La guerre technologique sino-américaine est déclarée

La guerre technologique sino-américaine est déclarée

Le trafic frauduleux de microprocesseurs entre les États-Unis et la Chine se développe depuis que les premiers imposent à la seconde des embargos. Des femmes et des hommes sont même utilisés comme mules afin de passer les frontières. Les passages en fraude de marchandises n’empêchent pas les entreprises chinoises de manquer de puces de haute technologie. Yangtze Memory Technologies Corp (YMTC), un fabricant public de cartes mémoire, qui est une des entreprises chinoises les plus performantes, est entravée dans son développement depuis l’instauration des sanctions. YMTC serait en voie de différer la construction d’une nouvelle usine de production. La guerre technologique serait-elle déclarée ?

Entraver le développement en Chine des technologies fondamentales

Les difficultés des entreprises de pointe chinoises se répercutent sur l’ensemble des chaînes de production, entraînant des licenciements. Elles pèsent sur la croissance du pays et montrent la dépendance encore réelle vis-à-vis des Occidentaux. Les prévisions concernant la mainmise technologique chinoise sont revues à la baisse. Selon le cabinet « International Business Strategies », d’ici 2030, les entreprises devraient contrôler 33 % de la production de microprocesseurs, contre 50 % lors des précédentes prévisions. L’objectif des Américains est d’empêcher la Chine d’accéder non seulement à des armes avancées et à des technologies civiles de pointe, mais aussi d’affaiblir les capacités exportatrices du pays. Dans un discours prononcé en septembre 2022, Jake Sullivan, le conseiller américain à la sécurité nationale, a expliqué que le gouvernement souhaitait entraver le développement en Chine des technologies fondamentales comme l’intelligence artificielle, la biotechnologie et l’énergie propre. 

Pour appliquer cette doctrine, l’administration américaine a adopté des mesures visant à restreindre la vente non seulement de biens fabriqués aux États-Unis, mais également de tout article fabriqué dans des pays tiers qui incorporerait des brevets ou des biens intermédiaires américains (règle de l’extraterritorialité). Les entreprises américaines et non-américaines qui enfreignent ces règles risquent des poursuites. Les autorités américaines interdisent également aux ingénieurs américains, et encore plus aux ressortissants chinois titulaires d’une carte verte américaine, de travailler dans les sociétés de microprocesseurs chinoises. 

Déclaration de guerre technologique

Ces sanctions sont, par leur ampleur, selon Joerg Wuttke de la Chambre de commerce de l’Union européenne à Pékin, une véritable « déclaration de guerre technologique ». La guerre a réellement commencé durant le mandat de Donald Trump avec les mesures prises notamment, en 2019, contre Huawei. Depuis quatre ans, les autorités américaines essaient de contraindre l’entreprise chinoise ByteDance de vendre son application TikTok, voire de l’interdire. 

Les États-Unis pourraient encore durcir les règles concernant les exportations de microprocesseurs, les Chinois contournant celles actuellement en vigueur en multipliant le nombre de puces. Les Américains pourraient se concentrer uniquement sur la puissance de calcul des puces afin de pénaliser les systèmes d’intelligence artificielle et l’industrie des jeux vidéo, un marché en croissance rapide d’une valeur de 40 milliards de dollars l’année dernière. Les autorités américaines doivent néanmoins tenir compte des conséquences sur les fabricants américains de puces. 

Dépendances en biopharmacie et agroalimentaire

Autre secteur qui pourrait être pénalisé par les restrictions commerciales, la biopharmacie chinoise, une industrie dont les ventes devraient atteindre plus de 100 milliards de dollars d’ici 2025. Celle-ci est fortement dépendante des brevets américains. Les entreprises américaines fournissent également de nombreux matériaux biologiques, des informations techniques et des équipements de laboratoire aux installations chinoises chargées de produire de nouveaux médicaments et de nouvelles thérapies. Les autorités américaines ont dans le collimateur un logiciel développé par les États-Unis que les entreprises chinoises utilisent pour fabriquer des médicaments. Ces derniers sont ensuite exportés en Europe et aux États-Unis. De nombreuses entreprises occidentales exportent également des données vers la Chine afin de développer de nouveaux traitements médicaux. À l’avenir, de tels transferts de données pourraient également être restreints du fait de l’incapacité des entreprises chinoises d’utiliser des logiciels d’origine américaine.

L’administration fédérale pourrait allonger la liste des entreprises américaines ne pouvant plus commercer avec des sociétés chinoises comme Huawei. En mars, le ministère américain de l’Agriculture a annoncé qu’il constituait un groupe de de travail pour étudier les règles commerciales en vigueur en matière de semences afin de promouvoir une concurrence loyale. La valeur des obligations émises par Sinochem, un groupe agro-industriel chinois, a chuté à cette annonce, en raison des craintes que le nouvel organisme puisse recommander des restrictions sur ses semences. L’industrie agroalimentaire chinoise dépend des brevets occidentaux dans de nombreux domaines. Une réduction des échanges serait également préjudiciable au secteur agro-alimentaire des États-Unis et de l’Europe.

