En 2023, à la différence de l’Allemagne, la France a échappé à la récession avec une croissance néanmoins modeste de son PIB de 0,9 %. Elle doit ce résultat essentiellement au tourisme au sens large du terme : ventes d’avions, de navires de croisière, hébergement, restauration, parcs de loisirs, musées, etc. Elle le doit aussi à une politique budgétaire accommodante. La France, tout comme les États-Unis, finance sa croissance à crédit. Son déficit public a été de 5 % du PIB l’année dernière soit deux points de plus que la moyenne de la zone euro.
Malgré une faible croissance, la France n’a pas connu une augmentation du nombre de ses demandeurs d’emploi. Cette bonne nouvelle est avant tout la conséquence du vieillissement démographique qui se traduit par un nombre élevé de départs à la retraite et par des entrées réduites de jeunes sur le marché du travail. Les entreprises préfèrent ne pas licencier par crainte de ne pas pouvoir trouver demain les salariés dont elles auraient besoin. Cela explique, en partie, la baisse de la productivité que l’économie connaît depuis 2019.
La France finance sa croissance à crédit
Au-delà des discours souverainistes, la réindustrialisation reste pour le moment un vœu pieux. Fin 2023, la production industrielle du pays n’avait pas retrouvé son niveau d’avant la crise sanitaire. Les projets de création de nouvelles usines mettent par nature du temps à se concrétiser. Le déficit du commerce extérieur demeure élevé.
Démographie en déclin, productivité en baisse et tentation du repli riment avec faible croissance. Le malthusianisme économique semble avoir repris ses quartiers d’été. De plus en plus d’acteurs prônent désormais le retour au protectionnisme. Certains le mettent en avant au nom du souverainisme ou de la défense de tel ou tel secteur d’activité ; d’autres au nom de la protection de l’environnement. Tout ce qui vient de l’étranger est de plus en plus perçu comme une menace sinon un danger. La mondialisation est accusée de tous les maux. Les pays émergents, en particulier la Chine, seraient responsables de la désindustrialisation. Or les causes de celle-ci sont à chercher avant tout à l’intérieur des frontières. L’Allemagne, les Pays-Bas et les pays d’Europe du Nord ont conservé leur industrie voire l’ont renforcée en ayant des coûts salariaux identiques à ceux de l’industrie française.
Les Français sont fâchés avec le libre-échange
Les Français sont fâchés avec le libre-échange. Même si sa mise en œuvre sous Napoléon III et après 1958 rime avec croissance et amélioration des conditions de vie, il a été vécu avant tout comme une contrainte. Les Français dépendent bien plus qu’ils ne le pensent des échanges internationaux. Plus d’un Français sur quatre travaille pour l’exportation dont un grand nombre d’agriculteurs. Les ventes à l’étranger sont indispensables pour le maintien des revenus de l’ensemble des ménages et pour s’acquitter des produits qui manquent à la France, notamment le gaz et le pétrole.
Assez étrangement, une majorité de Français considère que les échanges commerciaux s’apparentent à une guerre. Contresens total, quels exportateurs souhaitent que leurs clients périssent ou n’aient plus les moyens de leur acheter des biens ou des prestations ? Au temps de la téléréalité et de l’information en silo générée par les réseaux sociaux, à en croire certains, les entrepreneurs et les producteurs étrangers seraient pourvus de tous les vices quand leurs homologues français seraient tout à la fois victimes et totalement vertueux.
Le commerce international repose sur la théorie des avantages comparatifs et sur un modèle gagnant/gagnant. Les économies se spécialisent dans les domaines où elles sont les moins mauvaises. Que la France, membre de l’Union européenne, la première puissance commerciale mondiale, craigne la Nouvelle-Zélande, un pays de 5,1 millions d’habitants ou le Canada, un pays de 38 millions d’habitants, en dit long sur le manque de confiance des Françaises et des Français dans le potentiel économique de leur pays.
Fascination des Français pour le malthusianisme et le protectionnisme
Cette peur est d’autant plus irrationnelle que le Canada ou la Nouvelle-Zélande ont des coûts de production équivalents à ceux de la France. Bien évidemment, l’acquisition de parts de marché peut déboucher sur le non-respect des normes et plus globalement des règles. Des contrôles sont nécessaires pour veiller à leur bonne application. Les tenants du protectionnisme ne doivent pas oublier qu’il est une source d’appauvrissement. Il alimente l’inflation en réduisant la concurrence et en créant des situations de rente. Il diminue le pouvoir d’achat des ménages et freine la diffusion du progrès technique. La fascination des Français pour le malthusianisme et le protectionnisme ne laisse pas de surprendre au regard du potentiel économique de la France, pays naturellement ouvert sur l’extérieur que ce soit par ses larges façades maritimes et par la présence de grands fleuves navigables.
