Depuis une quinzaine d’années, le pessimisme gagne du terrain au sein des populations des pays avancés. Si au tournant du XXe siècle, après la chute du rideau de fer et avec l’ouverture de la Chine au monde, l’optimisme était de mise, le réchauffement climatique, les mutations technologiques, la mondialisation pèsent de plus en plus sur l’état des opinions.
Si un milliard et demi de personnes en trente ans ont rejoint les classes moyennes dans les pays émergeants, sur la même période, au sein des pays avancés, celles-ci se sont éprises d’un sentiment d’insécurité économique et sociale. Au sein de ces pays, une part croissante de la population s’estime victime de la mondialisation. La remontée des inégalités sociales est de plus en plus mal vécue.
Un sentiment d’insécurité économique et sociale
Selon un sondage réalisé en 2020 par Edelman, au sein de l’OCDE, une majorité des personnes considérait que dans cinq ans la situation de leur famille serait amenée à se dégrader. Cette proportion est en constante augmentation depuis 2010. Moins d’un quart de la population française ou allemande pense que sa situation sera meilleure en 2025 qu’en 2020.
Dans les années 1970, malgré les deux chocs pétroliers, les gouvernements arrivaient, en moyenne, à conserver le soutien de la moitié de la population. Depuis 2012 les gouvernements en place arrive peuvent compter entre 30 et 45 % de la population.
La fragmentation de la société est de plus en plus marquée
Le ressenti sur la situation économique ou la confiance dans les pouvoirs publics diffère en fonction de son niveau de revenu et de formation initiale. L’écart entre les moins bien et les mieux lotis a été multiplié par trois entre 2012 et 2021. La fragmentation de la société est de plus en plus marquée. Les classes sociales les plus modestes expriment dans les enquêtes un rejet vis-à-vis des élites qui correspondent aux classes les plus aisés. Cette division des pays est source de conflits.
Ceux-ci sont alimentés par un réflexe identitaire. Dans un contexte de difficultés économiques et de changements rapides au niveau tant démographique que technologique, de plus en plus d’individus se tournent vers des groupes qui leurs sont familiers, qui partagent les mêmes valeurs et idées. Les réseaux sociaux en ligne facilitent l’agrégation de ces groupes qui ont remplacé le café du commerce, le marché ou le terrain de sport.
Dans les pays avancés, l’esprit de tolérance demeure dominant comme en témoigne l’acceptation par exemple de l’homosexualité (plus de 30 pays ont reconnu le mariage homosexuel). Dans la grande majorité des pays avancés, l’égalité homme/femme a progressé ces dernières années. Cet esprit est néanmoins de plus en plus en bute des groupes radicaux que ce soit sur le plan de la religion, des mœurs, de l’immigration ou même de l’écologie.
Tensions violentes, recul du pluralisme
Dans les pays émergents ou en développement, les tensions sont de plus en plus violentes se traduisant par un recul du pluralisme comme au Brésil, en Pologne ou au Nigéria. Internet, les réseaux sociaux, les algorithmes de traitement des données ont complètement modifié les systèmes d’information et la formation des idées politiques. 4 milliards sur 7,5 milliards de personnes accèdent tous les jours à Internet. Plus de 5 milliards possèdent un téléphone portable. Autrefois, la radio, la télévision rassemblaient les populations. La messe du 20 heures a rythmé pendant des décennies la vie des Français tout comme les matinales de RTL ou d’Europe 1.
La fabrique des opinions a changé
Aujourd’hui, les populations s’agrègent en de multiples communautés recevant des informations préfiltrées et répondant à leurs attentes. Dans les familles, l’information ne se consomme plus autour de la table de la salle à manger ou au salon mais de manière individuelle derrière un écran. La fabrique des opinions a profondément évolué. Le réactif, l’émotion l’emportent sur le rationnel. Certains craignent un enfermement au sein de groupes à tendance identitaire, d’autres une très forte volatilité en fonction des humeurs du moment. Les deux phénomènes ne sont pas contradictoires.
Les peurs se succèdent et peuvent modifier les comportements des électeurs. Le ressenti l’emporte sur les attachements. Depuis une dizaine d’années, les « fake news » se répandent comme des trainées de poudre au point qu’il devient difficile de donner crédit à toute nouvelle. Les fausses informations ont de tout temps existé, de l’affaire de la fausse mort de Napoléon en 1812 orchestrée par Malet aux rumeurs sur le Covid en passant par la dépêche d’Ems en 1870 et les libelles politiques sous la IIIe République. La capacité et la vitesse de diffusion ont été simplement démultipliées avec Internet.
