La facilité l’emporte toujours sur la bonne gestion

La facilité l’emporte toujours sur la bonne gestion

Le rapport des Français à l’économie a toujours été étrange. Nombreux sont ceux qui ont soif de consommation tout en récusant le capitalisme. Les bénéfices sont par nature suspects et sont assimilés à une rente pénalisant les salariés. Les Français sont individuellement prudents mais collectivement impécunieux. Ils sont des épargnants émérites mais demandent à leur Etat, à leurs collectivités territoriales ou à leurs régimes sociaux de dépenser sans compter pour maintenir ou améliorer leurs conditions de vie tout en assurant une bonne gestion. Ils estiment à la fois que les prestations sociales sont insuffisantes et les déficits excessifs.

Les gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, ont toujours accru les dépenses publiques

Depuis quarante ans, face au ralentissement de la croissance, face aux crises, les gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, ont toujours accru les dépenses publiques au point que la dette publique est passée de 21% à plus de 110 % du PIB entre 1981 à 2024. Notre voisin allemand n’a pas connu une telle dérive, sa dette publique étant actuellement inférieure à 65 % du PIB.

En France, les problèmes financiers de l’Etat sont une tradition qui remonte bien avant la Révolution de 1789. Les Rois ont très souvent eu recours à des expédients et à des banquiers plus ou moins véreux. De 1949 à 2024, le solde public français n’a été positif qu’à douze reprises.

Comment un pays riche comme la France, disposant de terres agricoles fertiles, de voies de communications modernes, d’accès à la mer nombreux, d’une culture scientifique de haut niveau, d’une population bien formée, peut-il connaître un tel désordre budgétaire ? Pourquoi la facilité, la lâcheté l’emporte-t-elle toujours sur la bonne gestion ? Pourquoi les plans de rigueur amènent-ils bien souvent des révoltes voire des révolutions ? Existera-t-il une fatalité ou un mal français ? Plusieurs explications à cette relative spécificité peuvent être avancées.

La centralisation avec la disparition des corps intermédiaire a abouti à ce que tout problème remonte, à la vitesse de l’éclair, au sommet. Cette disparition comme le souligne Alexis de Tocqueville, dans son livre « L’ancien régime et la révolution », a commencé dès le XVIe siècle avant même Louis XIV. Sans filtre, le régime royal a été amené à résoudre tous les problèmes au point de mettre en place une bureaucratie qui n’a fait qu’enfler depuis.

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La fragilité du pouvoir conduit les dirigeants à multiplier les aides publiques

L’état de guerre permanent du XVII jusqu’au XXe siècle a contribué à militariser les structures du pays et à déresponsabiliser les acteurs locaux. Par crainte d’être renversés, la fragilité du pouvoir conduit les dirigeants à multiplier les aides publiques. Depuis 1789, la France a ainsi connu 14 constitutions différentes dont certaines se sont accompagnées d’une instabilité politique chronique.

La France a toujours été confrontée à de violentes divisions, la bataille d’Alésia sous les Gaulois, la guerre de religion se soldant par la Saint Barthélémy, l’affaire Dreyfus, la lutte contre le catholicisme sous la IIIe République, les Gilets jaunes, etc. Pour éteindre les incendies, les gouvernements semblent n’avoir d’autre solution que de distribuer des subsides.

L’idée que l’Etat peut tout, sans limite, est communément partagée. La soif inextinguible des Français pour l’égalité concourt également à l’accroissement sans fin des dépenses. La jalousie amène tout un chacun à réclamer toujours plus pour être au même niveau que ses voisins ou ses proches.

Les rémunérations des actifs augmentent faiblement depuis des années.

Dans d’autre pays comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, ce trait de caractère n’est pas aussi prononcé. Que la France soit un des pays le moins inégalitaire au monde, que le rapport entre les revenus des 10 % les plus aisés et les 10 % les plus modestes reste stable dans le temps, rien n’y fait. Une large majorité des Français estiment que les inégalités progressent.

Ce sentiment de malaise n’est néanmoins pas sans fondement. Faute de gains de productivité, faute de croissance et en raison de l’inexorable progression de l’État providence, les rémunérations des actifs augmentent faiblement depuis des années. L’ascenseur social est devenu pour de nombreux ménages un mirage. Ils sont minés par la crainte du déclassement. Autrefois, le travail était un facteur d’intégration et d’accomplissement social. Aujourd’hui, avec la multiplication des emplois dits domestiques ou de logistique, de nombreux actifs éprouvent des difficultés à donner du sens à leur vie professionnelle.

Au-delà des promesses qui sont légion en période électorale, le rebond de la France et l’assainissement de ses comptes publics passent par la restauration du travail, d’une manière ou une autre. Face aux pénuries de main-d’œuvre qui ne peuvent que se multiplier avec le vieillissement démographique, face aux besoins importants dans les secteurs de la santé, du tourisme, des transports, une augmentation du volume de travail est indispensable. Pour résoudre l’absurde crise du logement, le lancement d’un vaste plan en faveur de l’immobilier ne portera ses fruits qu’à la condition que le secteur du bâtiment puisse suivre.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel

    Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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