« Les idées sont des armes. Donnerions-nous des armes à nos ennemis ? » sermonnait Staline, comme si le Politburo avait eu des idées. Staline, paranoïaque, avait des raisons de trembler : les idées politiques sont des armes. Elles se propagent, détruisent, assassinent. L’Allemagne en guerre envoya Lénine dans un wagon plombé propager la révolution en Russie. La Révolution française fut combattue comme une épidémie. La démocratie, même imparfaite, est une idée contagieuse.
Tocqueville raconte la marche, de nuit, des paysans normands portant une lanterne, pour aller voter, vers 1840. 345 millions d’Européens ont été appelés aux urnes. Comme au Mexique, en Inde, en Afrique du Sud, partout, des centaines de millions de gens, pauvres pour l’immense majorité, de toute culture, religion, couleur de peau, langues, alphabets, votent. Mordi n’a plus qu’une majorité relative. L’ANC subit sa première défaite en Afrique du Sud. En Europe, les antieuropéens progressent. Mes Mexicains ont élu pour la première fois femme présidente. À Madagascar on se bat pour voter. Car le vote est un droit, ou une mascarade.
La dictature théocratique iranienne copiera le rite démocratique, entre deux pendaisons.
Même la dictature théocratique iranienne, dans laquelle la pratique religieuse s’effondre (près d’un iranien sur deux ne va plus à la mosquée chaque semaine malgré la police religieuse) copiera le rite démocratique, entre deux pendaisons.
Les victoires démocratiques se confirment, s’installent, se banalisent. En Suisse, on vote cette semaine sur les primes d’assurance maladie, l’électricité, la vaccination… En Russie on arrête un Français, parce qu’il est français, et qu’il travaille dans une ONG suisse. Hier il était invité par le gouvernement russe à des conférences, aujourd’hui il est en prison. Entende qui a des oreilles !
Alors que l’on répète à l’envi que la démocratie est foutue, que l’Europe est à la traîne, que la France ne compte plus, 25 chefs d’État se sont retrouvés en Normandie pour célébrer le débarquement. Parmi eux, le chancelier allemand. Là est la plus grande victoire. Et le Président Zelenski.
Biden : La France est « le plus vieil allié des Etats-Unis », « et le plus important ».
Biden reste cinq jours en France et célèbre « le plus vieil allié des Etats-Unis », « et le plus important ». La France est-elle si faible que la première puissance mondiale l’estime comme son allié le plus important, au risque de vexer les autres ?
Dans quelques jours, un sommet pour la paix en Ukraine, en Suisse. Puis un sommet de l’OTAN. Il y a quelques jours, le Président français était en visite d’Etat en Allemagne. Plus tôt encore, Xi Jinping visitait la France.
La France ne compte plus, mais tout le monde y vient ou l’accueille. L’Europe est dépassée, mais tous la courtisent. Quoiqu’on dise, France et Allemagne avancent, surmontent leurs différends.
La démocratie dépasse largement le cadre « occidental » : il y a plus de non-Occidentaux vivant dans des régimes démocratiques que d’Occidentaux ; à moins de considérer les Coréens, Japonais, Taïwanais, Sénégalais, Boliviens, Mexicains, Indonésiens, Guatémaltèques, comme « occidentaux ». Preuve que la démocratie est un système universel qui n’est pas réservé à une « culture », encore moins à un degré de richesse. Le discours type énonçant que Russes, Chinois ou Africains ne peuvent être démocrates parce que ce n’est pas dans « leur culture » n’est pas seulement faux, il est suspect, et, en fait, raciste.
Les dirigeants de ces régimes, eux, ont bien compris que la démocratie pouvait être contagieuse, qu’elle l’était pour les Chinois de Taïwan et les Russes de Biélorussie ou d’Ukraine. La démocratie est une arme contre les tyranneaux. Et ils veulent la détruire, forcément.
Des cercueils sont déposés aux pieds de la Tour Eiffel par des agents moldaves au service des Russes.
Ainsi des cercueils sont-ils déposés aux pieds de la Tour Eiffel par des agents moldaves au service des Russes. Un Ukrainien pro russe du Donbass a été arrêté avec des explosifs à Paris. Les ingérences étrangères se multiplient. Elles viennent de Russie, de Chine, d’Iran. Un rapport sénatorial, comme la DGSI ou le renseignement militaire, les dénonce. Comme l’ont fait bien avant les enquêtes britanniques, américaines ou allemandes.