Or force est de constater que les ports et la marine n’ont jamais été de réelles priorités. Par sa géographie et son climat, l’agriculture bénéficie d’un environnement favorable. Les plaines céréalières figurent parmi les plus riches d’Europe. La diversité des productions a permis le développement d’une puissante industrie agroalimentaire qui exporte aux quatre coins de la planète.
Toujours grâce à ses atouts géographiques, la France est une des principales puissances touristiques mondiales en accueillant plus de 90 millions d’étrangers chaque année. Ce secteur génère d’importants flux financiers contribuant à équilibrer le déficit commercial. La construction aéronautique et celle des navires de croisières, pour lesquelles la France est incontournable, ne sont pas sans lien par ailleurs avec le tourisme.
La France devrait être la Californie de l’Europe
La France peut s’enorgueillir d’être le pays du luxe avec LVMH, Kering, Hermès, Chanel et bien d’autres. La Fashion Week réunit, plusieurs fois par an, créateurs et clients en provenance de nombreux pays. Ce secteur est un vecteur important de l’image de la France en-dehors de ses frontières.
La France est également reconnue pour la puissance de son secteur financier en comptant plusieurs établissements de taille mondiale. Dans de nombreux domaines, la France dispose de réels avantages comparatifs, souvent ignorés. Elle peut s’appuyer sur des infrastructures publiques de qualité, même si certaines vieillissent faute de remise à niveau. Le pays détient le record de densité en matière d’aéroports et possède le deuxième réseau ferroviaire d’Europe.
Par son positionnement, par sa richesse naturelle, la France devrait être la Californie de l’Europe. Nice, Marseille, Montpellier, Ajaccio ou Bastia devraient être des villes phares de la recherche et de l’innovation bien plus qu’elles ne le sont actuellement. Grâce à leur qualité de vie, elles devraient accueillir des étudiants et des chercheurs du monde entier. Ses ports devraient concurrencer ceux de Rotterdam, d’Anvers ou de Gênes.
La France devrait être la plaque tournante du commerce de l’Europe avec les Amériques et l’Afrique.
Les raisons du grand gaspillage français
Quelles sont les raisons du grand gaspillage français ? La facilité en est une. Doté d’avantages naturels importants, le pays n’a pas eu à les conquérir à la différence des Etats d’Europe du Nord ou de la Corée du Sud en Asie.
Régulièrement, le pays veut vivre de ses rentes en oubliant que le travail est la valeur cardinale de la richesse. Les Français ont toujours eu un rapport difficile à l’économie : c’est bien connu, l’intendance suivra. Il en résulte à travers les décennies une gestion des comptes publics hasardeuse.
Les choix des responsables publics jouent également un rôle non négligeable dans l’orientation du pays. La lutte pour les frontières naturelles à l’Est (la rive droite du Rhin) a monopolisé beaucoup d’énergie au détriment de la valorisation du territoire et de ses façades maritimes. Les nombreuses guerres que la France a connues à travers les siècles ont favorisé l’émergence d’un Etat centralisé à tendance hégémonique. Les Français se sont habitués de longue date à laisser leur destin dans les mains de l’Etat avec, en parallèle, une contestation permanente de ce dernier. Les jacqueries et les révolutions jalonnent l’histoire.
La défiance est une religion ancrée dans l’âme française. Si les Français gaspillent leurs atouts, ils savent aussi faire preuve de résilience et d’initiatives. Les rebonds sont aussi fréquents que les phases de déclin. La France continue à avoir de nombreux prix Nobel notamment en physique ou en chimie.
Malgré la tentation centralisatrice, des régions, des villes arrivent à se démarquer. Les Pays de la Loire et notamment la Vendée connaissent depuis des années une forte croissance grâce à un réseau diversifié de PME et d’entreprises de taille intermédiaire. De son côté, Angers dans le Maine et Loire figure parmi les villes préférées des Français en conciliant cadre de vie, travail et formation de qualité. Que ce soit en Vendée ou à Angers, il y a une réelle fierté d’avoir réussi à s’imposer.
Au-delà des problèmes de surréglementation qui bien souvent s’accompagnent d’un déficit de concurrence, les chemins de la réussite passent par la restauration de la confiance, défi qui n’est pas mince.
Auteur/Autrice
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Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.
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