La Haine vous va si bien

La Haine vous va si bien

Difficile, a priori, d’être un partisan de la haine. Chacun y va de sa bonté, de son droit, de son humanité. Chacun se scandalise des offenses faites à sa foi, sa chair, son identité, voire à celle d’autrui, par empathie. Cela est juste et bon. Il n’est pas une idée du bien qui n’ait justifié des massacres. Toujours tuer, au nom du bien. Comme il n’est pas si facile que cela de tuer, mieux vaut haïr son ennemi. Encore un petit peu : s’il vous plaît, faites un effort. La haine vous va si bien.

Comment raser Gaza si l’on ne désespère pas de l’humanité des Palestiniens ? Comment honorer le Hamas si l’on ne considère pas les Israéliens comme des Untermenschen ? Raser Gaza est légitime, au nom du droit à la sécurité, de la vraie paix, de la justice. Détruire Israël est légitime, puisqu’Israël rase Gaza, et rêve depuis toujours de le raser. Il faut donner une autre définition à l’antisémitisme, pour permettre à ceux qui veulent raser Israël de la carte de ne pas être antisémite. Puisqu’au-delà d’Israël, tous les juifs sont coupables, puisqu’a priori, solidaires. Ils méritent la haine, les bombes, depuis toujours. Le grand rabbin de Russie se voit obligé de recommander encore une fois aux Juifs de s’en aller. Ils avaient quitté la Russie soviétique les premiers. Le Parti les laissait partir contre rançon. Comme le faisaient les pays arabes, y compris le roi du Maroc. Payer pour partir. La liberté a un prix.

Mais ce sont les Ukrainiens les Nazis. C’est pourquoi il est légitime de dénazifier l’Ukraine. Une fois dénazifiés, les Ukrainiens redeviendront ce qu’ils ont toujours été : des Russes. La bonté commande d’accueillir les enfants ukrainiens, de leur donner un nouveau nom, de nouveaux parents, de bons parents. Et la Justice de bombarder les villes ukrainiennes, les écoles, les hôpitaux, qui cachent, comme à Gaza, des terroristes. Terroristes ? Étrange guerre, quand on a toléré si longtemps le financement de ces organisations, à commencer celle du Hamas. Un Prince du Qatar défile sur les Champs-Elysées à Paris, Netanyahou finance une milice islamiste, réalisme, sans doute.

Pourquoi tant de bourreaux ?

Les Musulmans sont de mauvais Indiens. Les vrais Indiens sont hindous. Les vrais Musulmans sont chiites, du moins en Iran, inversement selon les pays dans lesquels mieux vaut être sunnite. Encore faut-il regarder de plus près Salafistes, Frères musulmans, vrais berbères, faux arabes, Peuls, Chrétiens du Soudan, Coptes, Musulmans déviants du nord … Ce n’est pas la religion qui anime les conflits, elle fournit les drapeaux. Le dieu de la guerre n’a pas besoin d’autre dieu. Mais si certains veulent participer à la curée, bienvenue à tous les prêtres bâtisseurs d’enfer, à tous les excommuniants et autres fatweurs.

Comment devient-on bourreau ? Il y a ceux qui tuent, ceux qui commandent, ceux qui incitent. Ceux qui tuent sont coupables. Ce ne sont pas toujours les plus coupables. Comme dans les prisons syriennes, ils sont pris dans un processus de terreur, font comme les autres, se pensent soldats, atteignent des résultats. Les bourreaux sont souvent des gens ordinaires, agissent en bande. La foule couvre tout et tous.

Mais avant un massacre, il faut une idée. Le bourreau du bureau manipule des milliers de braves gars qui deviennent tortionnaires. Il faut croire au parti, à la cause, à la révolution, à la nation. Il faut détruire l’autre. La torture sert à cela, à déshumaniser, à casser le miroir. Que le bourreau ne se voit pas dans la victime. Qu’il ait bien assimilé que la victime, de toute façon, était en trop. Les Israéliens sont en trop. Ou les Palestiniens. Ou les Albanais, les Bosniaques, les Tutsis, les Indiens, les Rohingyas, les Latinos, les Roms. Il y a beaucoup de voisins en trop. Les désigner, les marquer, les éliminer. Le discours l’explique, la guerre l’autorise. Parfois la loi le justifie. Chaque exécuteur a un supérieur. Il fait son travail. Il agit en groupe.

