Le vieillissement démographique dicte de plus en plus sa loi sur les comptes publics. Avec l’arrivée à l’âge de la retraite des larges générations du baby-boom, les dépenses sociales ne peuvent qu’augmenter. La question n’est pas de les restreindre mais de trouver les moyens pour les financer sans porter atteinte à la cohésion nationale. Ce problème concerne non seulement la France mais aussi tous les États membres de l’Union européenne.
« L’État-providence tel qu’il existe aujourd’hui n’est plus finançable », a déclaré cet été le chancelier allemand Friedrich Merz. Ce propos iconoclaste traduit l’impuissance des gouvernements à faire face à une augmentation des dépenses au moment où la croissance se dérobe sous leurs pieds.
1/3 du PIB dédié aux prestations sociales
Depuis 2000, le poids des prestations sociales dans le PIB a augmenté dans tous les grands pays européens. En France, il atteint plus de 33 % du PIB, contre 29 % en Allemagne, 28 % en Italie et 26 % en Espagne. Cette progression est imputable à l’augmentation du nombre de personnes de plus de 60 ans. En France, le nombre de retraités est passé de 5 à 17 millions de 1980 à 2024. La multiplication des pathologies chroniques entraîne une forte hausse des dépenses de santé. Avec l’arrivée des premières générations du baby-boom au-delà des 80 ans, celle-ci pourrait s’accélérer.
Le renouvellement des générations n’est plus assuré depuis de nombreuses années au sein de l’Union européenne. Le taux de fécondité s’élevait à 1,4 loin des 2,1 nécessaires. La France enregistre depuis plusieurs années une baisse de son taux de fécondité. Il est ainsi passé de 1,9 à 1,6 enfant par femme de 2017 à 2024. En Allemagne, le taux de fécondité était de 1,35 en 2024. Ce taux est de 1,18 en Italie et de 1,12 en Espagne (2023). L’augmentation de la population repose de plus en plus sur l’immigration. Si celle-ci venait à être réduite, le nombre d’habitants dans un grand nombre de pays, diminuerait. Actuellement, la population est déjà en recul en Bulgarie, en Lituanie, en Lettonie, en Roumanie et en Grèce.
La proportion des plus de 65 ans est en hausse constante. Elle devrait se situer autour de 30 % au sein des pays de l’Union européenne d’ici le milieu du siècle. En 2050, l’Europe comptera 75 millions de plus de 80 ans contre 33 millions aujourd’hui. En France, la proportion des plus de 65 ans passera de 22 % en 2025 à 30 % en 2050. Partout, en Europe, le rapport cotisants sur retraité se dégrade. Dans les années 1960, il y avait quatre cotisants pour un retraité en France. En 2025, il n’y en a plus que 1,7. Ce ratio devrait être de 1,4 d’ici 2070. En un demi-siècle, le nombre de cotisants a été divisé par deux.
Mécaniquement, les dépenses de santé sont amenées à progresser. Elles s’élèvent à 14 % du PIB en France, contre 11 % en Allemagne. Elles pourraient, sans ajustement, atteindre 16,5 % du PIB en France en 2040. La Cour des comptes prévoit 15 milliards d’euros de déficit en 2035, puis 30 milliards en 2045 pour le système de retraites seul sans prendre en compte les régimes de la fonction publique.
Le vieillissement n’affecte pas que les retraites. Le déficit de la branche maladie en France est déjà de 16 milliards d’euros en 2025, et devrait s’aggraver de 3 milliards d’ici 2029, selon la Commission des comptes de la Sécurité sociale.
Une personne de 80 ans coûte près de cinq fois plus qu’un adulte d’âge actif en dépenses de santé. Avec une augmentation de la population des plus de 75 ans de 30 % d’ici 2040, l’effet sur les dépenses sera mécanique.
