à contre-courant. Il a avec son fonds, Founders Fund, connu de nombreux succès en finançant des entreprises utilisant des technologies encore non éprouvées. Parmi elles, Palantir — fondée en 2003 pour aider à lutter contre le terrorisme, est désormais valorisée à 180 milliards de dollars. Anduril, fabricant d’armes autonomes qui a bousculé le complexe militaro-industriel américain, est valorisée à 14 milliards de dollars.
Trae Stephens, associé de Founders Fund et cofondateur d’Anduril, estime que General Matter une pièce clé afin de doter l’Amérique des technologies énergétiques nécessaires pour battre la Chine dans la course à l’IA. Il souligne par ailleurs comme indispensable que Founders Fund travaille à la relocalisation d’autres maillons critiques, notamment les machines de lithographie en lumière extrême ultraviolette, indispensables à la fabrication des semi-conducteurs les plus avancés.
Pour le moment, le business model de General Matter reste fragile. Sans une filière d’approvisionnement en HALEU, la construction de réacteurs avancés demeure difficile. Tant que la viabilité de ces réacteurs reste incertaine, produire du HALEU constitue un pari coûteux et spéculatif. Le soutien du Département américain de l’énergie vise à briser cet enchaînement.
La chaine des petits réacteurs.
Le 9 avril dernier, le ministère a annoncé fournir un premier lot de HALEU pour des petits réacteurs nucléaires. Mais il ne peut garantir ni l’avenir de ces réacteurs, ni celui d’une chaîne d’approvisionnement nationale pour l’uranium. Autre écueil pour la start-up trumpiste, les entreprises traditionnelles du secteur de l’énergie ne souhaitent pas abandonner la partie. Les trois autres entreprises retenues par le DOE pour produire du HALEU sont des acteurs confirmés ayant une expérience reconnue. Figurent les filiales américaines de deux groupes européens (Urenco, consortium des gouvernements britannique, néerlandais et allemand, Orano, entreprise publique française et Centrus Energy, société américaine). Centrus a produit en 2023 20 kg de HALEU, la première production nationale depuis 70 ans. General Matter espère faire mieux : produire plus, à moindre coût. Ses rivaux rappellent que l’entreprise n’a pas encore sollicité de licence auprès de la Nuclear Regulatory Commission, ce processus pouvant durer des années.
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