Les ministres de l’Intérieur britannique et français ont conclu lundi 14 novembre un accord renforçant la coopération des deux pays pour lutter contre l’immigration irrégulière et les traversées de la Manche par des bateaux de fortune, non sans susciter des doutes auprès des ONG du secteur.
En vertu de cet accord, signé lundi à Paris par Gérald Darmanin et Suella Braverman, les Britanniques verseront à la France plus de 72 millions d’euros pour l’année 2022-2023 afin de financer le renforcement de la sécurité dans les ports.
L’accord s’inscrit dans le cadre du traité dit « Sandhurst », qui organise la coopération entre le Royaume-Uni et la France dans la gestion de leur frontière commune – la Manche.
Selon les ministères des deux pays, cela servira notamment pour le financement de « technologies de surveillance de pointe », qui doivent permettre de détecter et empêcher les traversées illégales.
Des drones, de la vidéosurveillance, des hélicoptères et des équipes de chiens de détection seront notamment mobilisés grâce à ces moyens, ont indiqué les services britanniques.
Dans la déclaration conjointe, il est indiqué que des investissements seront faits « dans des centres d’accueil dans le sud de la France, afin de dissuader les migrants entrant en France par la route migratoire méditerranéenne de se rendre sur le littoral de la Manche […] et de leur proposer des alternatives sûres ».
Aucune précision sur ces « alternatives sûres » n’a été donnée à ce stade.
Les ONG se sont opposées à l’accord, invoquant son inefficacité à s’attaquer aux « facteurs d’incitation » sous-jacents qui poussent les demandeurs d’asile à effectuer cette dangereuse traversée.
Le Refugee Council, une organisation caritative britannique créée en 1951 à la suite de la Convention des Nations unies sur les réfugiés, a indiqué sur Twitter : « Il faut un accord qui se concentre sur la création d’itinéraires plus sûrs, comme le regroupement familial, et sur la collaboration avec l’UE et d’autres pays pour trouver des solutions globales afin de partager la responsabilité de ce qui est un défi mondial alors que de plus en plus de personnes sont déplacées par la guerre, la terreur et la violence. »
Des patrouilles franco-britanniques
Aussi, cette somme permettra d’augmenter « de 40% [le] nombre d’agents financés par le Royaume-Uni patrouillant sur les plages françaises ». Des Britanniques seront intégrés dans des équipes françaises pour permettre, espèrent les deux partenaires, un meilleur partage d’informations et de renseignement pour une meilleure « compréhension de la menace ».
Rien qu’en 2022, 30 000 traversées illégales auraient été évitées grâce à la coopération des deux pays, chiffre en progression par rapport à 2021 (23 000). L’objectif pour 2023 n’a pas été indiqué par l’un ou l’autre des pays au moment de la rédaction de cet article.
La cellule de renseignement conjointe a abouti au démantèlement de 55 groupes criminels organisés et plus de 500 arrestations depuis 2020, date de sa création, le but étant aussi d’enrayer l’activité des passeurs.
En effet, selon une source britannique proche du dossier, le monde attend « une crise migratoire mondiale, avec 100 millions de personnes déplacées dans le monde qui pourraient être la proie d’une exploitation par des bandes criminelles de passeurs ».
Selon cette source, pour rendre la lutte effective, il faut « brise[r] le modèle économique de ces gangs », par des peines de prison « à vie » pour les passeurs clandestins et « mettre fin au manège des contestations judiciaires qui peuvent être utilisées pour empêcher l’expulsion des personnes qui n’ont pas le droit d’être au Royaume-Uni ».
À la mi-juin, la Cour européenne des droits de l’homme a bloqué un vol charter qui devait expulser une personne du Royaume-Uni vers le Rwanda, en vertu d’un accord de « relocalisation » entre les deux pays.
Par un projet de loi qui sera débattu en 2023 en France, le ministre français de l’Intérieur a également indiqué avoir l’intention de « fortement simplifier les procédures et de passer de douze à quatre catégories de recours, pour exécuter beaucoup plus rapidement les mesures » d’éloignement d’un migrant débouté du droit d’asile.
Selon Pascal Brice, ancien directeur de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), interviewé dans l’émission C à vous sur France 5 lundi soir, « on a sans cesse le même type d’accord : de l’argent britannique pour que les Français fassent le sale boulot et contrôlent la frontière ».
La conséquence, selon lui, est que « les gens vont prendre de plus en plus de risques » et que les passeurs, « vont s’enrichir un peu plus », augmentant leurs tarifs face au durcissement des contrôles.
L’alternative serait, ajoute-t-il, de « faire pression sur les Britanniques pour qu’ils acceptent une immigration légale ». Il faudrait aussi, pour limiter les traversées de la Manche, organiser « un accueil digne et maîtrisé » dans les ports français et européens de Méditérannée.
Rapprochement entre les deux pays
L’accord ne fait qu’anticiper, expliquent des sources proches du dossier, un « partenariat opérationnel étroit entre les deux pays » dans la lutte contre l’immigration illégale par la Manche.
La signature de cet accord marque un rapprochement entre les exécutifs français et britannique, dont les relations étaient tendues sous l’administration de Boris Johnson d’abord et lors du bref passage de Liz Truss ensuite.
Aussi, les Britanniques n’avaient pas digéré la gestion chaotique du match de football entre le Liverpool Football Club et le Real de Madrid à Paris en juin dernier, où de nombreux supporters anglais avaient été malmenés.
Sur le dossier de l’immigration en particulier, après la noyade de 27 personnes dans la Manche en novembre 2021, Gérald Darmanin s’était ému du fait que la France travaillait, selon lui, seule : « la Grande-Bretagne et la France doivent travailler ensemble. Nous devons arrêter d’être les seuls à lutter contre les passeurs », avait-il déclaré sur RTL.
Quelques mois plus tard, à propos de l’accueil de réfugiés ukrainiens, il enjoignait à Boris Johnson de « mettre en lien les discours et les faits », après avoir déploré, par une lettre à son homologue britannique de l’époque, le « manque d’humanité » du gouvernement du Royaume.
[Nathalie Weatherald a contribué à la rédaction de cet article]
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