La bataille du gaz n’est pas finie !

La bataille du gaz n’est pas finie !

Pour le troisième hiver depuis le début de la guerre en Ukraine, l’Europe n’est nullement menacée par une pénurie de gaz. Au début du mois d’octobre, les réserves étaient pleines à 94 %, au-delà de l’objectif de 90 % fixé par les États membres de l’Union européenne. Les achats massifs de gaz naturel liquéfié (GNL) représentent désormais 60 % des importations de gaz de l’Union, alors qu’en 2021, 40 % du gaz provenaient des gazoducs russes.

Malgré l’absence de pénurie, le prix du gaz reste élevé. Le prix du GNL en Asie, référence mondiale, se situe au-dessus de 13 dollars par million d’unités thermiques britanniques (mBtu), bien au-dessus de son niveau d’avant la crise de 2022. Plusieurs facteurs contribuent à cette hausse. Un hiver froid est redouté, au vu des tendances de température dans l’hémisphère Nord depuis la fin du mois d’août. Un hiver « normal » serait très froid par rapport aux normes récentes. Une saison glaciale obligerait l’Europe à recourir à ses centrales électriques au gaz, augmentant ainsi la consommation de ce dernier. En outre, des températures froides sont souvent synonymes d’absence de vent, ce qui limiterait la production d’électricité par les éoliennes.

Le prix du gaz reste élevé

En Asie du Nord-Est, l’hiver pourrait également être plus rigoureux en raison de la fin du phénomène El Niño. Une saison extrême, comme celle de 2021, où Pékin avait enregistré des températures de – 20°C en janvier, son mois le plus froid depuis 50 ans, reste possible. Une vague de froid importante en Europe et en Asie pourrait créer une demande supplémentaire de gaz de 21 milliards de mètres cubes (mmc) et 15 mmc respectivement, soit une augmentation de 4 à 8 % des importations de ces régions l’année dernière. La demande de GNL pourrait croître de 26 millions de tonnes supplémentaires, soit l’équivalent de 7 % des volumes échangés à l’échelle mondiale en 2023.

La deuxième source d’inquiétude réside dans la possibilité que les importations européennes de gaz par gazoduc diminuent encore. Un accord de cinq ans, qui expire en décembre, permet à la Russie de continuer à acheminer du gaz via l’Ukraine vers l’Europe centrale. Bien que ces flux aient été réduits de plus de moitié depuis 2021, ils représentaient encore 15 mmc l’année dernière. L’Ukraine a déjà annoncé qu’elle ne renouvellerait pas cet accord.

Le passe-passe de l’Azerbaïdjan

L’Union européenne et l’Ukraine travaillent sur des solutions alternatives. L’une des options les plus réalistes serait un échange avec l’Azerbaïdjan, dans lequel le gaz russe transitant par l’Ukraine serait rebaptisé « azerbaïdjanais », tandis qu’une partie du gaz azerbaïdjanais deviendrait russe. Cependant, ce scénario ne résoudrait pas entièrement le problème car l’Europe recevrait autant de gaz via l’Ukraine qu’auparavant, mais moins de l’Azerbaïdjan. De plus, la Russie devrait accepter de vendre son gaz à bas prix à l’Azerbaïdjan, où l’énergie est bon marché.

La bataille du gaz n’est pas finie !
@adobestock

Si la Russie décidait d’arrêter complètement ses livraisons, la France, par exemple, verrait un cinquième de sa consommation de gaz d’origine russe affecté.

Les conditions météorologiques et la géopolitique continuent de favoriser la demande en GNL, mais des goulots d’étranglement apparaissent. La Russie ne peut guère augmenter sa production. Le terminal Arctic LNG 2, qui devait initialement exporter jusqu’à 13 millions de tonnes par an (mtpa) de GNL d’ici l’année prochaine – soit l’équivalent de 18 mmc de gaz une fois liquéfié – est retardé en raison des sanctions américaines visant toutes les entreprises participant à sa construction, ainsi que tout navire susceptible d’y accoster. Un projet visant à faire de l’Égypte un fournisseur fiable de GNL pour l’Europe n’a pas abouti, en raison de la baisse de la production de gaz dans ce pays. Les États-Unis, qui avaient comblé en partie le manque causé par l’absence du gaz russe en 2022 et 2023, sont désormais moins disposés à approvisionner l’Europe. Joe Biden a décrété un moratoire sur les projets de terminaux de liquéfaction, et la faillite du principal entrepreneur du projet Golden Pass au Texas, l’un des deux grands terminaux censés entrer en service l’an prochain, pourrait retarder leur mise en service de six mois ou plus.

Des goulots d’étranglement

L’Europe pourrait être mise sous pression dès le mois de décembre si l’hiver est rigoureux et si les exportations russes cessent. Les réserves de gaz permettraient de tenir jusqu’en février, mais les prix du gaz monteraient en flèche. Contrairement à 2022, l’Union européenne pourra toutefois compter sur les centrales nucléaires françaises et les barrages hydroélectriques, qui ont bénéficié des pluies automnales abondantes. Compte tenu du contexte climatique et géopolitique, Anne-Sophie Corbeau, de l’université de Columbia, estime que le prix du gaz pourrait facilement atteindre 16 dollars par mBtu au début de l’année prochaine.

Les pays asiatiques, et notamment la Chine, seraient relativement protégés, car ils achètent une grande partie de leur GNL dans le cadre de contrats à long terme indexés sur le prix du pétrole. En revanche, la quasi-totalité des achats européens se fait sur le marché spot ou est indexée sur les prix spot. Cela rend l’Europe plus vulnérable que l’Asie, d’autant plus qu’elle ne dispose plus, ou presque plus, de centrales au charbon.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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