La guerre commerciale est déclarée. L’Union Européenne a décidé de taxer les véhicules chinois de 30%. « Enfin ! » disent ceux qui accusent l’Europe de naïveté. Les naïfs ne sont pas ceux que l’on croit : L’Europe, marché ouvert, est excédentaire depuis des lustres, ceci expliquant cela. La Chine se venger sur le Cognac. Elle annule, surtout, les investissements industriels qu’elle envisageait en Europe.
Les difficultés de l’industrie automobile européenne viennent-elles de Chine ou d’un interventionnisme incohérent ? L’Europe interdit à terme les voitures thermiques, subventionne les véhicules électriques, mais taxe l’électricité, qu’elle subventionne aussi, selon le vent, ou les cas. Très fort. La Chine, elle, ne subventionne pas les achats mais la production. C’est plus malin.
Acheter à bas prix des voitures subventionnés par le PCC serait un supplice chinois.
L’erreur, ce n’est pas le commerce, mais la subvention. Le débat est déjà dépassé. La production de voitures électrique en Chine, grâce aux économies d’échelle, est déjà inférieure à celle des voitures thermiques. Les constructeurs européens peuvent résister un moment : Le poids des ventes intercontinentales dans le marché automobile ne dépasse pas 15%. Juste le temps d’innover. Là est la clé. Tesla, qui ridiculise les groupes européens, c’est du chinois ?
Après tout, si les Chinois veulent payer les acheteurs européens, pourquoi ne pas en profiter ? Autant d’économies. Hier, acheter à bas prix les textiles indiens était du colonialisme. Aujourd’hui, acheter à bas prix des voitures subventionnés par le PCC serait un supplice chinois. Tout cela ne veut pas dire grand-chose, si ce n’est lobbying et démagogie.
Même en l’absence de réciprocité sur les tarifs ou les subventions, l’échange favorise toujours le développement économique. Il dégage des marges pour de meilleurs investissements.
En cas de guerre commerciale, la bonne attitude est de … ne pas entrer en guerre.
Il n’y a pas de vainqueur dans une guerre commerciale, qui est, au contraire de la concurrence, une fermeture. Si les Etats-Unis, avec Trump, s’engagent dans une guerre commerciale, l’économie mondiale souffrira.
Les pays pauvres paieront, les riches aussi. « Quel que soit le vainqueur, si la fragmentation du commerce international s’aggrave, l’effet négatif sur l’activité économique mondiale sera notoire. Ces pertes s’élèvent à 9 % du PIB dans le cas d’un scénario sévère de découplage complet. » prédit Christine Lagarde, patronne de la BCE.
Quelle réponse à une guerre commerciale ? Après les premières mesures de taxation de Trump, en 2018, les Chinois ont exporté leurs produits vers des pays tiers (Vietnam, Cambodge, Philippines, Inde, Mexique) qui les réexportent vers les États-Unis. Les importations des Etats-Unis en provenance de Chine ont baissé, celles venant du reste de l’Asie ont augmenté. En cas de guerre commerciale, la bonne attitude est de … ne pas entrer en guerre.
Dans une guerre commerciale, personne ne peut être totalement défait, il ne peut jamais y avoir de vainqueur. La Chine a conclu des accords bilatéraux couvrant 46% de ses échanges. Son tarif douanier moyen, de 7,5%, est presque aussi bas que celui de l’UE (5,1%). Sont-ils naïfs, eux aussi, les Chinois ?
Considérer la Chine comme un adversaire géopolitique ne fait pas du commerce une arme. Une guerre commerciale ne dissuadera pas la Chine de mettre au pas Taïwan, ne limitera pas les investissements militaires chinois. Au contraire, le divorce économique alimentera les conflits périphériques. La course aux armements, l’activation de réseaux parallèles, mercenaires et pirates dans les circuits de distribution matériels et immatériels seront amplifiées. La recherche de l’assurance nucléaire pour des pays tiers sera stimulée feront de l’Iran, le Pakistan et la Corée du Nord des partenaires stratégiques pour les pays tiers.
Soit, le « doux commerce » ne garantit pas la paix, mais il suppose une coopération internationale, et un minimum de sécurité porté en commun.
L’activation de réseaux parallèles, mercenaires et pirates dans les circuits de distribution matériels et immatériels.
Le commerce comme arme suppose pirates et surarmements. Généralement, ce sont plutôt les régimes policiers qui se méfient du commerce, ils craignent que les produits ne transportent des idées. Que les démocraties, sociétés ouvertes, se ferment est un signe de maladie.
