Alors qu’elle pensait avoir une des meilleures médecines du monde, la France aurait-t-elle une médecine sous-développée ? Les dépenses de santé représentent 11% du PIB de la France. Quatrième pays au monde par rapport au PIB. Douzième pour les dépenses par habitant, 7ème pour les dépenses publiques par habitant. Ce ne sont pas les moyens qui manquent[1].
Aurait-on sacrifié la santé sur l’autel des comptes publics ? Etrange manie de voir une politique de rigueur dans le dérapage permanent des comptes publics. Aucun pays n’a été si constant dans le déficit depuis 1974. L’économie n’étant pas de la comptabilité, il n’est pas impossible d’avoir sacrifié les services publics à force de creuser les comptes publics.
Premier indice : Le nombre de médecins, 3.2 pour 1000 habitants, est dans la moyenne des pays développés, sans plus. Plus de dépenses, mais pas plus de médecins. Moins qu’en Allemagne (4.1). Moins d’infirmiers : 10/1000 en France, 12 en Allemagne. Moins de lits : 6.5/1000 pour 8.3/1000. Cela n’a l’air de rien, mais c’est 20% de différence.
Peut-on se comparer au Maroc ?
Il ne faut pas se comparer aux Allemands, trop riches, trop disciplinés. Aux Suisses non plus. Impossible aussi de se comparer aux Coréens, ou aux Japonais. Des fourmis, avait dit Edith Cresson.
Peut-on se comparer au Maroc ? Ils n’ont que 0.7 médecin par habitant. Chaque année, 10.000 Marocains décèdent d’une maladie bien connue, l’hépatite virale. Pourtant, le Maroc a été le premier pays à obliger toute la population à mettre un masque. Non seulement ils en avaient commandé, mais -comme les Taïwanais, Japonais, Coréens, Allemands, Belges, etc… Ils ont même commandé des machines pour en fabriquer eux mêmes. Même attitude pour le gel, les respirateurs artificiels, les tests et la chloroquine. C’est presque déloyal.
Toute commande de masque, prescription de la chloroquine, admissions dans les hôpitaux, réception des machines, autorisation de tests, tout, absolument tout doit avoir l’aval de l’ARS, ces préfectures de la santé, et du Préfet. Et celle du ministre. Pauvres rouages exténuées d’un système qui prend beaucoup d’énergie et cumule les retards. S’il y a autant de dépenses, c’est peut-être que l’on paie, dans le système de santé aussi, un coût d’organisation, de bureaucratie, de contrôle, superflu. Il ne s’agit pas de dire que c’est la faute de l’administration, mais celle d’un surdéveloppement. La gestion, en économie comme en médecine, comme en politique, l’a emporté. La capacité d’adaptation, malgré les miracles des équipes médicales, est entravée. Ce n’est donc pas la médecine qui est sous développée, c’est notre réactivité.
Le sous développement politique
Deuxième indice : Un député a récemment lancé « il faut désormais choisir entre la 5G et la santé ». C’est clair : il faut choisir la santé, donc la 5G. Pas de 5G ? Ni de 4G ! Ni de portable ! Et l’électricité, on la garde ? Si on renonce aux technologies les plus performantes, aux économies les plus innovantes, nous aurons la médecine du sous développement.
Sous développement encore de la réflexion politique : Faut-il vraiment mobiliser 180.000 policiers et gendarmes pour le dimanche de Pâques ? Faut-il envoyer les hélicoptères dans la montagne sanctionner les randonneurs ? Faut-il traiter le Cantal, où il n’y a pas un cas, comme le Bas-Rhin, sinistré ? La liberté de circulation est supprimée, le Parlement est en congé, le Conseil constitutionnel, les tribunaux, aussi. Plus de droits de la défense, mais libération de 8.000 prisonniers. Pourquoi maintenir les policiers en service et pas les juges ? Si l’Etat n’est pas la justice, qu’est ce que c’est ? Avec les milliers de procès qui s’annoncent, il faudra ou confiner la justice, ou investir dans les tribunaux. Et peut-être même remettre le droit à l’endroit. Parce que ces derniers temps, il a un peu souffert.
Troisième indice : Le confinement général n’a été décidé que parce que le confinement fin, intelligent, local ; la mise à disposition d’équipements pour le personnel soignant, pour la population exposée, n’a pas été fait. Au contraire de bien d’autres pays. Il ne faut pas prendre l’exemple des pays asiatiques parce que, parait-il, ils seraient trop différents. Mais l’Autriche, l’Allemagne, la Pologne, la Grèce, le Portugal, etc… sont-ils si différents ? Même pas d’attestation de sortie ! Des inconscients ? Ce qui n’empêche pas de belles régressions politiques : les Hongrois confient tous les pouvoirs à Orban, le gouvernement italien tente la censure. Bientôt le passeport intérieur ?
Une urgence : Organiser le déconfinement
Ne jamais oublier que les mesures de l’état d’urgence doivent être proportionnées. Organiser le déconfinement, pas à pas, est la première tâche du gouvernement.
Il est donc à craindre que la crise sanitaire révèle un sous développement politique, ne serait-ce que dans notre capacité d’analyse et de réaction.
Dans le domaine économique, on va dépenser des milliards. Des milliards que l’on n’a pas. Premier enseignement : les pays qui ont des finances saines sont mieux armés que les autres pour affronter la crise. Deuxième leçon : investir dans les industries du futur. Pas celles d’hier. Mettre des milliards dans Air France et Renault, soit. Mais surtout dans les nouvelles technologies. Faire en cinq ans, ce qui était prévu en dix : biotechnologie, intelligence artificielle, nouveaux matériaux, université, recherche.
Et aussi, des milliards pour la vie des gens : des logements, des transports, le Grand Paris, le tunnel avec l’Italie, ce que l’on devait construire en dix ans, qu’on le fasse en trois.
La relance ? Les industries de demain, pas celles d’hier.
Enfin, ces milliards de crédits (qui sont possibles grâce à l’Europe et à l’Allemagne), permettrait d’oser une politique internationale. Vers l’Afrique, la Méditerranée : plus qu’une politique de santé, une politique énergétique, écologique, urbaine, maritime, migratoire, etc…
Après la crise, la relance à crédit? Ce ne sera supportable que si ces crédits ne sont pas là pour compenser des pertes mais pour provoquer des gains.
Santé, économie, politique, la France n’est pas en voie de sous développement, mais elle n’est pas à l’abri. Le sous-développement, et son contraire, le développement, est d’abord, comme l’amour, cosa mentale (dans la tête). C’est le moment d’y réfléchir.
Laurent Dominati
Editeur.
Ancien ambassadeur, ancien député.
[1] Source : OCDE, Banque Mondiale.
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