La claque brésilienne était prévisible

La claque brésilienne était prévisible

A force de donner des leçons, on finit par en prendre. Depuis l’élection de Bolsonaro, parce que celui-ci ne correspond vraiment pas à nos modèles politiques, la France le snobe. Depuis les rencontres Chirac-Lula, le Brésil est censé être un partenaire stratégique. On lui vend des sous-marins Scorpène, mais on n’envoie aucun ministre à l’inauguration de crainte d’y croiser l’infréquentable Bolsonaro.

Les Saoudiens sont fréquentables. Les Chinois sont fréquentables. Les Cubains sont fréquentables, pas les Brésiliens. Poutine est reçu à Brégançon, il le faut. Le Brésil, 200 millions d’habitants, ne menace personne, n’annexe ni n’occupe aucun pays, n’a pas de police politique, son économie est plus forte que celle de la Russie : Personne n’aurait songé à recevoir  Bolsonaro. Maintenant c’est trop tard.

A force de le snober, il a snobé le Ministre français des Affaires étrangères, enfin venu par réalisme, pour lui préférer une visite chez … le coiffeur.

Bernard Kouchner, alors ministre des Affaires étrangères, m’avait dit, à propos des discussions avec les FARC, « Dans la diplomatie, il faut savoir parler avec le diable. ». Je ne sais pas si Bolsonaro est le diable. Même s’il l’était, il faudrait parler avec lui comme on parle avec Poutine.

Avant de venir, la France avait rappelé ses réticences au nouveau traité du Mercosur et ses exigences en matière environnementale. Soit, nous voulons sauver l’Amazonie. Sauver la terre. Commençons par sauver la Méditerranée, la mer la plus polluée du monde. Ou, pour l’Amazonie, par la Guyane. Avec le Brésil, justement. Balayer devant sa porte avant de donner des leçons aux autres : La France est le cinquième exportateur de déchets plastiques au monde.

J’ai vécu et travaillé au Brésil, à l’Université. Je me souviens des discussions avec l’archevêque de Recife, Dom Helder Camara, l’archevêque des pauvres. C’était encore un régime militaire. Travailler avec le Brésil ne signifiait pas aider les militaires mais les Brésiliens. Maintenant, les Brésiliens votent. Ils ont choisi Bolsonaro. Va-t-on leur dire qu’ils ont mal voté et que la démocratie n’est pas faite pour eux ?  Va-t-on leur expliquer ce qu’est une dictature ? On a le droit de ne pas être d’accord avec leur politique. Ils ont le droit de faire leurs propres choix. La France est d’autant plus écoutée qu’elle est respectueuse.

Vexé par la France, Bolsonaro a donc préféré son coiffeur à Le Drian. Ce dernier a encaissé le coup. Fair play, il annoncé que le Brésil et la France ont mis en place « un groupe de travail informel pour traiter des questions liées à l’environnement ». Ajouté qu’ « une Commission de dix experts travaillera en France sur le traité ». Comme si au gouvernement, depuis 25 ans qu’ils tricotent cet accord avec le Mercosur, il n’y avait pas de compétence. La Commission se voudra tellement indépendante du gouvernement qui l’aura nommée qu’elle fera tout pour faire semblant de l’être. Vous gouvernez ? Décidez !

Feignant d’ignorer qu’on l’avait humilié, Jean Yves Le Drian a rappelé « les trois points qui suscitent notre vigilance » : « l’accord de Paris, le respect des normes environnementales et sanitaires, la question des filières agricoles sensibles ». Bref, un message de politique interne pour rassurer agriculteurs et écolos, qui brûlent les permanences de députés LREM. Comme si cela pouvait les rassurer. Mais quelle est le message au Brésil ? Et à son Président ?

Peut-on oser dire que la politique étrangère de la France ne se résume pas à l’urgence climatique ? Doit-on constater que si vraiment le Président et son gouvernement croyaient ce qu’ils disaient, alors ils devraient en effet démissionné comme Hulot ?

La visite de Le Drian était la première visite d’un ministre français depuis l’élection de Bolsonaro. Il y a au Brésil plus de 1000 entreprises françaises. 30 milliards d’investissements. Sixième excédent commercial pour la France dans le monde. Premier client de la France en Amérique latine, plus d’un tiers de nos exportations dans ce continent. La coopération universitaire est ancienne et intense. Nous devons intensifier les accords culturels. Trois lycées français. 2000 élèves, dont 1500 Français. 35.000 élèves dans les Alliances françaises. Le Brésil est notre  plus grande frontière, le long de la Guyane : 700 km, ce qui nécessite une coopération transfrontalière qui doit être exceptionnelle. Cette visite est donc un échec. Il n’y a même pas eu de réponse à la gifle.

En Amérique latine, au Brésil en particulier, la France n’a pas la place qui pourrait être la sienne, notamment par rapport à l’Allemagne ou l’Italie. Le Brésil devrait être le partenaire privilégié, économique et politique, de la France, comme en avaient décidé Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy avec Lula. Soit, Jaïr Bolsonaro, élu avec 57% des voix, admire Trump. Faut-il l’y abandonner?

Et maintenant faut-il se laisser insulter ? Le Drian devait-il faire comme si de rien n’était ? Erreur au départ, erreur à l’arrivée. Ni mépriser, ni se laisser mépriser. Il faut tout reconstruire dans la relation entre la France et le Brésil, et dans l’image de la France en Amérique latine. Une claque, ça devrait permettre de se réveiller et de sortir de son sommeil dogmatique.

Laurent Dominati

A. Ambassadeur de France

A. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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