« Réaliser la réunification de la patrie par des moyens pacifiques est dans l’intérêt général de la nation chinoise, y compris des compatriotes de Taïwan … La réunification de notre pays peut être réalisée et le sera. » Afin qu’on le prenne au sérieux, Xi Jinping, que les opposants chinois appellent Winnie l’Ourson, a mimé un blocus naval de Taïwan, et envoyé plusieurs missiles pour protester contre la visite de Nancy Pelosi dans l’île. Taïwan a répliqué en tirant quelques obus en l’air. En Chine, les feux d’artifices ont une signification impériale, c’est à dire de prestige, ce qui revient au même. Est-on à l’aube d’une guerre de Chine ?
Beaucoup s’affolent de risques de guerre, jusqu’à fustiger la légèreté de Nancy Pelosi, comme si la numéro 3 dans l’ordre protocolaire des États-Unis rendait visite à Taïwan de son seul chef. Avec l’Ukraine, (et après la déroute afghane) les États-Unis rappellent leurs règles.
La Chine ne peut pas faire la guerre à Taïwan
Xi Jinping a donc répondu à une provocation par la provocation. Comme ses missiles, elle est tombée à l’eau : la Chine ne peut pas faire la guerre à Taïwan sans se ruiner. Bien sûr, il faut se méfier de quelqu’un capable de censurer Winnie l’Ourson et d’inscrire sa « géniale pensée » dans la Constitution. Plus encore quand il met en jeu sa couronne dans quelques mois, se faisant réélire pour un troisième mandat, contrairement aux règles antérieures. Plus encore quand son économie toussote. L’intérêt d’un pays ne suffit pas à expliquer les décisions des dirigeants, sinon leur seul intérêt.
Entre le géant chinois et l’îlot taïwanais, Taïwan peut gagner
La Chine n’a aucun intérêt à une guerre avec Taïwan, qu’elle pourrait bien perdre. Et qui, de toute façon, la détruirait en grande partie. Cela peut paraitre absurde : entre le géant chinois et l’îlot taïwanais, Taïwan peut gagner.
Il y a un esprit de défense qui vient de loin. Taïwan n’est pas vraiment chinois, ou plutôt, est une autre Chine. La population de Taïwan est au départ austronésienne (comme les Polynésiens). Les Chinois s’y installent à partir du XVIème siècle ; la colonisation progressive ne se conclut qu’en 1885, juste avant que l’Empire cède l’île au Japon. 200 000 Taïwanais ont servi l’armée japonaise pendant la guerre jusqu’en 1945. Puis Tchang Kai Chek s’y réfugie avec deux millions de ses fidèles, sur une population de six millions. Il y impose sa dictature et rêve de reconquête. C’est surtout lui qui crée le mythe d’une « seule Chine ».
Tout mirage est piège : peu à peu les pays ne reconnaissent comme « Chine » que la République Populaire (à commencer par De Gaulle) et l’ONU remplace Taipei par la Chine continentale en 1971, dans un épisode peu glorieux. Il ne reste aujourd’hui que quatorze Etats qui maintiennent une ambassade à Taipei, généralement parce qu’ils reçoivent des subsides plus importants de Taïwan que ceux que promettent la Chine.
Le Japon, la Corée, le Vietnam et les Philippines craignent l’impérialisme chinois
Mais Taïwan n’est pas à ce point isolée : 58 pays maintiennent une « représentation » à Taïwan. Les États-Unis ont signé des traités d’amitié avec Taïwan, dont le Taïwan relation Act, voté en 1979, qui garantit à Taïwan les moyens « militaires » de son indépendance de fait. S’il n’y a pas d’alliance militaire, cela y ressemble beaucoup. La France elle-même vend du matériel militaire à Taïwan, avions et frégates. La modernisation de ces derniers fait d’ailleurs l’objet d’un nouveau contrat qui doit être mis en œuvre en 2023.
