Paris, nid d’espions ? Auditionné par la commission d’enquête sur les ingérences étrangères de l’Assemblée nationale, le chef de la DGSI Nicolas Lerner est revenu sur les ingérences en politique et l’importance de la désinformation pour décrédibiliser la voix de la France sur la scène internationale.
Nicolas Lerner, chef de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), les services de renseignement français, était auditionné en février dernier par la commission d’enquête sur les ingérences étrangères en France, présidée par le député Rassemblement national (RN) Jean-Philippe Tanguy. Le compte rendu de cette audition a été publié mercredi (26 avril).
Lors de cette audition, le directeur de la DGSI a expliqué que la France « est particulièrement exposée aux tentatives d’espionnage et d’ingérence » en raison de son importance sur la scène internationale.
Évoquant l’ingérence dans les milieux politiques, objet principal de la commission d’enquête parlementaire, le chef de la DGSI a indiqué avoir procédé à des « sensibilisations » de parlementaires français « à plusieurs reprises ces derniers mois, après avoir détecté des contacts avec des officiers de renseignement russes sous couverture diplomatique ».
Dans le passé, des personnalités politiques « de premier plan » ont entretenu des relations avec des espions étrangers, parfois à leur insu, parfois en toute connaissance de cause. Les liens financiers seraient beaucoup plus rares, les renseignements français les ayant identifié « très ponctuellement et dans des cas individuels ».
Prenant l’exemple d’élus qui se sont rendus dans le Donbass ou en Crimée dans des missions d’observation des processus électoraux, M. Lerner considère que cela « revient à franchir un cap en termes d’allégeance envers le pays concerné ».
Ce fut le cas d’une délégation française en 2015, conduite par l’eurodéputé Thierry Mariani (Rassemblement national/ID) du temps où il appartenait au parti Les Républicains (PPE). Des opérations d’observation similaires se sont déroulées en 2020 lors du referendum constitutionnel voulu par Vladimir Poutine, à laquelle ont participé dix eurodéputés du Rassemblement national.
Mais, précise le chef de la DGSI, aucun parti politique français ne serait aujourd’hui manipulé par une puissance étrangère.
Ainsi, l’infiltration par « des officiers de renseignement sous couverture diplomatique » reste un des principaux outils, notamment exploités par la Russie, qui a « le dispositif le plus important ». Bien que « leur nombre [ait] significativement diminué depuis le début de la crise ukrainienne »,surtout depuis l’expulsion de nombreux agents présents sur le sol français et européen sous couverture diplomatique.
Dans ce domaine, M. Lerner précise que « la Chine […] entretient un réseau sous couverture diplomatique bien moins développé que celui de la Russie. »
Société civile et désinformation
La DGSI s’inquiète également des « relais » de pays étrangers dans la société civile française. Les services de renseignement français portent « un regard particulièrement vigilant sur le monde universitaire et de la recherche », très exposé à l’espionnage et l’ingérence, par le biais de partenariats ou de jumelages.
La Chine et la Russie, qui occupent le plus l’attention des Européens aujourd’hui, sont les États « dont la politique est la plus aboutie en matière de renseignement », explique le chef du renseignement français. Outre l’influence, l’espionnage et l’ingérence, ces pays ont « une politique d’information ou de désinformation », dont le but est de « décrédibiliser » l’influence et le modèle français.
Certains États recourent à une « information déformée sans aucun scrupule », afin de « promouvoir leur narratif et [de] décrédibiliser notre modèle », poursuit M. Lerner, citant les remises en cause de la liberté de la presse et la liberté d’expression en ce qu’elles permettent de critiquer la religion.
Aussi, la France est présentée comme « donneuse de leçons en matière de maintien de l’ordre et de démocratie » vers l’extérieur – envers l’Iran ou la Russie par exemple – alors qu’elle serait répressive à l’intérieur.
Après l’invasion russe en Ukraine, l’Union européenne a interrompu l’activité des chaînes de propagande russe, RT et Sputnik, a remarqué M. Lerner.
Mais, selon lui, seuls des événements exceptionnels de la guerre en Ukraine ont rendu possible une telle décision. Il faut alors s’interroger sur le cadre juridique européen. Le droit devrait permettre au « régulateur à intervenir au-delà de ses prérogatives habituelles lorsque les sanctions sont insuffisantes et que l’interdiction d’un média servant clairement et exclusivement d’outil de propagande devient nécessaire. »
Enfin, le chef de la DGSI constate combien les temps ont changé : « certains États s’affranchissent aujourd’hui allègrement de la règle de droit international, dans le contexte d’un affaiblissement du multilatéralisme ». Les États sont passés de la « compétition » à « des confrontations bien plus directes ».
Les règles qui régissaient les relations entre les États, dont le respect de la sphère d’influence de différents blocs, ont « disparu ». « Le fait accompli et la loi du plus fort sont les seules règles qui prévalent ».
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