Pour compenser les effets du vieillissement démographique, les États peuvent jouer sur le taux d’emploi et sur la productivité. En matière de taux d’emploi, sur le papier, la France dispose de marges de manœuvre. En Effet, son taux d’emploi est faible chez les 15/24 ans, autour de 35 % en 2024, contre 52 % en Allemagne. Les difficultés d’insertion des jeunes, en particulier les jeunes garçons, demeurent. Le taux d’emploi en France est également faible chez les 55/64 ans. Il est de 56 % en 2024 en France, contre 72 % outre-Rhin. Au niveau global, le taux d’emploi est près de 10 points inférieurs en France à celui de l’Allemagne (67 % contre 77 % en Allemagne). Cette différence de dix points d’emploi représente l’équivalent de 3 millions d’actifs supplémentaires potentiels. Si la France atteignait le taux d’emploi allemand, le déficit des retraites serait presque comblé.
Le comblement de ce déficit d’emplois suppose une amélioration du système éducatif, afin de réduire le chômage des jeunes peu qualifiés et une augmentation du nombre de seniors au travail.
Pour contraindre les dépenses sociales, certains économistes préconisent une privatisation partielle de celles-ci. Or, les exemples étrangers ne sont pas concluants sur ce sujet. Aux États-Unis, les dépenses de santé, en grande partie d’ordre privé (75 %), augmentent plus vite qu’ailleurs. Elles représentent 17 % du PIB, contre 11 % en France et 10 % en Allemagne (2023). Les États-Unis consacrent ainsi 4 points de PIB de plus à la santé pour un résultat sanitaire inférieur à celui de la France (espérance de vie à 77 ans, contre 82 ans).
Dans ces conditions, quels sont les moyens pour équilibrer les comptes sociaux ?
Face à cette croissance inévitable des dépenses de santé, les gouvernements seront tentés d’augmenter les prélèvements obligatoires. Le relèvement des cotisations sociales de 1 à 1,5 point du PIB rapporterait une trentaine de milliards d’euros. En revanche, cette solution facile à mettre en œuvre aurait des effets économiques en aggravant le coût du travail. Sur le plan social, elle aboutit à un transfert de charges sur les actifs. Elle peut potentiellement peser sur la demande et donc sur la croissance.
L’augmentation du taux d’emploi a été mise en avant ces dernières années. Elle permet une progression des recettes publiques (cotisations et impôts) et une diminution des charges (moindre progression du nombre de retraités). En France, le report de 2 à 3 ans de l’âge de départ à la retraite augmenterait le taux d’emploi des plus de 60 ans de 10 points et rapporterait 20 milliards d’euros par an. Sur ce dernier point, l’absence de consensus rend conflictuelle cette solution. La suspension de la réforme des retraites de 2023 semble tirer la conséquence de l’hostilité de la population.
Une autre voie pour atténuer les effets du vieillissement repose sur les gains de productivité ; or ceux-ci sont faibles voire ont disparu depuis près de 10 ans. L’insuffisance des investissements dans les hautes technologies, les problèmes de formation des actifs et la spécialisation des économies européennes dans les services domestiques expliquent cette évolution.
À défaut de pouvoir jouer sur ces leviers, les pouvoirs publics favoriseront l’érosion des dépenses de prestations sociales en ne les indexant plus à l’inflation comme cela a déjà été le cas par le passé. Le niveau de vie relatif des retraités en France par rapport à la moyenne de la population diminue depuis 2017. Selon le Conseil d’Orientation des retraites, ce dernier devrait n’être plus que de 87 % d’ici 2070 contre 102 % en 2023.
Depuis 1945, la France a construit un État-providence à la fois généreux et universel. L’universel a un coût surtout quand la croissance se fait rare. Les dépenses publiques représentent plus de 58 % du PIB dont près des deux tiers financent la protection sociale. Ce modèle a permis une forte réduction des inégalités et de la pauvreté en particulier chez les retraités. Cependant, entre 2025 et 2050, le ratio cotisants/retraités chutera encore de 15 %. Sans réforme, la dette sociale pourrait dépasser 50 % du PIB. L’État providence ne peut survivre qu’à la condition que la croissance se redresse et que des arbitrages soient réalisés.
Auteur/Autrice
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Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.
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