La fragmentation économique et financière est en marche  

Dans certains secteurs comme l’informatique quantique, les Chinois sont en pointe et sont peu dépendants des Américains. En revanche, les échanges sont nombreux. Un arrêt des coopérations serait nuisible pour les deux zones économiques. Les spécialistes américains de l’informatique quantique écrivent plus d’articles avec des Chinois qu’avec des Européens. Les États-Unis seront prudents en ce qui concerne les flux de capitaux. Une interdiction d’une utilisation du dollar pour certaines exportations en direction de la Chine pourrait se répercuter sur l’économie américaine, ce pays n’étant ni l’Iran ou la Russie. Elle inciterait les autorités chinoises à se « dé-dollariser » encore plus vite et, par voie de conséquence, à se rapprocher un peu plus des ennemis des États-Unis. 

The dematerialization of money, dollars are dematerialized on a black background.

La fragmentation économique et financière est en marche. Depuis 2019, les flux de capitaux à destination de la Chine en provenance des États-Unis sont en baisse. L’épidémie de covid a provoqué un repli de l’Empire du Milieu avec une accentuation de la tendance nationaliste du gouvernement. L’argent américain est moins important pour l’industrie chinoise du capital-risque en 2023 que dans les années 2000. 

L’application des restrictions commerciales n’est pas sans limite. Les compagnies aériennes chinoises dépendent des avions et des pièces importées, dont beaucoup sont américaines. Or, ces pièces comportent, pour certaines d’entre elles des microprocesseurs. L’Amérique pourrait donc paralyser l’aviation en Chine mais accélérer le développement des producteurs de ce pays. Airbus, le constructeur européen pourrait être pris entre deux feux. Ses avions incorporent des puces américaines, ce qui peut les soumettre aux règles d’extraterritorialité américaines. Le fabricant européen pourrait être ainsi poursuivi voire être interdit d’accès aux États-Unis.

Remplacer rapidement les matériels américains interdits  

Les Chinois travaillent en outre à remplacer rapidement les matériels américains interdits. Huawei a réussi à assurer l’approvisionnement national de 13 000 composants électroniques malgré les sanctions. Cette société a repensé plus de 4 000 circuits imprimés et a lancé des logiciels pour concurrencer Microsoft, Google, Oracle ou Apple. 

Xi Jinping s’est fixé comme objectif « l’autonomie en science et en technologie ». Des sommes conséquentes ont été versées aux entreprises publiques afin de créer des systèmes non dépendants de la technologie occidentale. Les sanctions américaines pourraient finir par stimuler ce qu’elles sont censées empêcher. Les blocus dans l’histoire ne sont pas toujours fructueux pour ceux qui les mettent en place comme l’a prouvé celui de Napoléon à l’encontre du Royaume-Uni.

Les réticences des autres pays aux sanctions 

Les sanctions américaines sont, en outre, de plus en plus mal acceptées par les autres pays. Les entreprises occidentales non américaines sont obligées de considérer leurs opérations en Chine comme des entités autonomes et isolées ne pouvant pas avoir de liens avec leurs départements de recherche qui peuvent être amenés à travailler avec les États-Unis. L’Allemagne dont la Chine est un de ses principaux clients est la plus hostile à la politique américaine. La France même si elle est moins concernée lui a emboîté le pas avec les déclarations d’Emmanuel Macron à Pékin lors de sa visite officielle le 5 avril. Les Pays-Bas, la Corée du Sud et le Japon sont également plus que réservés sur ce sujet car ces pays fabriquent des puces et des biens et équipements électroniques qui sont vendus en Chine. La Corée du Sud exporte environ la moitié de ses puces mémoire vers la Chine. Ce pays a obtenu un délai d’un an pour se conformer à la réglementation américaine. Samsung et Sk Hynix, deux grands fabricants de puces sud-coréens, ont investi des milliards de dollars dans des installations de fabrication. Ils sont menacés de pénalités de la part des États-Unis s’ils n’y renoncent pas. ASML, un fabricant néerlandais d’équipements de fabrication de puces, a accepté de s’y plier mais de mauvaise grâce tout comme les grandes entreprises japonaises.

Marginaliser la Chine et… les Etats-Unis ?  

Le vaste programme de sanctions américain se heurte à de nombreux obstacles de ce type, note Mme Howell. Les dirigeants chinois se sont jusqu’à présent abstenus de mesures de représailles de la même ampleur, constatant que certaines entreprises américaines comme Apple continuent d’investir dans leur pays. À l’occasion d’une visite en Chine, Tim Cook, le PDG d’Apple, a cherché à apaiser les craintes d’un découplage économique avec les États-Unis. Il a déclaré le 25 mars à Pékin que la relation symbiotique entre les deux pays au cours des 30 dernières années les avait aidés à grandir. 

Le ministère chinois du Commerce envisage néanmoins d’interdire les exportations de certaines tranches de silicium avancées utilisées dans les panneaux solaires, ce qui pénaliserait de nombreuses entreprises américaines. Des mesures sont également envisagées à l’encontre des exportations de produits issus de la biotechnologie, car de nombreuses entreprises américaines ont une « dépendance inconfortable » vis-à-vis de la Chine pour les intrants pharmaceutiques et les dispositifs médicaux. Certains des ingrédients utilisés dans les anticorps contre l’anthrax, par exemple, ne sont produits qu’en Chine. 

La politique américaine risque de peser sur la croissance de ses propres entreprises, et de freiner l’innovation et sa diffusion. Les coûts de production pour les entreprises des secteurs concernés devraient augmenter et alimenter l’inflation. La campagne de sanctions risque également de marginaliser les États-Unis au sein du monde des pays émergents et en développement en donnant le beau rôle à la Chine.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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