Hélas, dans les démocraties, la démagogie l’emporte sur le bon sens et même l’intérêt. Les plus grandes entreprises américaines réalisent plus de 40 % de leurs revenus à l’étranger, 60 % dans le secteur technologique. 41 millions d’emplois américains sont liés au commerce international. Et les voilà qui trépignent pour une guerre commerciale.
L’Europe suit cette rhétorique guerrière, au nom de la « souveraineté ». Concept flou qui légitime toute intervention de l’Etat au secours des lobbys ou d’une clientèle. Une chaîne de magasins a été jugée « stratégique » : Des Canadiens voulaient s’en emparer. Halte là ! Toute la classe politique s’est précipitée pour garder le Doliprane, médicament dont le principe actif, découvert en 1880, libre de tout brevet, est fabriqué en Chine. En parallèle, NovoNordisk, un laboratoire danois, avec deux médicaments révolutionnaires, dépasse la capitalisation boursière de LVMH et investit 2,1 milliards en France. Sauver le Doliprane (plutôt son emballage) ou créer de nouveaux médicaments ? Où sont les stratèges ? Qui sont les naïfs ?
Tout est stratégique, ou peut le devenir. Rien, pas même le papier, l’encre, le crayon, ne peuvent être produits sans composants fondamentaux venus d’ailleurs.
« Souveraineté », concept flou qui légitime toute intervention de l’Etat au secours des lobbys ou d’une clientèle.
Souveraineté sanitaire, souveraineté alimentaire sont des slogans émouvants, et mouvants. Ne va-t-on pas manquer de médicaments et mourir de faim ? L’UE exporte 230 Milliards de produits agricoles et en importe pour 180 milliards. Évidemment, comme pour le gaz, toute perturbation mondiale a un impact immédiat sur le prix.
Comment stabiliser les prix ? La réponse n’est pas dans la « souveraineté » mais dans la sécurité alimentaire. Elle se construit en diversifiant les sources, par la multiplication des échanges. Contrairement aux recommandations guerrières, multiplier les accords de libre-échange, baisser le droit de douane, lever les quotas donne le plus large accès au meilleur prix, notamment pour l’alimentation. La stabilité des prix et l’approvisionnement sont mieux garantis par la libre circulation et la concurrence que par les douanes, taxes et frontières.
Fermer le marché dans lequel certains sont bien installés, au bénéfice de qui ? La recherche de la « souveraineté alimentaire » est brandie, elle est l’expression de situations acquises et d’oligopoles.
Soit, le fait de produire localement ne doit pas être pénalisé par des normes plus sévères pour les producteurs locaux ; c’est une question de normes internes, pas d’échange.
Vendre le local est plus rentable électoralement que d’expliquer le libre-échange. Surtout dans un climat où se dénoncent pêle-mêle globalisation, cosmopolitisme et migrations. Chacun veut sa frontière. Sa barrière. Sa douane. Le Michigan aux Michiganians et Saint Tropez aux Tropéziens. Fameux Michiganians qui vont décider du sort du monde entre Trump et Harris !
Tout cela n’est ni théorique, ni risible. C’est l’enjeu de l’élection américaine, des voitures électriques, du Mercosur, des médicaments du futur, du char franco-allemand. Tout est commerce international, alliance, coopération, appauvrissement, enrichissement, guerre ou paix.
Si la guerre commerciale devait être déclarée au monde, la division des Européens serait vite une débandade.
Si le monde entre dans une phase de guerre commerciale, alors il faut vite trouver des alliés, comme l’Amérique du Sud, l’Indonésie, l’Inde, et tous ceux qui peuvent adhérer au tiers parti. Rester, au sein de l’Europe, unis. La France et l’Allemagne ont, sur les voitures chinoises comme sur le Mercosur, des divergences. Chacun cherche des alliés au sein de l’Europe pour contrer l’autre. C’est l’inverse du pacte fondateur européen entre la France et l’Allemagne. Si la guerre commerciale devait être déclarée au monde, la division des Européens serait vite une débandade.
Rester unis, multiplier les accords, ne pas céder à la guerre. Du point de vue géopolitique, il y a plus de chances de voir les régimes adverses s’effriter par le désir d’un mode de vie à l’occidentale que terrorisés par la pénurie.
Une guerre commerciale ne peut amener à la défaite de l’un ou de l’autre, seulement à l’appauvrissement.
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press et France Pay
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