Ingérences et fake news
En Inde, des fausses informations concernant des assassinats en masse de vaches, animaux sacrés, censés avoir été perpétrés par des musulmans débouchèrent sur des pogroms obligeant les pouvoirs publics à réagir dans l’urgence.
Les ingérences extérieures sont devenues de plus en plus importantes. La Russie ou la Turquie sont accusées de vouloir influencer les élections des pays démocratiques. Les États-Unis ont reconnu avoir écouté les conversations de chefs d’État et de Gouvernement de pays alliés en utilisant leurs capacités de contrôle d’Internet. Les mouvements terroristes utilisent les réseaux pour recruter et pour organiser des attentats. Internet permet logiquement un brassage des idées. Il offre à tout un chacun une fenêtre sur le monde.
Les démocraties sont sur la défensive
Pour autant, en 2020, selon l’organisation non gouvernementale de promotion de la démocratie Freedom House, les Internautes auraient connu une détérioration globale de leurs droits pour la dixième année consécutive. Depuis plusieurs années, les démocraties sont sur la défensive face aux régimes autoritaires comme ceux de Chine, de Russie ou de la Turquie. L’état de droit est menacé dans plusieurs pays classés parmi les démocraties comme la Hongrie, la Pologne ou la Bulgarie.
Au sein même des pays occidentaux, une part croissante des opinions adhèrent aux valeurs des régimes autoritaires. En France, selon un article du quotidien « Le Monde » du 9 juillet 2018, 46 % des jeunes de 18 à 35 ans estiment que d’autres systèmes politiques sont tout aussi bons que la démocratie, contre 28 % seulement chez les plus de 60 ans.
Jusqu’à l’avènement des réseaux sociaux, la constitution d’un parti politique, d’un syndicat était un processus lent reposant sur des personnalités reconnues autour de valeurs politiques clairement identifiées. La télévision avait déjà ébréché ce modèle à travers une personnalisation accrue. Avec Internet, comme la crise des « gilets jaunes » l’a prouvé, des groupes peuvent se former sans réel responsable, sans intermédiaire. Le parti n’est plus un lieu de constitution de l’expression publique. Il a cédé la place à des structures informelles, à des groupes sur des plateformes en ligne. La fragmentation des opinions s’accompagne d’une montée de la violence à l’occasion des manifestations, violence condamnée par ailleurs par une large majorité des populations.
La verticalité du pouvoir critiquée, la demande d’Etat amplifiée
La gouvernance est devenue un art d’une rare complexité. L’absence de consensus rend toute décision une épreuve. De plus en plus d’acteurs interviennent dans les processus décisionnels, les organisations non-gouvernementales, les associations, les lobbys, etc. Les institutions représentatives traditionnelles que sont les assemblées parlementaires sont de plus en plus contestées au point d’être mises en concurrence avec des conventions citoyennes composées de membres tirés au sort.
La verticalité du pouvoir est critiquée avec une demande croissante pour la prise en compte des intérêts locaux mais, dans le même temps, l’appel à l’État est incessant. Plus d’horizontalité mais avec une verticalité omnisciente, telle est la problématique à laquelle sont confrontés les gouvernements démocratiques. Ces derniers doivent également faire face à une demande importante de sécurité qui se traduit par un recours croissant aux techniques digitales de surveillance et de contrôle, techniques qui peuvent entrer en contradiction avec le respect des libertés individuelles.
Les régimes autoritaires sont, sur la durée, plus instables
Si depuis une décennie, les démocraties apparaissent à la peine, elles disposent d’atouts indéniables sur les régimes autoritaires. Leur résilience, leur capacité d’adaptation sont plus fortes. Même si elles sont divisées, les populations estiment appartenir librement à une communauté. Les régimes autoritaires sont, sur la durée, plus instables car ils dépendent d’un nombre réduit de responsables. La disparition du leader ouvre fréquemment des périodes d’instabilité. La corruption est, en règle générale, plus prégnante dans les régimes non-démocratiques, ce qui génère sur le long terme des tensions sociales et politiques. Le contre-exemple est la Chine dont le régime communiste se maintien au pouvoir depuis soixante-dix-ans. Dans trois ans, il dépassera la durée de vie du régime soviétique en URSS.
En matière d’innovations et de dynamisme économique, sur longue période, les démocraties sont jusqu’à maintenant plus performantes que les dictatures. Les premières ont peut-être besoin de la concurrence des secondes pour maintenir leur compétitivité et leur attractivité. La menace soviétique a été longtemps une source d’innovations technologiques voire sociales.
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