En cas de confrontation, c’est plutôt la Chine qui serait isolée. Le Japon, la Corée, l’Australie, le Vietnam et les Philippines craignent l’impérialisme chinois …
La Chine a construit, en volume mais non en qualité, la première marine militaire du monde. En 2030, le tonnage de la marine chinoise devrait être 2.5 fois supérieur à celui de la marine américaine. Or le problème de la Chine, c’est que sa façade maritime est relativement faible : elle est bornée par le Japon et… Taïwan.
Les Taïwanais se sentent de moins en moins chinois
L’armée chinoise serait-elle capable d’envahir Taïwan ? En théorie, et à condition que les États-Unis n’y interviennent pas, c’est possible. Cela exigerait une telle préparation et concentration de troupes pour franchir les 180 km du détroit que c’est quasiment impossible par surprise. Les Taïwanais, même sans le secours immédiat des États-Unis, pourraient infliger des pertes colossales aux Chinois. Taïwan est une puissance industrielle de haute technologie. Elle a une vraie capacité de défense. Qui plus est, une fois sur place, l’occupation de l’île ne pourrait quasiment pas se faire sans la détruire.
D’autant que les Taïwanais, face aux discours chinois, se sentent de moins en moins chinois. Seulement 5% de la population souhaite la réunification (26% en 1994) . Le parti démocratique (DPP) de la présidente Tsai Ing Wen est pour l’indépendance. Ce que craint le PCC, c’est qu’un jour Taïwan ne déclare son indépendance et que celle-ci soit reconnue par un certain nombre de pays, voire par les États-Unis.
De fait, les États-Unis avaient proposé la reconnaissance de deux Chine au Parti Communiste Chinois dans les années 70. Taïwan a demandé plusieurs fois sa réintégration à l’ONU, la pression de la Chine l’en a toujours empêché. Mais dans un contexte de tension, l’occasion peut se représenter.
Une réussite économique et démocratique exceptionnelle
Taïwan est le 21éme PIB mondial. En Pib par habitant, il est au 15ème rang. C’est une réussite exceptionnelle depuis les années 80 et la marche vers la démocratie. C’est un pays considéré comme l’un des plus démocratiques du monde, devant la plupart des pays européens, y compris la Suisse… et la France.
Taïwan montre que la démocratie convient aux Chinois, comme aux Coréens, aux Japonais, et n’est pas un monopole occidental. Avec une réussite plus spectaculaire encore que la conversion chinoise au capitalisme contrôlé, c’est un contre-modèle ultraperformant, et gênant.
Enfin, principale raison de la vanité des menaces chinoises, Taïwan est le premier investisseur en Chine. L’économie chinoise, sans Taïwan, ne fonctionnerait plus. Les économies sont totalement interdépendantes. Ce qui explique d’ailleurs que Taïwan ne proclame pas son indépendance. Ce n’est pas l’envie qui manque, ni la peur qui paralyse, c’est la réalité des imbrications.
Il n’y a pas un, mais deux modèles chinois
La Chine a toujours considéré qu’avec le temps, la réunification se ferait naturellement, « par des voies pacifiques ». Mais l’Assemblée du Peuple a voté l’obligation d’une guerre immédiate si Taïwan déclarait son indépendance. Chacun montre ses lignes rouges. Mais la confrontation avec les Etats-Unis donne un autre cours au temps long : celui d’une indépendance possible de Taïwan. Les Taïwanais ne sont pas du tout conquis par le « modèle chinois du PCC » qui agit comme un répulsif, tandis que les Etats-Unis et leurs alliés voient de plus en plus la Chine comme une « menace », comme le rappelle la dernière réunion de Madrid de l’Otan. Sur fond de crise, la Chine, elle, décide peu à peu, d’un repli intérieur progressif.
La guerre de Chine n’aura pas lieu. Pas tout de suite. Une lutte se dessine. Ce ne sera pas une guerre de missiles. Elle sera globale, une « guerre hors limite » : pas vraiment militaire, ni seulement technologique ou économique, elle sera aussi, comme à l’origine, idéologique. Il n’y a pas un, mais deux modèles chinois. Qui sait si le petit ne contaminera pas le grand ? C’est bien ce que craint Winnie l’Ourson…
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
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