D’un coté les succès du « socialisme à caractéristique chinoise » de Xi Jinping qui rêve d’exporter son modèle révolutionnaire ; de l’autre les déboires de Biden et Johnson, l’assaut du Capitole et les apéros illicites à Downing Street. Hier, la démocratie se proposait pour modèle, aujourd’hui les régimes forts séduisent (surtout les dirigeants). La Tunisie, dernier espoir de démocratie après les Printemps arabes cède. Après la Turquie, la Birmanie, la Russie, le Venezuela, le Nicaragua et tant d’autres. Dans les démocraties libérales, « l’illibéralisme » gagne, et l’épidémie montre à quel point la santé passe avant les « libertés ».
D’après Freedom House, sur 41 pays classés «libres» de 1985 à 2005, 22 ont enregistré des baisses nettes de la liberté au cours des cinq dernières années.
«Un homme fort qui n’a pas à se préoccuper du Parlement ni des élections».
La Fondation pour l’innovation politique a mené une enquête dans 55 pays démocratiques. La menace extérieure, représentée par les pays autoritaires, est fortement ressentie : 60% des personnes interrogées estiment «inquiétante» l’attitude de la Chine sur la scène internationale. La menace intérieure est réelle : 51% sont d’accord avec l’idée que «les gouvernements autoritaires sont plus efficaces que les gouvernements démocratiques pour vaincre les pandémies ». Jugement curieux quand on mesure les effets de la pandémie en Russie. Surtout, un tiers accepterait d’avoir à la tête de leur pays «un homme fort qui n’a pas à se préoccuper du Parlement ni des élections».
Pourtant, la démocratie reste solide : «avoir un système politique démocratique avec un Parlement élu qui contrôle le gouvernement» obtient la meilleure évaluation parmi toutes les formes de régime proposées : 81%. Les deux tiers des personnes interrogées (67%) refuseraient de « réduire un peu les libertés même si cela rendait le gouvernement plus efficace ».
Les menaces sur la démocratie ne viennent pas, à tort ou à raison, des risques pour la liberté d’expression, de manifester, liberté de la presse, droit de vote, etc. Mais plutôt de son impuissance. Ainsi les Gafam sont vus comme un « pouvoir » incontrôlable et manipulateur. Le risque sur la liberté d’expression est plutôt dans la manipulation.
Les citoyens n’arriveront pas à résoudre leurs désaccords de manière pacifique sans recourir à la violence
Plus grave, dans certains pays, beaucoup considèrent que « les citoyens n’arriveront pas à résoudre leurs désaccords de manière pacifique sans recourir à la violence ». On le comprend au Liban (76%), mais c’est aussi le cas en France (71%) et en Belgique (61%).
En France, dans une autre étude sur la campagne présidentielle, 80% jugent le débat peu intéressant, 65% estiment que la campagne est trop violente (au moins dans les mots et les attitudes). A moins de 100 jours, la moitié des Français disent ne pas savoir pour qui voter. Inquiétant ou rassurant ?
La démocratie est par nature un système de gestion de crises
La crise de la démocratie est une constante. Pour une raison simple : la démocratie est par nature un système de gestion de crises, qui ne peut fonctionner que dans la crise. La démocratie s’accompagne de démagogie, jugements péremptoires, caricatures, autant que de débats, explications, mesures et compromis. Provax ou antivax ? Gauche ou droite ? Vert ou bleu, noir ou blanc ?
La bonne réponse, que l’on voit dans les modèles de « bonne gouvernance », les pays nordiques, est l’art des coalitions : que chacun se sente représenté, y compris au pouvoir, même l’opposition (car le signe d’une démocratie est que l’opposition compte).
La démocratie est en crise depuis qu’elle existe. Aujourd’hui on parle de « guerre civile américaine ». Grande dépression, bataille des droits civiques, Watergate, c’était plus simple ? En France, quand a commencé la crise démocratique? En 68 ? En 58 ? En 48 ? En 38, 28, 18 ? C’est comme la décadence : elle commence avec Vercingétorix. Ces rappels historiques, qui relativisent les menaces, n’empêchent pas de les regarder. Le fait que la démocratie soit toujours en crise ne signifie pas qu’elle ne l’est pas. Identifier les menaces permet de les surmonter. Seuls survivent les systèmes qui apportent des réponses. Les démocraties peuvent s’enliser ou mourir. Ces trente dernières années, une vague démocratique a balayé la planète, notamment en Europe et en Amérique du sud. Il y a des régressions. Il y a aussi des degrés dans « la démocratie ».
Les uns disent que la démocratie est un luxe. C’est l’inverse : la liberté facilite la richesse.
Enseignement le plus évident : les régimes démocratiques sont les pays les plus riches. Les uns disent que la démocratie est un luxe. Les Libéraux prétendent que c’est l’inverse : que la liberté facilite la richesse. France et Royaume-Uni étaient beaucoup moins riches il a un siècle que bien des pays pauvres d’aujourd’hui, non démocratiques. La démocratie n’est pas un prix à payer, un sacrifice, mais une chance de gagner. Comparer le décollage économique des anciens pays de l’Est et la Russie est éclairant.
Elle n’est pas réservée non plus à telle ou telle culture. Quand on interroge les gens, ils veulent tous, notamment dans les régimes autoritaires, plus de libertés. Aussi il n’est pas anormal de voir que c’est dans les pays les plus libéraux que la demande d’ « ordre » devient forte.
Les pouvoirs n’aiment pas la concurrence
Alors on se demande pourquoi les démocraties ne sont pas plus nombreuses. C’est que, par définition, les pouvoirs n’aiment pas la concurrence. Mieux vaut être le premier dans son pauvre village que le second à Rome. C’est une première raison. Si Johnson quitte le pouvoir, c’est une péripétie. Si Xi Jinping ou Poutine s’en vont, c’est une révolution. C’est pourquoi les démocraties, par leur souplesse, sont plus solides que les régimes dits « forts ». Encore faut-il les rendre toujours plus vivantes, toujours plus efficaces : la démocratie ne doit pas manquer de démocrates.
Invitations aux candidats
En France, les élections présidentielles doivent permettre un vaste débat. Lesfrancais.press y prendra part : nous avons lancé des invitations aux candidats pour répondre aux questions des Français de l’étranger. Posez vos questions, ils répondront.
Mais le plus important se passera peut-être après l’élection. Comment faire en sorte que les frustrations trouvent réponse ? Une élection ne signifie pas confier tous les pouvoirs à un seul, ou un seul parti.
Loin de voir dans les crises de la démocratie des menaces, il faut imaginer les moyens de faire en sorte que chacun se sente le plus près possible des processus de décision. Pour les Français de l’étranger, c’est encore plus difficile. Mais bien des pays ont des systèmes qui pourraient nous en apprendre beaucoup sur la gestion des crises, qu’elles soient sanitaires, économiques, ou … démocratiques. Trouver les moyens de faire vivre la démocratie hors élection, c’est sans aucun doute le défi majeur du XXI siècle. Et la vraie réponse à la Chine, bien plus que la guerre froide.
Laurent Dominati
a.ambassadeur de France
a.député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
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