La pause dans les réformes est une vieille antienne en France.
Le 24 février 1937, Léon Blum annonce « une pause dans les réformes sociales conduites par son gouvernement ». Le 9 juin 1982, le Président Mitterrand déclare dans une conférence de presse qu’il est nécessaire de faire une pause dans les réformes afin de les « digérer » et de stabiliser la situation budgétaire.Avec la crise boursière d’octobre 1987, Jacques Chirac décida de ralentir le rythme des réformes. En décembre 1995, après les grandes grèves occasionnées par le projet de réforme d’Alain Juppé concernant la Sécurité sociale, il en fut de même. La crise des subprimes de 2009 et celle de 2011 relative aux dettes souveraines eurent le même effet sur les quinquennats de Nicolas Sarkozy et de François Hollande. Au mois de mars 2017, avec la Covid-19, Emmanuel Macron fut également contraint de suspendre les réformes des retraites et de l’assurance chômage.
Si en 1982, la volonté du pouvoir était d’éviter une accélération du dérapage du déficit public, depuis, il s’agit d’éviter une crispation de l’opinion publique. Sur ce sujet, après la réforme de 2003 sur les retraites, le Premier Ministre de l’époque, Jean-Pierre Raffarin décida de reporter celle sur l’assurance maladie car il estimait qu’il fallait éviter de trop tendre les liens sociaux par crainte d’un blocage complet du pays.
Depuis 1968, en France, les gouvernements vivent dans la hantise d’une convergence des luttes sociales. Emmanuel Macron a été un des premiers à tenter plusieurs réformes en parallèle mais force est de constater que, pour le moment, du fait des circonstances, il a dû renoncer à plusieurs d’entre-elles.
Des finances publiques en indélicatesse
Cette kyrielle de pauses dans les réformes qui sont désormais connotées négativement par la population entraîne une accumulation de retards dans la modernisation des finances publiques.
La France est le pays de l’Union européenne qui se caractérise par le plus haut niveau de dépenses publiques et de prélèvements obligatoires. Ces derniers ont supérieurs de 5,2 points de PIB en France à ceux du reste de la zone euro et de 8,1 points de PIB à ceux de l’Allemagne. Pour les impôts sur les entreprises, la France est 7 points de PIB au-dessus de la moyenne de la zone euro (hors France). Pour les seuls prélèvements qui pèsent sur la production, l’écart est de 4 points de PIB.
Pour les dépenses, la France dépense 12 points de PIB de plus que les autres États de la zone euro. Même en soustrayant certaines dépenses qui sont considérées de nature privée chez nos partenaires (dépenses liées aux fonds de pension ou à l’éducation par exemple), l’écart reste significatif, environ 10 points de PIB.
Depuis 1980, la France n’a jamais enregistré un solde public nul ou positif, entraînant l’augmentation continue de la dette publique qui est passée de 24 % du PIB en 1980 à 98 % du PIB en 2019.
Une productivité moyenne dans les services publics
Les emplois dans les administrations publiques représentent 22 % de l’emploi total en France contre 14 % au sein de la zone euro (hors France) et 13 % au sein de l’OCDE (hors France). Si la productivité du travail dans le secteur public était la même en France que dans les autres pays de la zone euro, la masse salariale des administrations publiques serait plus faible de 1,2 point de PIB en France ; si elle était la même en France qu’en Allemagne, la masse salariale des administrations publiques serait plus faible de 3,6 points de PIB en France. Le déficit de productivité du travail dans les administrations publiques en France s’élève à 10 % vis-à-vis du reste de la zone euro et 30 % vis-à-vis de l’Allemagne.
La réforme de l’État et des collectivités locales est en chantier depuis une quarantaine d’années sans pour autant avoir débouché sur une réelle rationalisation. Le Premier Ministre, Jean Castex, s’est engagé à lancer un nouveau processus de décentralisation.
Le dossier brûlant de la retraite
Les dépenses de retraite sont 4 points de PIB plus élevées en France que dans le reste de la zone euro. Les dépenses de retraites sont à 97 % assurées par des systèmes obligatoires en France et rentrent dans le champ des dépenses publiques. Cette proportion est moindre au sein de la zone euro et au sein de l’OCDE du fait de la présence plus importante des fonds de pension.
La moitié de l’écart entre la France et ses partenaires pour les dépenses de retraite est imputable à la plus forte socialisation des dépenses. L’autre moitié est due à un niveau de couverture plus important et à l’espérance de vie à la retraite la plus élevée de l’OCDE, en raison d’une liquidation précoce des droits. La France est pénalisée au niveau des dépenses de retraite par des départs précoces, plus de la moitié interviennent avant 62 ans conduisant à un faible taux d’emplois de 60/64 ans. Il est de 32% en France contre 48% dans la zone euro (hors France) et de 62% en Allemagne.