Hier, l’ayatollah Khamenei félicitait les étudiants d’Harvard : « Chers jeunes étudiants aux États-Unis ! Ceci est notre message de sympathie et de solidarité avec vous. Vous vous trouvez désormais du bon côté de l’histoire ». Poutine accuse la France de célébrer le débarquement avec des « néo-nazis ». La propagande du Kremlin explique que les « Occidentaux » ont poussé Hitler à envahir la Russie, oubliant que c’est le pacte germano-soviétique, l’alliance du fascisme et du communisme, qui a permis l’invasion de la Pologne et la deuxième guerre mondiale.
Tout cela est inquiétant, mais pas si grave. Encore une fois, les démocraties, l’Europe, la France, sont plus fortes que ses adversaires.
Comme toujours dans les démocraties, le danger est en elles. À voir l’âpreté des conflits, aux Etats-Unis ou ailleurs, on s’aperçoit que « la démocratie est la continuation de la « guerre civile » par d’autres moyens ». Elle ne se résume ni au vote, ni à la polémique, mais au contrôle des pouvoirs, au respect du droit des citoyens par l’Etat. Ce qui se résume dans le triptyque : « démocratie, droits de l’homme, état de droit », inséparable comme la Trinité.
Apparaît un manque de foi, une fatigue démocratique. Qui se traduit par la montée de radicalités, de postures d’autant plus violentes que les bases philosophiques en sont mal fondées. Ici la Première ministre danoise est agressée. Là, le Président de la République est systématiquement sifflé. Là-bas, en Nouvelle Calédonie, des barrages sont dressés, les morts s’accumulent. La question ? Le vote. Question bien démocratique.
L’antisémitisme est revendiqué, l’insulte annonce une nouvelle ère de mépris, de haine, de violence.
À l’Assemblée, un député en traite un autre de « porc », trois fois. Puis s’en va à la télé s’excuser… auprès des porcs ! Un autre ose dire que « les soutiens d’Israël n’appartiennent pas à la même espèce humaine », une autre, qu’Israël est une « monstruosité ». L’antisémitisme est revendiqué, l’insulte annonce une nouvelle ère de mépris, de haine, de violence.
La question de l’antisémitisme est celle de la paix civile. Haïr le voisin, c’est haïr. Établir comme principe la haine de l’autre. Injure, c’est in-juria, en dehors du droit. C’est placer celui que l’on insulte en dehors de la communauté des égaux, celle des citoyens. Lui nier toute protection.
La démocratie est-elle à sa fin ? À l’évidence. Depuis toujours !
La démocratie n’est pas le pouvoir du peuple. Ce n’est pas le pouvoir de la majorité : c’est le respect de la minorité, des minorités. Et de la plus petite, de la plus faible d’entre elles, la plus infime, la plus irréductible : la personne.
La démocratie, par ailleurs si forte, devenue universelle, est-elle à sa fin ? Est-elle rongée, usée impuissante ? À l’évidence. Depuis toujours !
Jaurès, début du 20ème siècle : « la démocratie française n’est pas fatiguée du mouvement, elle est fatiguée d’immobilité (…), fatiguée de l’incohérence et de l’impuissance des gouvernants ».
Tocqueville, milieu du 19ème: « Tous les siècles ont-ils donc ressemblé au nôtre ? L’homme a-t-il toujours eu sous les yeux, comme de nos jours, un monde où rien ne s’enchaîne, où la vertu est sans génie, et le génie sans honneur ; où l’amour de l’ordre se confond avec le goût des tyrans et le culte saint de la liberté avec le mépris des lois ; où la conscience ne jette qu’une clarté douteuse sur les actions humaines ; où rien ne semble plus défendu, ni permis, ni honnête, ni honteux, ni vrai, ni faux ? »
L’auteur de la Démocratie en Amérique s’étonnait de ses succès là-bas, et s’interrogeait sur ses fragilités. La Constitution américaine commence par ces mots : « We, the people ». «Nous, le peuple ». Ou encore, « les gens », les vraies gens. Nous les citoyens, qui formons cette libre association, « le peuple. Qui nous érigeons en peuple, en citoyens.
Nous, le Peuple, nous, les gens.
La démocratie ne se réduit pas au vote. Ni à la loi. Là encore, pour éclairer l’avenir, comme les paysans normands qui éclairait l’aube démocratique, Tocqueville peut conclure : « Il y a, de nos jours, beaucoup de gens qui s’accommodent très aisément de cette espèce de compromis entre le despotisme administratif et la souveraineté du peuple, et qui pensent avoir assez garanti la liberté des individus, quand c’est au pouvoir national qu’ils la livrent. Cela ne me suffit point. »
La démocratie est un combat. C’est aussi une arme. À utiliser tout le temps. Nombreux sont les ennemis de l’intérieur et de l’extérieur qui rêvent de la détruire. Chacun peut choisir d’être complice, indifférent, ou combattant. Parce qu’on vit en démocratie, justement. Personne ne peut dire qu’il ne savait pas.
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
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