Avant un massacre, il faut une idée. Le bourreau du bureau manipule des milliers de braves gars qui deviennent tortionnaires.

Tuer, torturer, violer n’est pas seulement profiter d’une impunité, c’est accomplir un travail nécessaire. Éliminer tous ceux, hommes, femmes, enfants, jeunes, vieux, parce qu’ils sont en trop. Effrayer, parce que la terreur nettoie, sert d’exemple. Elle est nécessaire, efficace. La terreur devient un acte utile. La politique peut tout justifier.

Tout cela semble loin, d’un autre âge, d’une autre humanité. Plus jamais ça, a-t-on dit cent fois. Et la barbarie revient sans cesse. L’idée d’éliminer l’autre. Il y a toujours au départ l’idée que la violence est légitime, nécessaire. Un mal pour le bien. Eux ou nous. Quand l’État s’en mêle, c’est pire, parce que seul l’État peut empêcher les massacres entre groupes.

Quand est-ce que cela survient ? En temps de crise, chaque crise en amenant une autre, extérieure ou interne. Qu’est-ce qui l’empêche ? Seulement les États qui respectent certains principes de droit, le droit universel. On peut se moquer des droits de l’homme tant qu’on veut, enlevez-les et les remplacent mille idoles au nom desquels aucun ne sera digne d’un autre.

Tribunal international de la Haye ©AFP
Tribunal international de la Haye ©AFP

La politique est justement cela : éviter le massacre, inventer des règles communes pour repousser le bonheur cannibale.

Ils ont beau visage, ceux qui se croient réalistes, qui acceptent la violence et les tueries inutiles comme des maux nécessaires, massacreurs de salon qui dissertent sur le bien, toujours le bien, ils n’oublient pas seulement la vraie réalité, le vrai sang, la chair, ils oublient que la politique est justement cela : éviter le massacre, inventer des règles communes pour repousser le bonheur cannibale. Que le monde soit violent est une évidence. Que la guerre est plus ancienne que l’histoire aussi. Il est même possible de douter du progrès. À ceci près que le constat est sans appel : sur le long terme, les peuples qui subsistent sont ceux qui respectent les règles.

Les civilisations qui prospèrent sont celles qui respectent l’humanité de l’homme. Elles commencent par les respecter dans l’ordre interne, ce qui évite la guerre civile. Toutes les autres ont disparu. Les héritiers de Gengis khan et de Tamerlan n’ont duré qu’en devenant peintres et poètes.

Enlevez cet effort, le respect du droit, ne restent que l’assassinat, le massacre, l’heureux tyrannicide.

Le réalisme oblige à considérer tout aussi ce qu’il a d’humain dans l’humanité : la violence, la haine, la raison aussi. L’aspiration à la paix, et même la fraternité. Des mots ? Des principes transcris dans le droit. Enlevez cet effort, le respect du droit, ne restent que l’assassinat, le massacre, l’heureux tyrannicide. Le principe de toute civilisation est de mettre la haine hors-la-loi. Qui ne respecte pas ce principe disparaît tôt ou tard. Il n’y a pas de victoire, si, à la fin, il n’y a pas un document de paix. C’est vrai pour l’Iran, pour les Palestiniens, pour tous. Tant que l’adversaire n’admet pas une nouvelle règle, il n’y a pas de paix, personne n’a gagné. La seule guerre légitime est celle qui permet d’obtenir la paix.

Haïr son ennemi permet peut-être de mieux combattre. Mais il n’est pas nécessaire de l’aimer pour faire la paix. Il suffit de réfléchir : Seul subsiste celui qui admet ses voisins, proches ou lointains. Cela vaut pour la Russie, l’Iran, Israël, le Rwanda, le Soudan, l’Inde… Aujourd’hui, tous sont voisins de tous. Bienheureux monde qui oblige sous peine de destruction massive de se supporter les uns les autres ! On dit que le mal est malin. Il se déguise sous la forme du bien. Mais le bien aussi est malin. 

Laurent Dominati 

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press et de l’app bancaire France Pay.

Laurent Dominati

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