La santé, des dépenses importantes pas toujours gages d’efficacité
En matière de santé, le poids du public en France est supérieur d’un point de PIB, à la moyenne européenne. Les dépenses publiques de santé s’élèvent à 10% du PIB quand la part relevant du privé (complémentaires et reste à charge pour les ménages) est de 2% du PIB. La France se caractérise par le reste à charge le plus faible de l’Union européenne. L’écart est, en revanche, bien plus important en ce qui concerne le poids du personnel administratif au sein des hôpitaux. Il est de plus de 33 % en France contre 26 % en Allemagne ou 18 % au Portugal.
Les pouvoirs publics ont eu tendance, en France, ces dernières années, à faire peser les efforts sur les hôpitaux en restreignant les dépenses d’investissement et en privilégiant l’ambulatoire. L’Allemagne dispose de 6,02 lits de soins aigus pour mille habitants, contre 3,09 pour mille habitants pour la France (source OCDE – 2017).
La crise sanitaire devrait conduire à une nouvelle augmentation des dépenses de santé. La question de la réorganisation du système de santé est depuis une vingtaine d’années reportée par crainte d’une levée générale des boucliers.
L’éducation, des résultats moyens
Pour les dépenses d’éducation, les dépenses publiques en France représentent 5,5 % du PIB et les dépenses privées 0,8 % du PIB. Pour la zone euro et l’OCDE, ces valeurs sont respectivement de 4,5 et 0,8 %. Les enquêtes PISA de l’OCDE soulignent que le niveau de l’éducation est moyen et tend à reculer. La France se classe en 23e position loin derrière les États d’Europe du Nord et ceux d’Asie. La France consacre, en revanche, moins d’argent que ses voisins pour l’enseignement supérieur.
Des prestations sociales généreuses
Les dépenses de solidarité (minima sociaux, allocations logement, allocations familiales) sont, en moyenne, supérieures d’un point de PIB par rapport à la moyenne européenne. La France peut s’enorgueillir d’avoir un des plus faibles taux de pauvreté en Europe. Il est de 14%, contre 17% en moyenne au sein de l’Union européenne.
Des dépenses économiques et en faveur des territoires élevées
Les dépenses d’intervention publique (4,2% du PIB) sont supérieures de plus d’un point à la moyenne de l’Union européenne. Les pouvoirs publics soutiennent un grand nombre d’activités et de territoires.
La recherche bénéficie d’un crédit d’impôt spécifique de 5 milliards d’euros. Les énergies renouvelables bénéficient également d’un soutien d’un montant comparable. Les territoires d’outre-mer, les transports, l’emploi à domicile, les collectivités territoriales, les bas salaires font l’objet d’aides spécifiques pour des montants conséquents.
Les aides versées aux collectivités locales sont supérieures de 0,2 point de PIB à la moyenne européenne. Elles sont plus élevées de 0,5 point en France, exception faite des États fédéraux allemands, l’Autriche ou la Belgique.
La France consacre une part plus importante de son PIB aux investissements publics. Le surcroît est de 2 points. Ces investissements publics sont en partie imputables à la socialisation de certaines activités comme les crèches, le ramassage des ordures ménagères, les équipements culturels ou sportifs, etc. Les comparaisons sont de ce fait délicates à réaliser.
La défense n’explique pas tout
Les gouvernements, en France, mettent souvent en avant les dépenses militaires pour expliquer le poids plus élevé des dépenses publiques et le maintien d’un fort déficit public. Or, au sein de l’Union européenne, les écarts sont faibles pour ce type de dépenses. Elles s’élèvent à 1,8% du PIB en France contre une moyenne de 1,5%.
Au moment où le taux de marge des entreprises se dégrade, une diminution des prélèvements obligatoires semble être nécessaire. Pour le moment, un allègement de dix milliards d’euros est attendu. Il est insuffisant pour réduire l’écart avec les autres partenaires européens.
Sans effort au niveau de l’organisation et des dépenses, il apparaît difficile de revenir dans la moyenne au niveau des prélèvements obligatoires. Le risque est alors une fuite en avant dans le déficit et la dette qui pourrait également concerner les entreprises. Le recours aux Prêts garantis par l’État est porteur de biens des problèmes en perspective quand les entreprises seront amenées à la rembourser. Les demandes d’étalement voire d’effacement pourraient alors bien être nombreuses.
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